Un couple de Saint-Louis, en Louisiane, qui s’est rendu célèbre pour avoir pointé des armes à feu sur des manifestants du mouvement d’appel à l’égalité raciale Black Lives Matter. Une adepte du « vote familial » pour lequel le mari aurait le dernier mot. Ou encore une candidate républicaine au Congrès qui fait la promotion de théories farfelues cherchant à salir la réputation des démocrates en laissant entendre qu’ils entretiennent des réseaux de pédophilie. En plus d’avoir succombé au satanisme.
Depuis le début de la semaine, la convention nationale républicaine, qui s’est ouverte à Charlotte lundi et qui se poursuit jusqu’à jeudi depuis Washington dans un format principalement virtuel, donne aussi la parole à une jolie brochette de conspirationnistes, de racistes, d’antisémites et de conservateurs hyperradicaux qui commencent à mettre mal à l’aise certains électeurs de droite dans ce pays.
« C’est un moment terrible pour être conservateur, résumait lundi la chroniqueuse Kathleen Parker dans les pages du Washington Post. Vous détestez la plateforme démocrate, mais vous ne pouvez pas tolérer non plus le président. Quel parti tient le mieux la route ? Biden avec ses manifestants et ses utopistes du contrôle du climat ? Ou Trump, qui embrasse QAnon, les suprémacistes blancs et les skinheads ? »
QAnon ? Le groupe informel entretient depuis des années l’idée qu’il existe un « État dans l’État », anti-Trump, qui œuvrerait au sein des institutions américaines pour déjouer les projets de réforme du président. Ses théories, amplifiées par les réseaux sociaux comme Facebook, s’abreuvent à l’antisémitisme, aux théories du complot impliquant plusieurs figures du monde de la politique, des médias et du divertissement, accusées en substance d’être à la solde d’un petit groupe d’individus cherchant à manipuler et à contrôler le monde.
En 2016, c’est ce groupe qui a fait circuler les accusations non fondées de camouflage par Hillary Clinton d’un réseau de trafic d’enfants et d’abus sexuel, orchestré par son responsable de campagne et utilisant une pizzeria de Washington, le Comet Ping Pong. Un homme de la Caroline du Nord, révolté par ce complot, y avait alors débarqué en décembre, arme au poing, pour libérer les enfants. Il n’avait rien trouvé.
Le FBI considère le groupe comme une menace terroriste importante.
N’empêche, jeudi, Marjorie Taylor Greene, candidate de la Géorgie à un siège au Congrès et tenante des réalités alternatives partagées par QAnon, se prépare à prendre la parole lors de la convention. Le président, qui l’a invitée, l’a qualifiée lors de sa nomination de « future étoile républicaine ».
L’aspirante députée s’est fendue de plusieurs commentaires islamophobes par le passé, en plus de soutenir que l’attaque contre les opposants à une manifestation de suprémacistes blancs à Charlottesville, en Virginie, en 2015, par un jeune néonazi, avait été pilotée par le « Deep State », cet État parallèle et souterrain. Une femme avait alors été tuée.
En 2017, elle affirmait dans une vidéo : « Nous avons une occasion unique de nous débarrasser de cette cabale mondiale de pédophiles adorateurs de Satan, et je pense que nous avons le président pour le faire. »
La semaine dernière, Donald Trump a affirmé ne pas connaître QAnon, mais il a tout de même remercié les membres de ce groupe de le soutenir.
Des rapports toxiques
«Marjorie Taylor Greene cause un grand tort à l’image du parti républicain, résume Gary Sasse, stratège républicain joint au Rhode Island. De nombreux membres haut placés du parti ont dénoncé sa présence, mais le président, non. Sa conduite est tout simplement répréhensible. Il n’y a pas de place, dans aucun des deux partis de ce pays pour quelqu’un qui appuie des théories du complot d’extrême droite et adhère au racisme.»
« Plusieurs républicains auraient préféré ne pas avoir ces conspirationnistes à la tribune de la convention, a indiqué jeudi le stratège politique du parti, Mike DuHaime, en entrevue au Devoir. Il s’agit de personnes controversées qui risquent de faire fuir des républicains plus modérés et des électeurs indépendants », dont Donald Trump a besoin pour remporter le prochain scrutin.
Mardi, le parti a toutefois cherché à limiter les dégâts en retirant à la dernière minute une intervention vidéo du programme mettant en vedette Mary Ann Mendoza, une « Angel Mom » qui en 2014 a perdu son fils dans un accident de voiture impliquant un conducteur ivre vivant illégalement aux États-Unis. Elle est devenue depuis une farouche militante des politiques anti-immigration du président. La veille, sur Twitter, elle avait fait la promotion d’une vidéo à caractère antisémite, mais s’était également illustrée par le passé pour des liens avec un théoricien de QAnon.
Plusieurs républicains auraient préféré ne pas avoir ces conspirationnistes à la tribune de la convention
Entre éloge du président et des valeurs conservatrices qu’il prétend défendre et controverse, la convention républicaine semble avoir fait son nid depuis lundi avec la présence à la convention de la militante antisyndicale Rebecca Friedrichs, enseignante au primaire. En juillet dernier, dans une lettre d’opinion publiée par le Washington Times, cette fondatrice du mouvement « Pour les enfants et pour le pays » dénonçait les cours d’éducation sexuelle dans les écoles publiques du pays qui, selon elle, « préparent nos enfants à être sexualisés » au profit de prédateurs comme Jeffrey Epstein.
Mardi, c’est la militante pro-vie Abby Johnson qui y a fait une apparition remarquée pour dénoncer, comme elle le fait depuis des années, les cliniques d’avortement où elle dit avoir travaillé. En mai, rapportait cette semaine l’Associated Press, elle avait appelé à la création d’un « vote familial » régi surtout par l’homme au sein du ménage. « Dans une maison pieuse, le mari aurait le dernier mot », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux.
Elle a dit également, dans une vidéo publiée en ligne, accepter que son fils adoptif, un métis, soit « profilé par la police » quand il sera grand, car « statistiquement [il] est plus susceptible de commettre une infraction violente que mes fils blancs ».
Contenir le message
« Voilà le genre de choses qui ont plus d’importance dans les médias qu’au sein du parti, a résumé cette semaine la directrice adjointe des communications de la convention républicaine Cassie Smedile sur les ondes d’ABC. Si vous demandez aux membres ce qu’ils en pensent, ils ne savent même pas de quoi vous parlez. »
Selon elle, les instances de la formation politique gèrent très bien les interventions des soirées de la convention pour « ne pas distraire les voix merveilleuses de la programmation » et s’assurer que « le message reste au bon endroit ».
Mais ces controverses donnent du fil à retordre aux stratèges républicains, qui depuis plusieurs semaines voient leur candidat malmené dans les sondages. Elles entretiennent aussi l’idée que ce président « est une blague », comme le laissent entendre avec exaspération plusieurs électeurs, démocrates comme républicains, rencontrés au Wisconsin, en Illinois et dans les deux Carolines depuis plus d’une semaine.
Le dernier coup de sonde Morning Consult/Politico donne toujours 10 points d’avance à Joe Biden à l’échelle du pays. Trump est également menacé en Caroline du Nord, où s’est amorcée la convention, traînant de la patte derrière l’ex-vice-président. Il avait remporté cet État avec une faible majorité en 2016.
Ce reportage a été financé grâce au soutien financier du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.