Par Scott Ritter
Source : RT, 21 août 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Dans un monde où l’exceptionnalisme et l’unilatéralisme américains sont devenus monnaie courante, l’impudence de la tentative du secrétaire d’État Pompeo d’imposer des sanctions « automatiques » à l’Iran remporte le pompon. Sans parler du fait que cet effort est voué à l’échec.
En ce qui concerne l’Iran et l’accord sur le nucléaire iranien (officiellement connu sous le nom de Plan d’action global conjoint ou JCPOA), le Président Trump s’est concentré sur un seul objectif : ramener la République Islamique à la table des négociations dans le but de produire un « meilleur accord » que celui conclu par son prédécesseur, Barack Obama, en juillet 2015. Pour l’ancien agent immobilier new-yorkais et star de la télé-réalité devenu PDG de l’Empire américain, tout doit aller comme sur des roulettes : après tout, il s’est auto-proclamé meilleur « négociateur » au monde. La manière dont l’accord sera conclu, et même ce qui constituera l’accord, sont moins importants que l’accord lui-même. Cet objectif a dominé sa réflexion sur l’Iran en tant que candidat et continue de l’obnubiler en tant que Président.
La décision précipitée de se retirer du JCPOA en mai 2018 était davantage motivée par le besoin de commencer à façonner le champ de bataille diplomatique à l’appui d’une nouvelle négociation que par des préoccupations légitimes de sécurité nationale. L’objectif de Trump a toujours été d’obliger l’Iran, par la mise en œuvre de sanctions économiques combinées à l’isolement politique, à abandonner le JCPOA de l’ère Obama et à s’asseoir avec le nouveau « négociateur » américain pour élaborer un « accord global » qui rendrait tout le monde heureux [surtout Washington et Israël].
Les Etats-Unis contre le reste du monde
Le problème dès le départ, cependant, était que les États-Unis étaient seuls à déplorer la manière dont l’accord était mis en œuvre. Parmi les autres parties au JCPOA (France, Grande-Bretagne, Allemagne, UE, Russie, Chine et Iran), l’accord prouvait sa viabilité en empêchant l’Iran de s’engager dans des actions de « percée » qui pourraient l’amener à obtenir suffisamment de matières fissiles des centrifugeuses de son programme d’enrichissement d’uranium pour construire un dispositif d’armement nucléaire – qu’il a toujours rejeté. Trump s’était néanmoins accroché aux soi-disant « clauses d’extinction » du JCPOA, qui levaient les restrictions sur l’utilisation de centrifugeuses par l’Iran après une période de plusieurs années, permettant à l’Iran de passer outre les calculs hypothétiques concernant « la percée » nucléaire, et, partant, le but fondamental du JCPOA.
La décision américaine de se retirer unilatéralement du JCPOA s’est avérée être un désastre politique absolu, qui a permis à l’Iran, à la Russie et à la Chine de devenir les « parties lésées » et a creusé un fossé entre les États-Unis et leurs alliés européens. Plutôt que d’admettre sa défaite et d’œuvrer à restaurer le statu quo en réintégrant le JCPOA [sans même parler des indemnités exigées par l’Iran], l’administration Trump a choisi la fuite vers l’avant, menaçant de réimposer les sanctions de l’ONU qui avaient été suspendues lors de l’entrée de l’Iran dans le JCPOA via des mécanismes procéduraux contenus dans le corps de cet accord appelant à un « retour automatique » des sanctions si une partie a à se plaindre de violations des clauses de l’accord par une autre partie. Le véritable objectif du stratagème américain consistant à réimposer les sanctions « instantanées » n’était pas dû à une violation de la part de l’Iran, mais plutôt à un désir d’empêcher la levée automatique d’un embargo sur les armes qui avait été prévu dans le texte du JCPOA. Cet embargo devait prendre fin automatiquement en octobre 2020.
Voir Condamnation du programme spatial iranien par la France : le chien aboie, la caravane passe
Les États-Unis ont cherché à faire pression sur le Conseil de sécurité pour qu’il adopte une résolution qui rendrait cet embargo permanent. La Russie et la Chine avaient promis de mettre leur veto, de sorte que la défaite de la résolution était inévitable. L’objectif de la tentative était cependant de persuader au moins neuf autres membres de l’organe composé de 15 membres de voter en faveur de la résolution, donnant ainsi aux États-Unis une sorte d’autorité morale lorsqu’ils convoqueraient le Conseil de sécurité au sujet de la réimposition des sanctions « automatiques ». La plupart des autres membres du Conseil de sécurité, reconnaissant que s’ils intervenaient pour renverser une clause mandatée par le JCPOA, ils mettraient en péril la participation continue de l’Iran à l’accord, se sont plutôt abstenus de voter sur la résolution. Seule la République dominicaine s’est rangée du côté des États-Unis ; la Russie et la Chine, comme prévu, ont opposé leur veto.
