Concernant la Résistance libanaise, la 4ème intervention publique du Président Emmanuel Macron sur le Liban est sans doute la plus explicite. Nous transcrivons ici un extrait de la conférence de presse tenue le 1er septembre 2020 à l’ambassade de France à Beyrouth, en réponse à la question d’une journaliste locale en langue française. Une question offerte comme du pain béni aux opposants au Hezbollah et, apparemment, au Président :
Question : Vous avez dit que le Hezbollah est un parti élu par le peuple. Or, pensez-vous que les élections législatives peuvent avoir lieu en toute liberté tant qu’il y a un groupe armé qui est en train d’intimider ses opposants par la force de ses armes et par sa mainmise sur l’État et sur le pouvoir ? Pensez-vous qu’on pourrait vraiment entamer un dialogue pour la refonte du système dans de telles conditions Monsieur le Président ? Et est-ce que vous auriez eu les mêmes propos par rapport au Hezbollah s’il s’agissait d’un groupe armé en France ?
Réponse : Sur le sujet des élections législatives, ce que vous dites est un état de fait et nous avons eu cette discussion de manière très franche tout à l’heure autour de la table, y compris avec le représentant du Hezbollah. Et ce que vous décrivez est juste. Est-ce qu’il m’appartient à moi, pour autant, d’invalider des élections et de dire : je refuse de reconnaître une force politique ? Je ne parle pas du Hezbollah dans sa composante militaire et terroriste sur laquelle la France a toujours été claire et qu’elle condamne, mais sur le Hezbollah en tant que force politique. Est-ce qu’il est élu dans des conditions de sincérité du scrutin parfaites ? Je ne suis pas le juge de votre scrutin. L’observation internationale, le bon sens me conduisent plutôt à penser que ce que vous dites est vrai et juste. Et donc qu’il faut améliorer les choses sur ce point. Si je voulais être dans la pureté des intentions, je condamnerais le Hezbollah dans sa plénitude. Je dirais : je refuse de parler au Hezbollah en tant que formation politique à votre parlement, en tant que partenaire politique de la majorité que vous avez élue, elle, ce qui vous pose, par rapport à votre question, un autre principe politique et constitutionnel. Et je vous dirais : c’est très simple, il faut les condamner, les désarmer, et je repartirais chez moi. Et vous resteriez avec votre problème. Et je n’aurais rien changé avec votre problème. Je pense d’ailleurs que toutes les Libanaises et les Libanais, qui vivent en France, me diraient : merci Président, vous avez bien parlé. Mais je n’aurais eu aucune action utile. J’essaie de dire ce que le pense, la vérité au plus près et d’avoir une action utile.
Sans doute le Hezbollah est-il une force politique présente à votre parlement, parce qu’il y a eu de l’intimidation et parce qu’il joue sur cette dualité. Ce que vous dites est vrai. Il l’est aussi, sans doute, parce que beaucoup d’autres forces politiques n’ont pas réussi à bien diriger le pays, à rendre les gens un peu plus heureux, aussi, et c’est sans doute un peu vrai. Et que si l’on continue comme ça, il sera de plus en plus fort, parce qu’avec des moyens qui ne sont pas ceux des autres forces politiques, des pratiques qui ne sont pas reconnues par la vie internationale, parfois une plus grande efficacité sur le terrain, socialement, culturellement, il a une clientèle. C’est ça la réalité. Je vous parle très franchement. Et donc, moi j’essaie avec vous d’avoir un discours sincère et de ne pas m’enrober dans les principes et donc, par rapport à votre question, je vous ai répondu très précisément et de la manière la plus sincère.
