Une interview du Professeur Bernard La Scola.
Est-ce que le port du masque en extérieur est utile pour prévenir la contamination par le covid 19 ?
Professeur Bernard La Scola, médecin microbiologiste, virologue et directeur du laboratoire P3 à l’IHU Méditerranée Infection de Marseille répond [1]:
« Les décisions politiques et la science sont deux choses différentes mais dans ces temps difficiles, je trouve que le rôle des politiques est complexe. Effectivement, le port du masque à l’extérieur ne se justifie pas. Le risque de contamination est une équation qu’on peut résumer à : nombre de particules virales auxquelles on est exposé (ce virus n’est pas infectant à l’unité) multiplié par temps d’exposition. Ainsi, en extérieur, le temps d’exposition même si on est au contact d’une personne infectée (en respectant 1m – 1m50 comme recommandé) va être très court. Si vous voulez une image de ça, prenez l’exemple de gens qui fument. Vous voyez bien qu’en extérieur, qui plus est quand il y a une petit brise, la fumée s’évapore ou se dilue très vite quasi immédiatement, pour un aérosol de virus, ça va être pareil. Ainsi, pas plus qu’il n’y a de tabagisme passif en extérieur, il n’y a de transmission virale à l’air libre, notamment dans des zones un peu ventées, typiquement la plage. En revanche en zone confinée, et je vous prendrai le même exemple avec la fumée, vous voyez bien que la fumée, comme le virus vont stagner, surtout dans des locaux peu ou mal ventilés. Et, donc, là ça va ne devenir qu’une question de durée d’exposition.
Mais on ne peut blâmer complètement les politiques. Cet été à Marseille, j’observe des densités de population que je n’avais jamais vues auparavant, les gens qui déambulent sur les ports collés les uns aux autres, les terrasses de cafés et restaurants où tous les gens sont agglutinés, des queues interminables dans une grande promiscuité pour prendre les navettes maritimes, bref, il n’y a plus aucune distanciation. Dans ces conditions, je ne suis toujours pas persuadé que le port du masque soit vraiment utile pour éviter la contamination mais il a le bénéfice de faire rappeler ce que beaucoup ont semble t-il oublié, le virus circule toujours très bien et ici, à Marseille, le nombre de cas double chaque semaine.»
Le port du masque en extérieur n’aurait, donc, pas d’intérêt scientifique pour limiter la contagion du covid 19.
Pr. Bernard La Scola : « Effectivement pas d’évidence. »
Son intérêt serait exclusivement mnémotechnique pour que les gens se souviennent qu’ils doivent garder des distances physiques en société.
Pr. Bernard La Scola : « Oui et aussi quand on porte un masque, on ne porte pas ses mains à sa bouche ou son nez. Rappelez vous que la contaminations par les mains est probablement aussi importante que la transmission par voie aérienne, voire même plus importante en extérieur. »
Les masques chirurgicaux ou FFP2 n’ont pas été étudiés pour être portés en extérieur. Aussi, avec l’obligation dans certains lieux de porter le masque en extérieur, n’assistons-nous pas à une expérience grandeur nature dont on n’a pas idée du résultat ? Ne vaudrait-il pas mieux une autre sorte de pense-bête (ex : bandeau ou autocollant mnémotechnique spécial covid19 sur le front) pour que les gens se souviennent qu’ils doivent garder les distances sociales ? »
Pr. Bernard La Scola : « J’ai lu beaucoup de choses étranges sur le masque, mais vraiment je ne vois pas en quoi un masque chirurgical est si terrible à porter. J’ai même lu qu’on risquait l’asphyxie…il ne faut pas pousser, heureusement les chirurgiens qui font des interventions de plusieurs heures ne le font pas en hypoxie, ça serait ennuyeux. Les techniciens de mon laboratoire P3 qui travaillent avec des FFP3 beaucoup plus filtrants arrivent à les garder pendant des heures aussi, même si pour l’avoir fait étant plus jeune, je dois reconnaître que ça n’est pas très confortable. Pour avoir testé le port du masque chirurgical, en intérieur climatisé, ça ne pose pas de problème. En revanche en extérieur quand il fait chaud, je reconnais que c’est étouffant. Ensuite le bandeau ou l’ autocollant, je vous laisse le suggérer, ça m’a fait beaucoup rire mais, sincèrement, je ne crois pas que ça soit une option. Et, encore une fois, le masque prévient la contamination par les mains. »
Puisque les ultraviolets tuent très rapidement le virus (96% du coronavirus tués en 3 secondes) ; alors en extérieur, le jour, les rayons du soleil, ne devraient-ils pas suffisamment empêcher la concentration de coronavirus dans un espace au point de lui enlever tout pouvoir contagieux ?
Pr. Bernard La Scola : « Je suis d’accord, les UV associés à la dilution des particules dans l’air ambiant, font que la contamination en extérieur avec un distanciation minimale est largement suffisante. Mais, la distanciation minimale est-elle respectée ??…. Je n’en suis pas certain et c’est je crois ce qui a guidé certaines décisions des politiques. »
Sachant que de nombreuses personnes ne respectent pas les règles d’hygiène concernant le port du masque (par négligence, inconscience, oubli, ou parce qu’elles n’ont pas le budget pour acheter suffisamment de masques, ou pas le budget pour faire des machines à laver tous les jours pour laver le masque, ou car c’est trop contraignant avec leur vie)…
Pr. Bernard La Scola : « OK, c’est un mélange de tout ça. »
… que des micro-organismes se développent sur les masques (bactéries, et autres germes)…
Pr. Bernard La Scola : « Ça c’est un risque imaginaire, notre peau, notre bouche, notre cavité nasale contiennent naturellement beaucoup plus de germes, y compris pathogènes, que ce que ne pourra jamais en ramasser notre masque. »
…et que des infections fongiques inhabituelles ont été détectées dans les poumons de patients atteints du covid 19.
Pr. Bernard La Scola : « Ça c’est vrai mais ne concerne que certains lots de masques mal stockés et que les personnes à risque comme les immunodéprimés. En bref, vous serez beaucoup plus en contact avec ces champignons pathogènes respiratoires (qu’on appelle filamenteux) lors d’une promenade en forêt que par le port d’un masque même mal stocké ».
N’est-il pas à craindre que le masque mal porté soit à l’origine de problèmes de santé respiratoires sérieux ? D’autant plus qu’avec la chaleur, la transpiration, la poussière, on est loin des circonstances aseptisées d’un bloc chirurgical. Le masque sur la bouche ne prolonge-t-il pas le contact avec ces micro-organismes ?
Pr. Bernard La Scola : « Non, rien ne permet de dire cela. Ce n’est pas parce que le port du masque à l’extérieur est inutile qu’il en devient dangereux. »
Le port du masque sur le long terme plusieurs heures par jour ne risque-t-il pas d’affaiblir notre système immunitaire respiratoire car celui-ci n’aura plus suffisamment été en contact avec des « bouillons de culture » de différents germes ?
Pr. Bernard La Scola : « Non, pas de risque de baisse des défenses, parce que le port est limité dans la journée et surtout parce que le masque chirurgical filtre très peu. Une confusion existe dans le public, le masque chirurgical n’est pas un masque filtrant, c’est une passoire, il ne sert qu’à éviter que les patients excréteurs contaminent l’environnement. D’où son utilité pour le chirurgien qui le porte afin que ces microparticules de salive et de sécrétions nasales ne finissent dans le champ opératoire. Même si pas grand monde l’a compris, le port du masque chirurgical est avant tout une attitude altruiste « je le porte pour protéger les autres au cas où je serais infecté ». D’ailleurs si tout le monde l’avait compris et vu le fond altruiste des humains en général, pas grand monde en porterait….Les masques de protection respiratoire qui sont donc filtrants sont les FFP2 et FFP3. »
Il y a une phrase que vous avez écrite sur laquelle, j’aimerais revenir, à savoir : « le virus circule toujours très bien et ici à Marseille, le nombre de cas double chaque semaine. » Est-ce vraiment un problème puisqu’il n’y a presque plus de décès en France, peu de patients en réanimation et aucune surmortalité en France? Aujourd’hui, le 11 août 2020, il n’y a aucun décès en France, selon Worldometer, et dans le point épidémiologique hebdomadaire national de Santé Publique France du 6 août 2020, il y avait 79 décès. Le 4 août 2020, 5 162 cas de covid 19 étaient hospitalisés en France dont 388 cas en réanimation. De plus, il n’y a aucune surmortalité générale en France depuis la semaine 18 (du 27 avril au 3 mai 2020). La France en terme de surmortalité générale est même au dessous de la « baseline » depuis la semaine 27 (du 29 juin au 5 juillet 2020). Ces chiffres ne sont-ils pas rassurants ?
Compte tenu des chiffres précédents (très faible mortalité, peu de personnes en réanimation, aucune surmortalité générale), est-il possible que les cas positifs actuels au covid 19 dont on entend parler, soient, d’une manière générale, peut-être une bonne nouvelle ? Peut-être que le virus s’est adapté à l’humain ? Peut-être que cette propagation permet le développement de l’immunité collective au covid 19 ? Peut-être est-il mieux que ça se fasse en été lorsque nos défenses immunitaires sont plus fortes, plutôt qu’en hiver ? [2],[3],[4]
Pr. Bernard La Scola : « Là vous abordez un problème complexe auquel il est difficile de répondre car on manque de recul. Hier, lundi nous avons eu 96 positifs. Un tel chiffre et avec la cinétique [5] actuelle, ça voudrait dire qu’on ne serait qu’à 3-4 semaines de notre maximum à Marseille de début avril avant la décrue. Or, c’est vrai peu de formes graves, peu de réanimation, pas de mort en comparaison. Alors pourquoi ? C’est probablement un mélange de ce que vous dites, à part l’immunité collective qui est certainement trop basse pour le moment. Il est possible que le virus soit moins virulent l’été parce qu’effectivement l’ensoleillement stimule nos défenses immunitaires (peut-être via la vitamine D). Mais, l’été, vous le savez, ne va hélas pas durer… Il est possible que le virus devienne moins virulent, c’est un grand classique dans les épidémies, le pathogène s’adapte à son hôte et qui dit adaptation dit moins de virulence. Mais, il y a un facteur que j’évalue mal et qui me fait rester prudent, c’est que valent nos 100 positifs de lundi 10 août en regard de nos 100 positifs du 18 mars derniers ? Nos 100 positifs d’aujourd’hui c’est avec la réalisation de tests de masse alors que les 100 de mars étaient peut-être juste la partie émergée d’un iceberg. Ce qui voudrait dire que nos 100 d’aujourd’hui ne sont que l’équivalent de nos 10 de tout début mars. Et, donc, que les cas graves et les réanimations ne viendront que plus tard. En fait, je suis inquiet car on double les positifs chaque semaine et si on y fait rien, fatalement à un moment donné (dans 4, 6 semaines ?) on pourrait finir par avoir beaucoup de cas graves et de décès. Même si on peut espérer que ça sera moins grave, on a un traitement qui est efficace (à condition de le prescrire)[6], on a des tests, on a des masques, bref on est quand même loin du dénuement de février dernier.
Il y a-t-il d’autres informations à ce sujet qu’il serait important de communiquer à la population ?
Pr. Bernard La Scola : « L’Agence Régionale de Santé qui investigue les clusters a rapidement identifié cette transmission dans la population des jeunes adultes contaminés au décours [7] de fêtes nocturnes rassemblant plusieurs dizaines de personnes dans une grande promiscuité (en pratique des discothèques sauvages dans des bars de nuit ou à ciel ouvert). Mais nos politiques pour des raisons qui m’échappent, dilettantisme, manque d’intérêt, crainte d’impopularité ou pour protéger certains intérêts financiers particuliers, que sais-je, préfèrent plus ou moins tous répondre par le port du masque généralisé en extérieur. Non seulement la mesure va être contraignante mais, en plus, elle sera inefficace. Et, à ne pas vouloir régler rapidement le problème fatalement plane le spectre d’un reconfinement qui serait une nouvelle catastrophe économique et humaine. »
Candice Vacle
Journaliste – Pays Bas
https://www.investigaction.net/fr/author/candice-vacle/?act=sp
https://reseauinternational.net/?s=vacle
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Notes
[1] échange de mails avec Pr. Bernard La Scola entre le 9 et le 13 août 2020
[2] https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/272559/document_file/COVID19_PE_20200806.pdf
[3] https://www.worldometers.info/coronavirus/country/france/
[4] https://www.euromomo.eu/graphs-and-maps
[5] cinétique: vitesse de développement d’un processus
[6] traitement efficace: combinaison azithromycine hydroxychloroquine
[7] décours: période décroissante d’une maladie, d’un mal, d’un état anormal
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