Recherche menée par Robert Gil
Après Charlie, après le Bataclan, après Nice, après Saint-Etienne-du-Rouvray, après des assassinats de policiers à leur domicile, après la vague d’agressions meurtrières en Allemagne, nos sociétés se livrent à des batailles d’interprétation. Nous nous déchirons quand il s’agit de comprendre qui sont les assassins, et percer leurs motivations. Quelle est la place du religieux et celle du social ? La place du phénomène collectif et la part de la pathologie individuelle.
Il est vrai que ce n’est pas chose aisée, tant les profils des tueurs, les modes opératoires, les cibles choisies sont nombreux et divers. Le jeune fanatique qui a égorgé un prêtre, le 26 juillet, dans une église de Normandie, ne ressemble pas au tueur de Nice. Si ce n’est par un même mépris pour la vie humaine, une même cruauté, et une même envie de mourir. Devant la complexité du problème, le risque est celui d’une réponse simple, trop simple, ramenée à un seul mot : « Daech ». C’est la grande faiblesse de nos politiques en quête d’un message rapide à destination de leurs électeurs. Le politique, celui qui parle immédiatement, vite est fort, se doit de ne douter jamais. Dans le discours ambiant, l’acronyme arabe d’État islamique finit par tout expliquer, et tout résumer.
La tentation est forte d’imaginer que l’on aura résolu nos problèmes quand on aura écrasé cette secte sous les bombes, en Irak et en Syrie. Un camion fonce dans la foule à Nice, et François Hollande envoie le porte-avions Charles de Gaulle au large du Liban. Cette lecture militaire a deux inconvénients, ici et là-bas. Là-bas, elle confond Daech avec une armée traditionnelle à effectifs constants, omettant que cette organisation s’enracine dans la population sunnite, et qu’elle se reconstituera aussi longtemps que de vraies solutions politiques ne seront pas trouvées aux conflits du Moyen-Orient. L’autre inconvénient est évidemment, ici, de faire l’impasse sur les tares de notre société.
La bataille est aussi culturelle et sociale
Ces jeunes Français qui se laissent embrigader par la propagande de Daech, directement ou par une sorte d’imprégnation, sont presque tous des petits délinquants. Beaucoup ont des antécédents psychiatriques, et parfois les deux. Daech ne leur apprend ni la violence, ni la folie, mais leur donne une cause qui « légitime » à leurs yeux l’une et l’autre. Avant de vouloir mourir en tuant, ils veulent mourir tout court. Pourquoi cette idéologie du « no futur » a-t-elle prise sur ces jeunes gens qui vivent parmi nous ? La multiplication des passages à l’acte sous le label plus ou moins clair de Daech ne peut pas nous exonérer de rechercher les causes de toute cette violence au plus profond de notre société. Il s’agit moins de « déradicaliser » que d’éduquer et d’intégrer, et de donner une place à chacun.
Ces considérations n’excluent pas le renseignement, et le cas échéant, la répression. Encore faut-il que cette répression ne cède pas à ceux qui rêvent d’exploiter la situation pour renier sur les libertés publiques ou relancer un débat nauséabond sur l’identité nationale. Lorsque Nicolas Sarkozy invite le gouvernement à ne pas s’arrêter à des « arguties juridiques », qu’entend-il par là ? On peut redouter que les « arguties » en question, ce soit tout simplement ce qu’on appelle le droit. On ne manquera pas de mettre en accusation les juges qui ont accordé une autorisation de sortie quelques heures chaque jour à l’assassin du prêtre de Saint-Etienne du-Rouvray. Et avec eux, la magistrature et la justice. Et, bien sûr, une certaine presse activera la « polémique ». Mais que veut-on ? Que l’on condamne à la prison à perpétuité tous ceux qui ont eu des velléités de partir en Syrie ? Que l’on ouvre des Guantanamo à la française pour y enfermer sans jugement, et définitivement, tous les « suspects », sans savoir d’ailleurs ce que recouvre ce concept ?
La vérité, c’est que la bataille que notre société doit mener est aussi culturelle et sociale. Combat au long cours pour remédier aux méfaits de trente années de politique néolibérale, et de discrimination, et qui, certes, n’empêchera pas le crime auquel nous serons confrontés demain ou après demain. Et un combat qui n’est surtout pas exclusif des autres pour préserver des jeunes gens des mauvaises influences, et prévenir leur dérive. Mais on voit bien que le discours officiel se garde d’aborder cet aspect. Il est toujours plus facile d’externaliser le mal, de tout expliquer par « Daech », ou par le salafisme, quand ce n’est pas par l’islam tout court, que de s’interroger sur nos propres faillites.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec