« Ce 30 août, venant d’apprendre que la Russie envahira la Biélorussie dans les trois prochains jours, vous devez rédiger en anglais un rapport présentant à la chancelière allemande les actions qui peuvent être entreprises pour interrompre cette agression« . Tel était en substance, il y a trois ans, le sujet de l’examen d’entrée au cycle de Diplocat (master en diplomatie et action extérieure) préparant le futur corps diplomatique du très atlantiste gouvernement catalan sur le point de proclamer l’indépendance. En réalité c’est ce gouvernement, plus que ses futurs diplomates, qui passait là un examen, ou en tout cas affirmait son engagement atlantiste et uniopéiste en ayant pris soin de choisir un sujet extrêmement important pour l’Alliance Atlantique comme pour l’Union Européenne.
Évidemment la Russie, même si elle a renouvelé ce 15 août son engagement à défendre la Biélorussie en cas d’agression extérieure, n’a ni intention d’envahir son partenaire dans l’union d’États, ni nécessité d’envahir un territoire où ses forces armées sont déjà présentes en vertu d’un accord de défense. Mais elle ne peut pas permettre une déstabilisation débouchant sur un coup d’État comme celui du 22 février 2014 en ex-Ukraine, et l’installation d’un régime potiche de l’Union Européenne dont le premier acte serait de demander le retrait des unités russes de Biélorussie. En effet la principale mission de ces dernières est de protéger la trouée de Suwalki, c’est-à-dire d’être en mesure de rétablir une liaison terrestre, le long de la frontière lituano-polonaise, entre Grodna (Biélorussie) et Kaliningrad (Russie) au cas où le million d’habitants de l’enclave russe serait assiégé par l’OTAN.
Pour mémoire, l’encerclement terrestre et la prise de Kaliningrad est le thème des manuvres militaires Saber Strike (« coup de sabre » comme pour couper un cordon ombilical) conduites par l’OTAN chaque année depuis maintenant dix ans (avant les déclarations de guerre à la Russie de 2014), selon un schéma tactique que l’on a présenté dans le Onzième Coup de minuit de l’avant-guerre, où l’on mentionne aussi l’article du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (traité de Rome modifié par celui de Lisbonne) prévoyant une juridiction d’occupation. Saber Strike ayant été annulé cette année pour cause épidémiologique, la Pologne et la Lituanie multiplient les petites démonstrations de force à la frontière, et c’est en réponse à des manoeuvres de ce type que le gouvernement biélorusse vient d’annoncer un petit déploiement militaire près de sa frontière occidentale.
Au-delà de la Pologne dont les médias appellent les Biélorusses à la révolution, il y a de toute évidence d’autres puissances étrangères derrière le soudain revirement de Svetlana Tikhanovskaïa, qui avait mardi 11 reconnu sa défaite électorale et appelé ses partisans à cesser les manifestations de rue. Ces puissances se sont dévoilées vendredi 14, lorsque dans un acte d’ingérence magistral le représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell a déclaré, au nom des ministres des affaires étrangères des États membres, que l’Union Européenne rejetait les résultats de l’élection présidentielle du 9 août proclamés par la commission électorale biélorusse. C’est bien sûr une violation, de plus en plus fréquente mais toujours aussi juridiquement inacceptable, du vieux mais strict principe de droit international selon lequel les États reconnaissent d’autres États, pas des gouvernements, et s’interdisent d’une part de juger de la « légitimité » d’un gouvernement étranger, et d’autre part de tenter de le changer, tentative que le droit international coutumier comme conventionnel (ONU comprise) considère d’ailleurs comme une agression et un acte de guerre, justifiant des contre-mesures de légitime défense.
Or des grandes puissances font répéter à Svetlana Tikhanovskaïa la partition qu’elles avaient écrite pour le Vénézuélien Juan Guaidó. Mme Tikhanovskaïa a été déclarée présidente légitime en exil par son équipe de campagne, et a été poussée à annoncer des consultations pour la constitution d’un gouvernement de transition, autre expression empruntée ailleurs puisqu’elle est présentée comme présidente légitime et n’envisageait, jusqu’à ce lundi 17, aucune transition à son investiture. Cependant il est difficile de deviner jusqu’à quel point l’intéressée, qui tout en émettant des doutes sur le score de son adversaire avait initialement reconnu sa défaite, acceptera d’être manipulée. Accueillie dans un pays ennemi membre de l’Union Européenne et de l’OTAN, et apparemment soucieuse de la cohésion de son pays, elle pourrait bien, à un certain moment, paraître plus utile assassinée (ce dont on accuserait le gouvernement biélorusse) qu’hésitante. Par contre son comité de campagne n’a aucune hésitation, et vient dimanche 16 de se déclarer « ouvert à des négociations concernant la date et les conditions du départ » du président Loukachenko, c’est-à-dire d’exiger la remise immédiate du pouvoir sans autre forme de processus démocratique. Cette intransigeance insolente montre elle aussi qu’il y a derrière tout cela d’autres acteurs que le corps électoral même d’opposition.
Justement, ce lundi 17 c’est le parlement européen qui vient d’entrer en scène, comme s’il avait été consulté par la Biélorussie sur ses affaires intérieures. Il rejette le résultat publié par la commission électorale biélorusse, accuse le gouvernement de torture envers les manifestants et d’avoir lui-même coupé l’internet, et demande des actions de coercition, qu’il appelle fallacieusement sanctions (le Onzième Coup consacre un demi chapitre au droit international relatif aux contre-mesures coercitives). Le parlement européen exige de nouvelles élections, sous contrôle multinational autre que de la Communauté des États Indépendants, mais dont il connaît d’avance le résultat puisqu’il exige une transmission du pouvoir. Il propose que l’UE nomme unilatéralement en Biélorussie (comme si ce n’était plus un État souverain) un Représentant Spécial, mot emprunté au régime de tutelle de la Bosnie et Herzégovine, chargé de superviser la transition politique. Sur un ton très agressif, le parlement souhaite que l’Union Européenne soutienne financièrement l’opposition non électorale et travaille sur « différents scénarios et développements dans le pays, qui incluent aussi un rôle significativement accru pour l’UE en matière politique, technique et financière » (une tutelle multisectorielle). Pour conclure ce programme d’ingérence dans le pays lié par une union d’États avec la Russie, le parlement européen avertit solennellement le gouvernement russe, les institutions uniopéennes et les États membres, qu’aucune tentative d’interférence ne saurait être tolérée de la part de la Russie. Il sera intéressant de lire demain les réactions des électeurs aux propos tenus en leur nom par les politiciens qu’ils ont envoyés les représenter à Strasbourg.
Cependant, mise à part une petite frange de jeunes uniopéistes rêvant de salaires en euros, la population biélorusse est consciente du danger, ce qui explique que les manifestations se soient rapidement calmées lorsqu’on a compris qu’elles pouvaient prendre une tournure violente, illustrée par l’insurgé tué par sa grenade improvisée. Même si la Biélorussie n’est membre ni de l’Union Européenne ni du Conseil de l’Europe, les deux institutions qui ont condamné la répression exagérément violente des Gilets Jaunes français (un éborgné par manifestation), ses citoyens ont vu à la télévision la banalisation de la violence policière dans certains pays donneurs de leçons. Surtout, ils ont assisté de près, parfois à travers des parents proches, à la déstabilisation de l’Ukraine par le coup d’État soutenu par l’Union Européenne, à l’installation par celle-ci du parti National-Socialiste (esthétiquement renommé Liberté lors de la « révolution orange »), à la guerre civile et à la paupérisation. Le paradoxe est qu’une grande majorité de Biélorusses est probablement réticente au prolongement de la carrière de Loukachenko qui constitue le principal et dernier obstacle à la réunification avec la Russie à laquelle aspire le pays, mais que faute d’alternative paisible, et face à l’alternative violente, la même grande majorité de Biélorusses souhaite vraisemblablement la continuité politique comme seul rempart face aux entreprises de déstabilisation. La Biélorussie aurait besoin de la détermination patriotique, constitutionnaliste et désintéressée d’un Ahmed Gaïd-Salah.