Comment on en sort ? Pas avec des mots dans une déclaration qui n’est pas consensuelle et qui fait que, au fond, le partenaire de votre parti majoritaire vous ne le traitez pas et donc vous pouvez vous amuser à bloquer toutes les réformes, mais en ayant un discours sincère avec le Hezbollah, formation politique, lui disant : vous voyez bien que c’est un problème pour vous aussi aujourd’hui. C’est exactement la discussion que nous avons eu il y a une heure, exactement ! Je leur ai dit : donc, à notre prochain rendez-vous pour les prochaines réformes, on doit parler de ce sujet. Est-ce qu’on arrive à le résoudre tout de suite ? Je ne sais pas. Ça ne doit pas être un tabou. Mais est-ce que c’est un principe qui interdit toute discussion sur le reste ? Ça ne marche pas. Donc, je suis comme je vous l’ai déjà dit, un vrai idéaliste, c’est-à-dire un vrai pragmatique. Je crois dans mes principes. Je les défends. Je sais où est mon horizon. Je ne cède rien par rapport à ça, mais j’essaie de construire avec vous le chemin. Sinon, il n’y a pas de chemin pour arriver à l’endroit qu’on évoque. Voilà ! [de la 40ème minute à la 44ème minute].
Le lendemain, 2 septembre, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo ne s’est pas embarrassé d’un tel distinguo [5]. Il aurait précisé que les États-Unis et la France partageaient les mêmes objectifs pour le Liban et que le principal défi était le pouvoir du parti politique armé Hezbollah que son pays considère comme un groupe terroriste [Mouna Alno-Nakhal, NdT].
La déclaration du secrétaire d’État américain Mike Pompeo, venu soutenir l’initiative de Macron au Liban tout en confirmant une coordination préalable entre Washington et Paris, a été une reconnaissance réaliste du fait que les événements récents dont nous avons été témoins sont l’expression d’un virage occidental dirigé par les États-Unis, mais délégué à la France, afin de maintenir l’influence occidentale sur le pays et de bloquer le changement suggéré par la Résistance pour échapper à l’étranglement économique ; Macron ayant laissé entendre qu’il en contiendrait les effets sans s’être engagé, jusqu’ici, à en défaire les contraintes.
Premièrement : Le président français n’a pas mentionné les sanctions américaines imposées au Liban. Et, en dépit de son ouverture politique au Hezbollah et de ses paroles positives sur son rôle ainsi que son poids politique et représentatif, il a maintenu un langage hostile quant à son rôle central de résistance face à la menace sioniste, à ses attaques aériennes incessantes et à son occupation de certaines parties du territoire libanais ; tentative forcée de dissociation entre la position occidentale consistant à traiter la Résistance d’organisation terroriste et sa qualité de force majeure, politique et populaire, qu’il est impossible d’ignorer.
En ce sens, ce changement du discours officiel français est un retour à la reconnaissance effective de la Résistance, de son poids majeur dans la vie nationale libanaise et de ses équilibres. C’est aussi un retour à la communication coupée par Paris ces dernières années au cours desquelles la France s’est intégrée au plan américain de démolition de l’axe de la Résistance et aux tentatives devant mener à un renversement global et stratégique qui soumette l’Orient arabe à la domination occidentalo-sioniste via deux grandes guerres, menées directement et par procuration, dans le but de détruire la Syrie et le Yémen.
Deux guerres dans lesquelles l’implication française a été totale, ses effets étant toujours d’actualité aux niveaux politique, médiatique, militaire et du renseignement, particulièrement en Syrie, où le Hezbollah fut un véritable fer de lance dans le combat contre les plans occidentaux.
Deuxièmement : Cette dimension ne peut donc être écartée du contexte de l’initiative française en direction des dirigeants de la Résistance, après tant d’épisodes de confrontations féroces. Et ce, quelles que soient les amabilités des salonards ou les expressions choisies avec soin par le Président Macron pour la promotion de son image de « sauveur du Liban » ou l’affirmation de l’idée d’une France, « tendre mère », qui n’abandonnerait pas ce pays en détresse. Une mère qui n’a cessé de participer à son étranglement depuis la guerre de Juillet [2006] jusqu’au moment de l’arrivée de son président visiteur.
