Par Moon of Alabama – Le 19 septembre 2020
Vendredi, la juge libérale de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, est décédée. La discussion sur la confirmation de son remplacement par le Sénat révèle l’hypocrisie totale de la politique et des hommes politiques américains.
Les enjeux sont élevés :
Le fait est que la possibilité de faire siéger un troisième juge représente une opportunité politique monumentale pour le président Trump. Il entrera dans l'histoire comme l'un des présidents les plus importants, qu'il remporte ou non un second mandat. Le dernier président républicain à avoir installé trois juges lors de son premier mandat a été Richard M. Nixon. Un candidat probable choisi par Trump serait Amy Coney Barrett, de Notre Dame, que Trump avait déjà envisagé auparavant. Trump aura l'occasion de sceller définitivement la défaite de l'ère libérale qui a commencé avec l'administration Roosevelt et a duré jusqu’à l'administration Obama. Un sixième juge républicain à la Cour suprème garantirait que tout programme libéral de grande envergure auquel souscrirait un président Joe Biden ou tout autre président démocrate serait condamné au cimetière de l'histoire avant même d'avoir l'occasion d’être mis en place.
Le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, soutient maintenant que toute décision concernant le nouveau juge de la Cour suprême devrait être laissée au prochain président :
Le Sénat ne devrait pas s’occuper du siège vacant à la Cour suprême ouvert par le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg avant que les électeurs n'aient exprimé leur choix lors de l'élection, a déclaré vendredi l'ancien vice-président Joe Biden. Le concurrent Démocrate à la présidentielle soutenait ses collègues de la minorité sénatoriale, qui n'ont pas perdu de temps après l'annonce de la mort de Ginsburg pour affirmer leur conviction que Washington doit attendre.
Sans surprise, le leader républicain de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, n’est pas d’accord avec Joe Biden :
Le leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, a déclaré sans équivoque vendredi soir que la candidate du président Trump à la Cour suprême pour combler le poste vacant de feu la juge Ruth Bader Ginsburg "sera votée par l’assemblée du Sénat des États-Unis".
Il y a quatre ans et demi, la situation était inverse. Le président Barack Obama avait alors nommé Merrick Garland pour remplacer le juge Antonin Scalia, décédé, à la Cour suprême. Le Sénat, dirigé par les Républicains, avait bloqué la décision :
Le 13 février 2016, Antonin Scalia, le juge à la Cour suprême, est décédé. Plus tard dans la journée, les sénateurs républicains dirigés par le chef de la majorité Mitch McConnell ont déclaré qu'ils ne prendraient en considération aucun candidat présenté par Obama et que la nomination à la Cour suprême devrait être laissée au prochain président des États-Unis. Le président Obama a répondu qu'il avait l'intention de "remplir mon devoir constitutionnel de nommer un juge pour notre plus haute cour", et qu'il n'y avait pas de "tradition bien établie" selon laquelle un président ne pouvait pas pourvoir un poste vacant à la Cour suprême au cours de la dernière année de son mandat. ... Après une période de 293 jours, la nomination de Garland a expiré le 3 janvier 2017 à la fin du 114e Congrès. Le 31 janvier 2017, le président Donald Trump a nommé Neil Gorsuch au poste vacant de la Cour. Le 7 avril 2017, le Sénat confirmait la nomination de Gorsuch à la Cour suprême.
A l’époque, l’argumentation de Mitch McConnell était à l’opposé de celle d’aujourd’hui.
Il en va de même pour Joe Biden. Contrairement à sa position actuelle, le vice-président Joe Biden faisait valoir en 2016 que le Sénat devrait procéder à la nomination de Garland. Son problème est qu’il avait auparavant argumenté différemment :
Le vice-président Joe Biden a critiqué jeudi les Républicains du Sénat pour avoir invoqué la "règle Biden" comme raison pour laquelle ils ne tiendront pas d'audience pour Merrick Garland, le choix du président Barack Obama pour la Cour suprême. Dans un discours prononcé jeudi, Biden a qualifié les Républicains de "franchement ridicules" pour s'être appuyés sur des commentaires qu'il avait faits en 1992 sur les dangers de tenir des audiences de confirmation de la Cour suprême en plein milieu des élections présidentielles.
La position de Biden de 1992, qu’il a contredite en 2016, est la même que celle qu’il défend aujourd’hui :
Dans la partie du discours de Biden de 1992 qui a été souvent citée par McConnell et d'autres Républicains, Biden déclarait que le président de l'époque, George H.W. Bush, ne devrait pas nommer un candidat si un poste devient vacant avant l'élection de novembre de cette année-là. "Si un juge démissionne cet été et que le président décide de nommer un successeur, des actions qui auront lieu quelques jours avant la Convention présidentielle Démocrate et quelques semaines avant la réunion de la Convention Républicaine, un processus qui est déjà mis en doute dans l'esprit de beaucoup de gens sera mis en doute par tous", a-t-il dit. "L'examen d'un candidat par le Sénat dans ces circonstances n'est pas juste pour le président, pour le candidat ou pour le Sénat lui-même".
Alors que McConnell a fait volte-face sur la question, Biden a atteint les limites de l’hypocrisie en faisant volte-face pour ensuite faire volte-face à nouveau. Aucun des deux n’a de principes. Aucun d’entre eux n’est sérieux dans ses arguments. C’est parce qu’ils ne sont que deux hommes légèrement divergents au service de la même oligarchie unitaire :
Le processus opportuniste a déjà commencé avant même que le corps de Ginsburg ne soit refroidi, les influenceurs libéraux appelant les Démocrates à se rallier à une victoire en novembre pour "le tristement célèbre RBG" et les partisans de Trump abandonnant leur fausse attitude anti-establishment et se métamorphosant en une bande de mini-Mitch McConnells. Les Démocrates de gauche se font engueuler par les Démocrates traditionnels pour s'aligner et soutenir Biden ou ils seront tenus pour personnellement responsables de tous les droits civils qui seront retirés par le remplaçant de Ginsburg. ... Si vous croyez que l'Amérique a un système à deux têtes et un seul parti, conçu pour réduire le spectre des débats acceptables à des arguments sur la façon dont les programmes oligarchiques devraient être facilités plutôt que repoussés, en réalité, ce que vous voyez est une entité unique qui menace de vous retirer vos libertés civiles si vous ne la soutenez pas. Un seul et même establishment qui menace de vous frapper de la main droite si vous ne le laissez pas vous frapper de la main gauche.
Tous les cris qui vont suivre seront vains. Hillary Clinton pourrait proposer de remplacer Ruth Ginsburg, mais le funérarium refuserait probablement. Les dés sont jetés.
La seule question qui reste est de savoir si McConnell va faire passer le candidat de Trump par la confirmation du Sénat avant ou après l’élection du 3 novembre.
S’il le fait maintenant, il met certains des sénateurs républicains d’États charnières dans une position difficile. Voter pour le candidat de Trump pourrait décourager les électeurs centristes dont ils ont besoin pour conserver leur siège, tandis que ne pas voter pour Trump enragerait leur base Républicaine. Si McConnell attend, il y a un risque que Biden gagne l’élection et peut-être que les Démocrates gagnent le Sénat. Il aurait encore plusieurs semaines avant que les Démocrates ne prennent le pouvoir, mais certains sénateurs Républicains pourraient être réticents à l’idée de faire passer un candidat après avoir perdu une élection.
Quel que soit son choix, il est probable que la Cour suprême des États-Unis disposera bientôt d’une solide majorité conservatrice.
Quelle que soit l’hagiographie concernant Ruth Ginsburg c’est sa faute et celle des Démocrates. Ginsburg aurait dû démissionner lorsqu’elle a été poussée à le faire :
Les appels à la démission de Ginsburg ont commencé en 2011 lorsque Randall Kennedy, professeur de droit à Harvard et ancien assistant de feu Thurgood Marshall, a écrit un article dans The New Republic, exhortant gentiment Ginsburg, alors âgé de 78 ans, à prendre sa retraite pendant le mandat d'Obama. ... Après la réélection d'Obama en 2012, les appels pour que Ginsburg prenne sa retraite sont arrivés avec une nouvelle urgence. En décembre 2013, le National Journal publiait un article intitulé "Justice Ginsburg" : Dans cet article, l'écrivain James Oliphant faisait remarquer que l'adoption d'Obamacare risque de transférer le contrôle du Sénat aux Républicains en 2014, empêchant ainsi Obama de nommer un successeur à Ginsburg.
En été 2013, le président Barack Obama invitait Ginsburg pour un entretien. Cette invitation a été considérée comme une demande pour qu’elle prenne sa retraite. Mais Obama n’a pas proposé de remplaçant adéquat pour son poste. Les détails ne sont pas connus, mais Ginsburg a rejeté la personne qu’Obama avait en tête :
Se référant à la polarisation politique à Washington et à l'improbabilité qu'un autre libéral de sa trempe puisse être confirmé par le Sénat, Ginsburg, la juge libérale la plus âgée du banc de neuf membres, a demandé de façon rhétorique : "Alors dites-moi qui le président aurait pu nommer ce printemps que vous préféreriez voir à la cour plutôt que moi ?" Ginsburg, dans une large interview de 75 minutes avec Reuters dans son cabinet, tard jeudi, a également reconnu que le président Barack Obama l'avait invitée à un déjeuner privé l'été dernier à la Maison Blanche. C'était un geste inhabituel, a-t-elle concédé. ... Mme Ginsburg a déclaré jeudi que même si elle avait pris sa retraite, le président aurait été enclin à choisir un candidat de compromis plutôt qu'un libéral.
Le candidat assez centriste qu’Obama a proposé pour remplacer la progressiste Ginsburg n’était, selon elle, pas assez parfait. En conséquence, d’importantes décisions de la Cour suprême, comme l’affaire Roe contre Wade [droit à l’avortement], sont maintenant en danger.
Les libéraux doivent le regretter, mais il est malheureusement peu probable qu’ils en tirent la leçon.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone
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