LES ROSE un film historique nécessaire

Je me remets difficilement de cette plongée dans une époque historique déterminante pour ma génération et pour toute la Révolution tranquille et l’avenir du Québec. Une époque charnière dans notre récit national.

Un récit passionnant et un film improbable, tant il nous fait comprendre et vivre ces événements incroyables, mieux que ne l’aurait fait n’importe quel documentaire. Jacques Rose est absolument magnifique et c’est lui qui fournit au film sa trame narrative mais surtout sa trame émotive: il est beau (il l’a toujours été), il est fort, il est juste, il est respectueux, il est touchant, il est humain et québécois jusqu’à l’os: tout était bloqué, la démocratie ne fonctionnait plus, la misère du petit peuple québécois, harnaché par les patrons anglais depuis deux siècles, s’éternisait: « Il fallait relancer l’histoire, et pour le faire, il fallait un noyau dur capable de prendre des risques calculés, de passer à l’action et d’encaisser des coups. » Et c’est ce qu’ils ont fait. Quant aux inepties cyniques de Normand Lester, mieux vaut les ignorer.

On vit tout le parcours: l’enfance familiale, la banlieue sauvage, le travail misérable en usine, les comités ouvriers, la maison du pêcheur à Percé, l’organisation des cellules de combat, les vols, le camp d’entraînement, les enlèvements précipités, la fin tragique non voulue et non planifiée de Pierre Laporte, la cavale, les procès tumultueux au rythme des outrages au tribunal, des coups de poing en pleine cour, des contestations des femmes pour être admises comme jury, et l’incroyable accompagnent des deux fils et de tous les prisonniers politiques par l’exceptionnelle mère des Rose.. Le discours est toujours mesuré, censé, justifié, droit.

Quand Cassivi y voit une glorification du terrorisme, Mathieu Bock-Côté une violence irresponsable qui a fait reculer le Québec et même peut-être perdre le référendum de 1980, c’est qu’ils sont incapables de ressentir ce qu’a vécu cette famille qui ressemblait à des centaines d’autres; incapables surtout de comprendre cette époque charnière d’un peuple chez qui l’abcès gonflé de deux cents ans d’humiliation devait crever et libérer le mal; incapables aussi de voir que loin de nuire à l’indépendance, ces événements ont fait comprendre à tous, y compris les felquistes, que la voie du terrorisme était sans issue et qu’il fallait se tourner vers des stratégies politiques démocratiques. Ce qu’ils ont fait d’ailleurs, au grand désespoir parfois de René Lévesque, qui craignait comme la peste que le PQ soit associé aux radicaux et infiltré par eux. Vallières lui-même et les Rose ont quand même rejoint le PQ.

Ceux qui pensent encore que la Révolution des années soixante a été une Révolution tranquille et que le FLQ était du terrorisme romantique ont intérêt à voir ce film. D’ailleurs ce sont les Anglophones qui ont baptisé cette Révolution de tranquille: « the Quiet Revolution » et les politiciens qui ont qualifié le FLQ de romantique. Les gens ordinaire ont écouté le manifeste du FLQ et dit: « Au fond, ils ont raison, mais ils n’ont pas le droit de dire ça…et après la mort de Laporte… de faire ça. Ce sont sans doute les même qui ne voit toujours pas l’humiliation que subissent encore quotidiennement des milliers de travailleurs québécois.

Tout le monde d’ailleurs doit voir ce film passionnant, accompagné de la musique superbe de Philippe Brach: c’est un film nécessaire, et c’est presqu’un miracle que le propre fils de Paul Rose, heureusement servi par le témoignage de Jacques Rose -un témoignage qu’il avait toujours refusé jusque là- nous fasse don d’un tel cadeau de mémoire, d’intelligence et de coeur, au moment où tant de jeunes Québécois se demandent qui nous sommes et s’il vaut encore la peine de lutter pour continuer à l’être.

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