Chers amis, je sais que je vous avais promis un billet sur les tensions sino-américaines en Orient mais des éléments importants nous sont parvenus de Biélorussie.
Nos bons médias n’ont pas manqué de tomber dans l’habituel sensationnalisme russophobe quand Poutine a déclaré, il y a quelques jours, qu’il était prêt à envoyer des renforts à Minsk, oubliant évidemment de rapporter les précisions importantes de Vladimirovitch :
- seulement si la situation devient hors de contrôle
- ce qui est loin d’être le cas actuellement.
D’autres, habituels trolls des think tank ou de Langley, poussent, sans rire et pour la énième fois, leur chansonnette éculée : si Loukachenko tombe, l’abominable Vlad des neiges pourrait suivre. Le monotone refrain tourne en boucle depuis presque vingt ans…
Curieusement, la presse espagnole est bien plus pertinente dans ses analyses, comme cet article titré Le grand moment de Poutine en Biélorussie : « Les manifestations qui se répètent chaque jour (…) non seulement ne constituent pas un obstacle pour les plans du président russe, mais les facilitent en affaiblissant le dictateur biélorusse. [Celui-ci] est exactement où le Kremlin veut le voir : contre les cordes. » C’est peu ou prou ce que nous expliquions dans nos précédents billets.
De fait, Moscou semble jouer sur les deux tableaux. D’un côté, l’ours assure un Loukachenko affaibli de son soutien ; de l’autre, il continue de lorgner sur l’opposition, assez divisée comme nous l’expliquions le mois dernier :
Après avoir passé tout le mois de juillet à taper sur Moscou (mise à l’écart de Babariko, tour de magie des 33 « mercenaires » russes arrêtés), le grand benêt de Minsk a « gagné » ses élections avec un score soviétique. Personne ne peut évidemment y croire et la contestation a logiquement gagné les calmes rues biélorusses, avec son cortège de morts et de violence. Mais quelle contestation ?
En voulant donner des gages quelque peu infantiles de son indépendance vis-à-vis de l’ours, Loukachenko n’a-t-il pas affaibli l’opposition pro-russe au profit de l’opposition pro-occidentale ? Il est encore difficile de démêler l’écheveau tant les signaux sont contradictoires…
Après l’arrestation de Babariko, qui n’était certes pas le pion de Moscou mais travaillait tout de même pour Gazprom, Svetlana Tikhanovskaïa est devenue, à la tête d’un trio féminin inédit, la figure de proue de l’opposition. D’un côté, elle a préparé la présidentielle en organisant des concerts politiques gratuits avec de la musique russe et s’est alliée avec Veronika Tsepkalo, dont le mari, opposant à Loukachenko, s’est réfugié en Russie.
De l’autre, dame Svetlana, prof d’anglais de son état et femme de youtubeur (on connaît la propension des GAFAM à travailler main dans la main avec la CIA), est devenue l’égérie des médias occidentaux (voir par exemple cette tribune assez neuneu du Nouvel Oups) et s’est sauvée en Lituanie, fidèle soldat de l’OTAN.
De l’empire anglo-saxon ou de la mère Russie, vers qui son cœur, et celui de l’opposition, d’ailleurs relativement éclatée, penchera-t-il ?
En plein dans le mille, comme on va le voir. C’est en effet dans ce contexte que l’on vient d’apprendre, avec retard, la création en juillet d’un parti politique par Babariko (qui n’était pas encore arrêté) et Maria Kolesnikova, seule membre du « trio féminin » encore présente sur le territoire biélorusse et désormais championne de la contestation à Loukachenko.
Depuis que l’anglophile Svetlana Tikhanovskaïa s’est réfugiée en Lituanie, où elle essaie de continuer à exister, et Veronika Tsepkalo en Pologne (rejointe ensuite par son mari d’abord réfugié… en Russie), dame Maria a les coudées franches à Minsk et occupe le devant de la scène.
Or, qui dit Kolesnikova dit Babariko, donc Gazprom, donc… Moscou ? Une partie de la presse occidentale, plus pertinente dans sa russophobie, a senti le danger. S’il ne parle pas encore d’OPA du Kremlin sur le mouvement d’opposition, le Times anglais commence déjà à accuser, en termes voilés, la nouvelle égérie.
Simple hypothèse de votre serviteur : on peut même se demander si l’une des conditions russes en échange du soutien officiel à Loukachenko n’a pas été de ne pas toucher un cheveu de Kolesnikova et de la laisser occuper le terrain de la contestation. Ce ne serait d’ailleurs que justice, étant donné que Babariko a été le premier et principal opposant à l’autocrate moustachu avant d’être arrêté.
Mais si la chose se confirme, admirons la maestria du Kremlin, qui place à la fois le président biélorusse affaibli ET sa nouvelle adversaire dans une position d’obligés qui lui sont redevables. Nous en saurons sans doute plus dans les semaines à venir…
Source: Lire l'article complet de Chroniques du Grand Jeu