L’accord de Trump sinon rien
N’ayant pas réussi à obtenir le soutien moral convoité, les États-Unis auraient pu admettre leur défaite et se regrouper, en essayant de trouver une autre voie moins controversée. Mais la politique américaine de « pression maximale » ne souffre pas d’une telle faiblesse, surtout que Donald Trump s’est vanté qu’il obtiendrait un nouvel accord avec l’Iran dans les quatre semaines suivant sa réélection [une déclaration grotesque qui démontre son hybris et sa capacité à proférer les mensonges les plus flagrants]. Pour avoir ne serait-ce que la plus infime chance de réaliser cela, les États-Unis devraient non seulement maintenir le régime de sanctions unilatérales existant qu’ils appliquent à l’Iran, mais aussi augmenter encore la pression, ce qui ne pourrait être fait qu’en réimposant automatiquement les sanctions de l’ONU via le mécanisme du « snap back » du JCPOA.
Si les États-Unis réussissaient à « réimposer » les sanctions de l’ONU, ce serait la mort du JCPOA, car jamais l’Iran ne continuera à se conformer à un accord qui ne tient déjà plus ses promesses [l’Iran a déjà commencé à s’en libérer suite aux manquements de l’Europe]. Les autres parties au JCPOA l’ont compris et ont indiqué qu’elles n’étaient pas disposées à accepter le programme américain. De plus, ces pays estiment que puisqu’ils se sont retirés unilatéralement du JCPOA, les États-Unis n’en sont plus un « participant », et à ce titre, n’ont aucune autorité juridictionnelle ou légale pour lancer ses dispositions de « réimposition automatique des sanctions ».
« Paris, Londres et Berlin affirment avoir respecté leurs obligations en vertu du JCPOA.
Réalité :
– Zéro importation de pétrole iranien
– Embargo sur les banques iraniennes et déconnexion du système de paiement SWIFT
– Non-application de la loi de blocage (visant à empêcher l’application de sanctions américaines extraterritoriales)
– Exode des entreprises européennes en Iran
– Aucune vente à l’Iran des aliments & médicaments ‘exemptés’ de sanctions. »
Tweet de Javad Zarif, Ministre des Affaires Etrangères de l’Iran (15 janvier 2020).
Le 20 août, le secrétaire d’État Mike Pompeo, ignorant les avertissements des autres parties du JCPOA, a rencontré le président du Conseil de sécurité dans le but de lui remettre une lettre annonçant que les États-Unis activaient les procédures de « snap back », et que dans 30 jours, il convoquerait un vote sur la question par le Conseil de sécurité. Presque immédiatement, les actions américaines ont été condamnées par les autres parties du JCPOA, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne qualifiant la décision des États-Unis d’ « incompatible avec nos efforts actuels pour soutenir le JCPOA », et la Russie et la Chine qualifiant l’effort d’ « illégal ».
La destruction du Conseil de sécurité est un résultat acceptable pour les États-Unis
Face à cette opposition unanime, l’administration Trump n’a montré aucune indication qu’elle était disposée à reculer. Le Conseil de sécurité de l’ONU navigue sur des eaux inconnues, n’ayant jamais été confronté à un défi de cette nature au cours de ses 75 ans d’histoire. Il y a tout lieu de croire que les États-Unis soumettront une résolution pour examen après l’expiration de la période de notification de 30 jours, puis opposeront leur veto aux dénégations des autres membres, dans le but de déclencher le « retour en arrière » automatique des sanctions de l’ONU. Il y a également toutes les raisons de croire que le Conseil de sécurité cherchera à bloquer les États-Unis par diverses formalités procédurales visant à ne pas reconnaître formellement les demandes américaines, et ainsi empêcher la soumission de toute résolution en ce sens.
Il en résultera vraisemblablement que le Conseil de sécurité ne reconnaîtra pas la soumission d’une résolution par les États-Unis, puis que les États-Unis refuseront de reconnaître la capacité du Conseil de sécurité d’empêcher qu’une telle résolution ne soit présentée. Les États-Unis chercheront à soumettre la résolution, puis opposeront immédiatement leur veto aux dénégations des autres membres, et affirmeront que le « retour en arrière » a été accompli. Le reste du Conseil de sécurité rejettera cette action et jugera le JCPOA en vigueur, libre de sanctions de l’ONU. Les États-Unis sanctionneront alors toute partie qui ne se conformera pas aux sanctions de l’ONU.
Voir Nucléaire iranien: Londres, Paris et Berlin cèdent au chantage de Trump et renient leurs engagements
Si cela devait effectivement se produire, cela signifierait la mort fonctionnelle du Conseil de sécurité de l’ONU, un résultat avec lequel de nombreux membres de l’administration Trump semblent disposés à vivre. Face à l’inévitabilité de ce résultat, certains membres – en particulier les Français, les Allemands et les Britanniques – pourraient être contraints de réexaminer leur position sur la levée de l’embargo sur les armes, à la recherche d’une solution de compromis qui sauverait le JCPOA tout en refusant à l’Iran l’accès aux armements russes et au chinois. C’est peut-être l’objectif des États-Unis depuis toujours. Si tel est le cas, il s’agit d’une situation extrêmement dangereuse qui repose sur un faux prédicat, à savoir qu’une combinaison de pressions économiques et diplomatiques peut être exercée sur l’Iran pour le contraindre à renégocier le JCPOA. Très clairement, l’Iran ne cèdera jamais quoi qu’il se passe, et le fait que l’administration Trump continue à agir comme s’il existait un tel moyen représente un danger pour la paix et la sécurité régionales et internationales.
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