La tension monte aux quatre coins de l’échiquier. Si, au fil du temps, l’empire américain déclinant a dû faire une croix sur le cœur de l’Eurasie, il s’arc-boute dans sa stratégie de containment et ne veut rien lâcher. Sans surprise, les élections américaines de novembre n’arrangent rien, comme le résume symboliquement cette image :
L’équipe de campagne de Joe l’Indien a trouvé son filon : Les leçons de russe sont chères, votez (pour moi). Ce à quoi le Donald répond : Si vous votez pour Biden, vous serez obligés d’apprendre le chinois. On s’amuse comme on peut dans le Washingtonistan. Une chose est sûre : aux Etats-Unis, les deux bêtes noires de l’empire serviront de punching ball jusqu’en novembre, ce qui convient parfaitement au Deep State…
A l’Ouest de l’échiquier eurasien, la farce Navalny est une énième tentative foireuse, et tellement prévisible, de découpler le Rimland européen et le Heartland russe :
En cet auguste mois, la journaloperie a trouvé son feuilleton de l’été. Une vraie saga, avec empoisonnement raté et opposant ciblé par le terrible Poutine, mais qui peut quand même tranquillement partir à l’étranger se faire soigner, et dont la guérison miraculeuse rendrait jaloux le sanctuaire de Lourdes. Le scénario est quelque peu bancal mais nos plumitifs ne sont plus à ça près…
Derrière cette mascarade, évidemment, la pression impériale pour renouveler/durcir les sanctions euronouilliques à l’égard de Moscou, notamment à un moment charnière pour le Nord Stream II. Frau Milka a bien vu la manœuvre et veut absolument découpler les deux événements : la gazoduc n’a rien à voir avec le blogueur, meine Herren, qu’on se le dise.
Depuis, dame Angela a reçu les pressions adéquates et, en bonne euronouille feudataire, semble avoir à moitié retourné sa gabardine. Sur le cas Navalny, mais pas seulement, nous y reviendrons dans le prochain billet…
Sans surprise, le Nord Stream II est à nouveau sous le feu des critiques de tout ce que l’Allemagne et l’UE comptent de pions impériaux. C’était évidemment le but de la manœuvre alors que, comme nous l’expliquions en juillet, l’achèvement du pipeline de la discorde se jouera dans les arrêts de jeu.
Au passage, égratigner médiatiquement Moscou grâce à la presse aux ordres de Langley ne fait évidemment jamais de mal, d’autant que l’ours a le vent en poupe ces derniers temps :
En stratège avisé, Poutine rebondit sur le fiasco US [vote sur l’Iran à l’ONU, ndlr] et prend la main en proposant un sommet exceptionnel sur l’Iran. Moscou se place au centre du jeu, force tranquille vers laquelle tous les regards reconnaissants se tournent. Paris a déjà accepté le principe et les autres suivront, dont l’Allemagne, invitée en tant que signataire de l’accord de 2015. Ailleurs, dans les chancelleries mondiales, l’inexorable montée en puissance russe n’échappe à personne.
Vladimirovitch se met habilement les Européens dans la poche en leur offrant un rôle international que ne veut pas leur donner Washington, qui plus est avec la Houpette blonde à la Maison Blanche. Les déchirements euro-russes subséquents à l’affaire ukrainienne sont peu à peu en train de cicatriser, les coïncidences de vues se multiplient (Libye, Méditerranée orientale etc.) et les intérêts communs font le reste. Toujours utile dans la grande bataille énergétique autour du Nord Stream II…
Cette montée générale de tension entre Washington et Moscou, qui n’échappe pas aux observateurs avisés, est multiforme et se traduit également sur le terrain. La semaine dernière, Russes et Américains ont joué aux auto-tamponneuses en Syrie, avec quatre soldats US (légèrement) blessés. Dans les cieux, les interceptions sont en recrudescence, aussi bien dans le Grand nord qu’en mer Noire où des Sukhoïs ont virevolté autour d’un B 52 (le deuxième survol est pour le moins acrobatique) :
L’US Air Force crie au scandale mais est bien en peine d’expliquer ce qu’elle fait si près du territoire russe. Ces maudits Ivan, leurs frontières sont trop proches de nos bases ! Ces innocents amusements ne sont certes pas nouveaux mais on notera qu’ils se multiplient souvent en période de raidissement entre les deux grands. A ce titre, les prochains mois risquent d’être encore plus sportifs.
Histoire d’avions toujours, mais de l’autre côté de l’échiquier eurasien…
Le U-2 est un aéroplane légendaire de la Guerre froide et il se murmure même avec insistance que le célèbre groupe de rock irlandais, à la recherche d’un nom, s’est est tout simplement inspiré. Qui ne se souvient en effet du 1er mai 1960, quand un de ces avions espion, décollant de Peshawar au Pakistan, fut abattu au-dessus de l’URSS, causant une grande agitation internationale ? L’oiseau noir revient encore sur le devant de la scène deux ans plus tard, lorsque ses photographies montrent les rampes de lancement soviétiques à Cuba, menant à la fameuse Crise des missiles.
Modifié et amélioré, le gaillard est toujours en activité et vient d’observer les manœuvres navales chinoises dans la mer de Bohai, pourtant proclamée comme zone d’exclusion aérienne par Pékin le temps des exercices.
Certes, la marine du dragon, la plus importante du monde en nombre de bâtiments et en phase de modernisation rapide, commence à sérieusement inquiéter le Pentagone. Mais il faut également voir dans cette provocation un élément parmi d’autres de la politique de harcèlement généralisé décidée par l’hégémon déclinant face à la puissance montante. Piège de Thucydide, quand tu nous tiens.
A Washington, la sinophobie est maintenant presque autant à la mode que la russophobie, chaque camp, on l’a vu, choisissant sa névrose (Haro sur Moscou ! pour les Démocrates, Sus à Pékin ! pour une partie des Républicains). L’offensive globale contre la Chine à laquelle nous assistons désormais ressemble fort à un chant du cygne impérial. Ce serait du moins le cas si la partie adverse manœuvrait avec intelligence et subtilité, ce qui n’est pas toujours le cas comme nous le verrons au prochain épisode…
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