par Alexandre Lemoine.
La brusque escalade de la tension entre la Grèce et la Turquie à cause d’un litige territorial en Méditerranée orientale a sérieusement secoué les puissances de l’UE. Pendant qu’Athènes et Ankara échangent des menaces, organisent des exercices militaires et renforcent leur contingent dans la région contestée, l’Allemagne a envoyé d’urgence dans les deux capitales en conflit son ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas pour régler cette crise qui menace à tout moment d’échapper au contrôle.
En prévision de son entretien avec le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le chef de la diplomatie allemande a déclaré que « la fenêtre de dialogue entre la Grèce et la Turquie doit s’élargir au lieu de se fermer ». Toutefois, la Turquie, qui attend également la visite de Heiko Maas, a immédiatement paré : c’est la Grèce qui « sape » l’objectif de rétablir les contacts à haut niveau entre les deux pays voisins, mettant ainsi la diplomatie allemande dans une situation très difficile.
Ankara fait allusion à la décision de la Grèce de désigner la zone au sud de la minuscule île de Kastellorizo de zone d’exercices navals. Le territoire litigieux, où le navire de recherche turc Oruç Reis est actuellement à la recherche d’hydrocarbures sous la protection de navires de guerre, est fermé à la navigation à partir de la soirée du 25 au 27 août. Mais la Turquie « ne fera pas un seul pas en arrière », cite le quotidien turc Daily Sabah les propos du président turc Recep Tayyip Erdogan. « La Grèce sèmera le chaos qu’elle ne pourra pas éviter. Maintenant seule la Grèce est responsable pour tous les conflits dans la région et elle sera la seule à en souffrir », a mis en garde dans la manière qui lui est propre le dirigeant de la Turquie. Pour appuyer les paroles par les actes Ankara a annoncé le lancement immédiat d’exercices militaires au sud de l’île grecque Crète en attisant davantage la situation.
Rappelons que le fantôme du conflit gréco-turc en mer d’Égée qui planait dans l’air depuis le milieu des années 1990 (en 1996, les pays étaient déjà au seuil d’une guerre à cause du litige autour de l’îlot Imia) devient cette fois pratiquement inévitable. Et pour cause non seulement les ambitions territoriales grandissantes de la Turquie, qui considère comme injustes les frontières maritimes tracées dans la région après la Première Guerre mondiale, mais également les riches ressources pétrolières et gazières découvertes sur place. Personne ne veut céder dans la bataille pour leur contrôle. Cherchant à « baliser » son droit au plateau riche en gaz la Turquie a préalablement signé un accord sur la délimitation des frontières maritimes avec le gouvernement d’union nationale de la Libye. De son côté, la Grèce a signé, le 6 août, un accord sur la démarcation des zones maritimes avec l’Égypte. Athènes et Ankara ne reconnaissent pas la légitimité de ces accords et estiment qu’ils transgressent les droits du camp opposé.
Pour la Grèce le compromis est inacceptable : en cédant aux Turcs une partie du plateau même près de l’île de Kastellorizo, située à 580 km de la Grèce continentale et à seulement 2 km de la Turquie, les Grecs risquent de se retrouver confrontés aux appétits territoriaux et énergétiques encore plus grands d’Ankara. Sans trop compter sur ses propres moyens Athènes cherche à tout prix à internationaliser le conflit, le présentant comme une atteinte d’Ankara aux principes du droit international et aux frontières extérieures de l’UE. En l’absence d’un soutien de l’Otan, qui généralement ne brûle pas d’envie d’impliquer l’Alliance dans les querelles gréco-turques qui perdurent, les Grecs misent sur la menace de sanctions antiturques de l’UE, ainsi que sur les alliances situationnelles avec l’Égypte, Israël, les Émirats arabes unis et Chypre. Toutefois, on ignore quelle aide pratique ces pays pourront et surtout s’ils voudront apporter aux Grecs en cas d’un véritable conflit armé contre la Turquie.
Pour l’instant, la Grèce a bénéficié d’un soutien pratique uniquement de la France, qui a envoyé en mer d’Égée une frégate et un porte-hélicoptères pour participer aux exercices conjoints avec les Grecs. Sachant que Paris, qui fait preuve sous la présidence d’Emmanuel Macron d’une activité internationale accrue, n’est pas tant guidé par la solidarité européenne que par ses propres intérêts économiques. Le fait est que la compagnie française Total dispose déjà d’un droit d’exploitation des gisements gaziers sur le plateau de Chypre, et il n’est pas exclu que les Grecs aient promis aux Français une part dans le futur partage du gâteau énergétique méditerranéen.
En ce qui concerne les États-Unis, sur qui les Grecs comptaient principalement, ces derniers seront manifestement très déçus. Bien que ces dernières années le gouvernement grec se plient à toutes les exigences de Washington en mettant son territoire à disposition pour les nouvelles bases américaines et en élargissant la présence militaire américaine dans le pays, le président américain Donald Trump voit obstinément en Recep Erdogan un « dirigeant puissant » et un « excellent joueur d’échecs ».
« Nous pensions pendant des décennies qu’en cas d’aggravation menaçante des relations entre la Grèce et la Turquie, Washington interviendrait pour régler la situation. La récente retraite politique des États-Unis de plusieurs régions du monde réduit la probabilité d’une intervention américaine dans les relations gréco-turques. Cela résulte du choix stratégique personnel du président américain », affirme le journal grec Kathimerini.
source : http://www.observateurcontinental.fr
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