Ces derniers mois, on parle beaucoup du besoin de faire des enquêtes pour mieux comprendre des situations inacceptables qui se sont produites dans certains services essentiels offerts à la population du Québec par son gouvernement. Pensons aux trop nombreux décès dans les CHSLD, à des cas tragiques dans les services de la DPJ, à un manque de services pour des malades souffrant de troubles mentaux, au manque chronique de soutien aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage.
S’il est important qu’il y ait des analyses et des correctifs précis apportés à divers groupes de services en raison de leurs particularités, il est tout aussi important de distinguer des facteurs communs et d’y apporter des correctifs pour éviter que certains problèmes globaux ne viennent saboter plus tard la mise en place de solutions par des groupes spécifiques.
Il y a selon moi quatre facteurs qui ont joué un rôle important dans l’émergence de ces situations inacceptables. Le premier facteur commun est le manque de ressources.
On a répété lors de ces situations qu’il y avait un manque de ressources humaines (en ce qui concerne le nombre de travailleurs et leur formation), un manque d’équipement et des budgets insuffisants. Il est tout à fait normal de manquer de ressources lors d’événements inattendus, mais le problème est totalement différent dans des situations où la hausse de la demande de services était prévisible et où on avait le temps de mettre en place des mesures pour faire face à certaines éventualités. Dans de tels cas, il faut se demander pourquoi les ressources n’ont pas été mises à la disposition des intervenants. On savait ce qu’il fallait faire, mais on ne l’a pas fait.
L’idée que le manque de ressources humaines soit relié à des conditions inadéquates de travail et à un niveau de rémunération insuffisant ne peut être une excuse acceptable sur un horizon de gestion de plusieurs années. Cela reflète grandement une gestion des ressources humaines qui n’a pas tenu compte assez rapidement du fait qu’on quittait un environnement où il y avait au Québec des surplus de travailleurs pour une situation marquée par un manque de travailleurs qui offraient des services essentiels et qui faisaient face à une demande en forte croissance.
Le second facteur est lié à des attentes trop élevées quant aux gains d’efficience et d’efficacité que diverses mesures de gestion permettraient de réaliser. Quand ces attentes ne sont pas satisfaites, les budgets deviennent insuffisants pour répondre à la demande. À cela, il faut ajouter le fait que les derniers gouvernements n’ont pas pris le temps ni mis les moyens nécessaires pour analyser en profondeur divers processus et pour trouver de solides gains de productivité. Ils ont préféré faire des coupes budgétaires relativement généralisées en espérant que des gains permanents de productivité émergeraient de facto. Mais trop souvent une baisse des standards ou une incapacité de faire face aux hausses de la demande ont résulté de ces coupes.
Le troisième facteur est l’absence de correctifs après les nombreux signaux d’alarme lancés sur une période relativement longue par des personnes compétentes et crédibles, comme la protectrice du citoyen, comme la vérificatrice générale, comme certains experts indépendants. Retarder à répétition la mise en place de correctifs fait en sorte qu’on provoque une catastrophe lorsque la demande de services augmente fortement. Sans capacités excédentaires, on décuple les effets négatifs du choc dû à une demande plus élevée.
Le quatrième facteur, qui est trop souvent négligé, concerne la production de documents biaisés qui cherchent à embellir la situation prévalant dans les programmes de services. Cette pratique a pour effet d’atténuer les pressions visant à reconnaître qu’il y a un sérieux problème et à le corriger.
Combien de fois a-t-on été surpris par des rapports de la vérificatrice générale dénonçant une gestion très inadéquate sur une période relativement longue dans divers programmes du gouvernement ? À ce chapitre, les observations de la vérificatrice générale sur le programme de recyclage des pneus et sur la protection lamentable du patrimoine bâti du Québec sont éloquentes. Dans ces deux cas, j’ai tenté sans succès de trouver des rapports signés par les organismes responsables qui informaient la population de ces problèmes et de la mise en place de mesures correctives.
Une crise prévisible
Quand le premier ministre dit à la population que le réseau des CHSLD n’était pas préparé pour faire face à la pandémie, il faut se demander pourquoi il en était ainsi. Il faut aussi se demander pourquoi la non-préparation n’a pas été dénoncée bien avant la pandémie par le gouvernement et par ses gestionnaires. Le choc du vieillissement de la population a été correctement prévu depuis de très nombreuses années. Le besoin de bien protéger le personnel et les résidents très vulnérables face à l’apparition de maladies contagieuses était bien connu. La compétence des gestionnaires et le suivi des processus de gestion auraient dû garantir une protection de meilleure qualité.
L’idée qu’un manque de ressources expliquerait une bonne partie de la non-préparation s’accorde très mal avec le fait que le gouvernement du Québec a accumulé, au total, des surplus de près de 26 milliards de dollars au cours des cinq exercices précédents. Il y a là un grand paradoxe. Certes, il était fort correct de réduire le poids de l’endettement du Québec. Mais a-t-on voulu le faire trop rapidement ? Dans ce débat, il faut savoir que la réduction des ratios d’endettement était au 31 mars dernier bien plus grande que la réduction prévue dans les plans budgétaires de 2010 et de 2014.