En juillet déjà le gouvernement malorusse en ex-Ukraine avait tenté de saper les relations entre la Russie et la Biélorussie. Le SBU (service secret ex-ukrainien), sous l’identité usurpée de l’entreprise pétrolière russe Rosneft, a recruté en Russie des vigiles (avec expérience militaire exigée) pour un faux contrat de sécurité en Syrie, les a convoqués à Minsk pour « prendre l’avion », et les a alors livrés au gouvernement biélorusse comme une « unité spéciale russe de déstabilisation pré-électorale ». Le SBU ayant sélectionné, parmi les CV reçus, des anciens combattants de Novorussie (la région d’ex-Ukraine exclue puis attaquée par le régime issu du coup d’État du 22 février 2014) naturalisés russes, le régime Maïdan a demandé leur extradition dès leur arrestation par la police biélorusse, mais ils viennent d’être renvoyés en Russie. Le gouvernement malorusse Maïdan d’ex-Ukraine vient donc de rompre ses relations diplomatiques avec son voisin biélorusse. Au même moment la France, par la voix de son président dimanche 16, appelle l’Union Européenne à soutenir la contestation en Biélorussie.
Dans d’autres cas l’autorité autoproclamée de validation des élections dans les pays tiers exigerait l’annulation des résultats et l’organisation d’un nouveau scrutin, mais dans le cas présent elle sait qu’au mieux sa candidate impromptue et sans programme (hormis celui de remplacer son mari incarcéré) obtiendrait 15 ou 20% au lieu de 10%, ce qui ne changerait rien à la réélection d’Alexandre Loukachenko. Ailleurs, comme de mémoire pour la Serbie et la Côte d’Ivoire, on intimerait, sous menace d’invasion, à la commission électorale de déclarer sous 48 heures la victoire du « bon » candidat, mais là il ne s’agit pas d’un petit pays orphelin. À défaut d’ultimatum on peut cependant noter le caractère déjà concret des mesures de coercition prises pour forcer le gouvernement biélorusse à annoncer la défaite de Loukachenko, dont l’objectif réel n’est pas l’imposition au pouvoir d’une candidate sans légitimité électorale ni expérience politique, mais le renversement du régime après extorsion d’un aveu de fraude électorale. On cherche à semer le chaos en Biélorussie, et d’autres puissances s’en mêleront vite.
Car la Grande Réinitialisation annoncée par les pouvoirs ploutocratiques et les instances internationales pour l’année prochaine, si elle inclut le jubilé d’effacement des dettes souveraines et l’altération de modes de vie, serait incomplète sans l’imposition définitive d’une monnaie qui ne vaut rien, par la force et la terreur d’un acte impensable actuellement préparé contre la Russie. Il est impossible de deviner la date à laquelle cet acte non renouvelable sera jugé nécessaire, mais les cibles possibles ont été longuement annoncées. Le passage de Suwalki est le seul endroit où on puisse forcer la Russie à mener une opération militaire hors de ses frontières (en l’occurrence sur une route d’un pays membre de l’UE et de l’OTAN) ou prétendre qu’elle y a lancé cette opération. Comme par hasard, on note depuis deux semaines un accroissement significatif des vols provocateurs (illégaux s’ils sont effectués transpondeur coupé pour faire croire à une attaque) d’avions-espions de l’OTAN aux frontières de la Russie, notamment en mer Noire et en mer Baltique, sans que l’on sache s’il s’agit de préparation opérative ou de recherche d’incident.
La situation est préoccupante. On pourrait bien en être au onzième coup de minuit de l’avant-guerre.
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