Or, la déclaration de Mike Pompeo à propos de la coordination et de l’entente avec la France, en ce qui concerne le Liban, revient à dire qu’une sorte de mandat américain a été accordé au président français, afin de contenir la crise libanaise et de traiter avec la direction de la Résistance devenue le cauchemar de Washington et de Tel Aviv. Par conséquent, elle est venue confirmer que le revirement n’était pas dû au seul effort de la France. Chose acquise, que cette entente ait précédé ou suivi l’explosion du port de Beyrouth et la première visite de Macron [1][2] ; lequel a saisi l’opportunité d’une ingérence positive au service des intérêts occidentaux dans le bassin méditerranéen, justement à partir du Liban et tout près de la Syrie où s’accumulent les éléments d’une défaite majeure de l’OTAN ayant pesé de tout son poids dans une guerre directe et indirecte, usant de ses énormes potentialités tout au long des dix dernières années.
Troisièmement : Les Libanais ordinaires, fatigués, ont tendance à adopter le mythe de l’empathie française. Certains se sont précipités avec empressement à la rencontre du président visiteur, tandis que d’autres ont témoigné d’une disposition culturelle flagrante au Syndrome de Stockholm en souhaitant le rétablissement du mandat étranger ; les promesses de Monsieur Macron leur apparaissant comme une lueur d’espoir qui les mènerait à sortir de la crise qui les étrangle, en dépit du fait qu’elles sont restées dépendantes des conditions exigées par le Front monétaire international. Pour ceux-là, toute critique de tels comportements est ressentie comme une privation frustrante quant à l’espoir qu’ils ont imaginé.
Et alors que ceux qui avaient parié sur une action contre la Résistance libanaise et ses alliés recevaient la gifle retentissante du « pragmatisme » de Macron expliquant l’obligation de reconnaître les forces politiques en présence et de dialoguer avec elles, tous ceux qui s’étaient élevés contre la suggestion de se diriger vers l’Est se sont mis à vociférer contre les propositions des Chinois, des Iraniens et des Irakiens, tout en bloquant l’idée de revitaliser les relations avec la Syrie par des injections répétées de leur inimitié.
De même, les prétendus jaloux de leur souveraineté et de leur indépendance n’ont rien trouvé qui puisse égratigner leurs nobles sentiments, ni dans les paroles de Macron témoignant d’une ingérence directe dans les affaires intérieures du Liban, ni dans les comportements de dirigeants politiques libanais lui présentant leurs propres projets de réforme, fin prêts à subir tous les tests de qualification afin de participer à l’atelier de sauvetage animé par le président français, non sans chercher à arranger leurs dossiers d’investissement et leurs cahiers de règlements de telle sorte que soient qualifiées les entreprises françaises ; d’où des transactions lucratives et rentables dans un pays effondré et épuisé au moindre coût.
Le Libanais modeste crie « où est le mal tant que le cycle de la vie peut reprendre et que ses conditions peuvent s’améliorer ? ». Entretemps, les programmes nationaux disparaissent, tandis que les orateurs et les théoriciens attendent l’occasion de se voir catapultés au poste de ministre ou tout autre poste leur permettant d’établir des contrats, vu que la France a gardé une part parmi les « élites » libanaises, malgré l’attaque anglo-saxonne qui a néanmoins éclaté depuis « l’Accord de Taëf ». Et voilà que d’autres frustrés crient à nouveau : « C’est cela le Liban ! ». Une expression sur laquelle nous reviendrons…
Ghaleb Kandil
03/09/2020
Source : New Orient News
http://neworientnews.com/index.php/news-analysis/83315-2020-09-03-08-03-08
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Notes :
[2]Liban – Conférence de presse du Président Emmanuel Macron depuis Beyrouth (6 août 2020)]
[4][Conférence de presse du Président de la République à la Résidence des Pins (1er septembre 2020]
[5][Pompeo : le gouvernement libanais doit poursuivre un « vrai changement », (2 septembre 2020)]
***
Monsieur Ghaleb Kandil est le Directeur du Centre New Orient News et membre du Conseil national de l’audiovisuel au Liban (CNA) chargé des relations arabes et internationales.
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca