Par Leonid Savin – Le 9 juillet 2020 – Source Oriental Review
Des concepts tels que la mafia sicilienne ou la mafia irlandaise aux États-Unis sont présents dans l’inconscient américain depuis longtemps, puisque l’histoire de ces groupes remonte à près d’un siècle et demi.
Mais, ces dernières années, un nouveau terme apparemment persistant est apparu aux États-Unis, la « Mafia de West Point », qui fait référence non pas aux familles de criminels et aux gangs criminels, mais au gouvernement américain. Ou, pour être plus précis, un certain segment de ce gouvernement. Elle est appelée la « Mafia de West Point » parce que ses « chefs » ont autrefois étudié ensemble à l’Académie militaire américaine de West Point.
Le terme est apparu pour la première fois en 2017, lors de la publication du livre « Mafia de West Point Revealed » – La mafia de West Point révélée. Il a été écrit par Peter Ammon et Patina Thompson, qui ont également ajouté le terme au plus récent dictionnaire de sciences politiques.
Ils soulignent qu’au lieu de servir les idéaux des États-Unis, ces personnes ont créé un réseau d’influence et de contrôle, et que maintenant que certains d’entre eux ont atteint les sommets de l’Olympe politique américain, ils font venir leurs camarades de classe et leurs camarades d’études pour qu’ils puissent gouverner ensemble, sur la base de leur propre vision, assez spécifique, des processus politiques et de la démocratie. En fait, les carrières de nombre de ces personnes sont étonnamment liées.
Depuis 2018, le terme est devenu un mème établi, puisque les préoccupations soulevées dans le livre ont été confirmées.
Examinons donc la promotion de 1986 de l’Académie militaire américaine.
Le chef de la Mafia de West Point peut être considéré comme Mike Pompeo, qui a gravi les échelons, passant de chef de section de chars en Allemagne et membre du Congrès à chef de la CIA et secrétaire d’État américain. Il était l’un des meilleurs étudiants de l’académie et un leader non officiel parmi les étudiants.
Le prochain est son camarade de classe, le secrétaire américain à la défense Mark Esper. Il a également servi dans l’armée avant de s’impliquer dans la vente d’armes. Entre 2017 et 2019, il a été secrétaire de l’armée américaine, et, en 2019, Donald Trump l’a nommé au poste de ministre de la défense.
Un autre camarade de classe, Ulrich Brechbuhl, est maintenant conseiller au Département d’État américain. Il a été nommé à ce poste par Mike Pompeo, avec qui il a fondé Thayer Aerospace. Brechbuhl a également été président et directeur général de Migratec Inc, directeur général de Chamberlin Edmonds and Associates Inc, qui est lié aux soins de santé, président d’Appenzeller Point, LLC, et président exécutif d’Avadyne Health. Il est intéressant de noter que seule la dernière entreprise de cette liste est active aux États-Unis depuis plus de 50 ans ; les autres ressemblent davantage à des pyramides et à des entreprises de courte durée. Il semble qu’au Département d’État américain, il soit engagé dans ce type d’optimisation dans divers domaines.
Brechbuhl a également été impliqué dans un scandale de fuites d’informations liées à l’ingérence de diplomates américains – des représentants du Parti Démocrate – dans les affaires intérieures de l’Ukraine.
Le prochain diplômé de West Point est Brian Bulatao. Il a également travaillé chez Thayer Aerospace et dans plusieurs entreprises privées spécialisées dans la gestion et les investissements. En 2017, lorsque Pompeo est devenu directeur de la CIA, il a immédiatement nommé Bulatao comme l’un de ses conseillers principaux, puis l’a nommé directeur des opérations, un poste qui avait été auparavant appelé directeur exécutif. Au département d’État américain, il est sous-secrétaire d’État à la gestion, donc s’occupe des questions budgétaires et immobilières, et il est également conseiller principal.
Un autre de leurs anciens camarades d’étude de West Point est Mark Green, qui est le sénateur de l’État du Tennessee et défend la position de Donald Trump au sein du comité de réforme. Green a été proposé pour le poste de secrétaire de l’armée américaine, mais en raison du scandale provoqué par les Démocrates – ils ont rappelé que Green n’avait pas été très politiquement correct lorsqu’il parlait des minorités sexuelles et des musulmans – en mai 2017, il a retiré sa candidature.
Enfin, il y a le lobbyiste David Urban, qui est également commentateur politique pour CNN. En 2016, il a été conseiller de Donald Trump et a mené une campagne fructueuse en Pennsylvanie. Aujourd’hui, il est président de la Commission américaine des monuments de guerre, il est aussi un confident du président pour la campagne électorale de 2020.
Urban avait auparavant mis Pompeo en contact avec les bonnes personnes lorsqu’il est entré au Congrès.
Voici quelques autres diplômés de la promotion 86 qui poursuivent leur carrière militaire : le général Joseph Martin, vice-chef d’état-major de l’armée américaine ; le lieutenant général John Thomson, commandant du Commandement terrestre allié de l’OTAN ; Daniel Hokanson, directeur de la Garde nationale de l’armée ; le général de division Robin Fontes qui s’occupe du retrait des troupes d’Afghanistan ; et Patrick Antonietti, directeur des opérations de stabilisation et de paix.
A noter également le lieutenant général Eric Wesley, commandant adjoint du Army Futures Command, qui est chargé de moderniser l’armée américaine et de développer de nouvelles stratégies. Il s’était enrôlé à West Point après avoir écouté les histoires d’horreur de Ronald Reagan sur l’URSS qui se préparait à des opérations militaires contre les États-Unis. Il a toujours les mêmes vieilles craintes, sauf que, maintenant, elles sont représentées par la Russie et la Chine.
Il va sans dire que ces hommes politiques importants n’oublient jamais d’aider leurs vieux amis. Le président et directeur général de la chaîne de magasins 7-Eleven, Joe DePinto, qui se trouvait également à West Point au même moment, a déclaré dans une interview qu’il « dort mieux la nuit sachant que ces types sont dans les positions qu’ils occupent ». Soit dit en passant, la chaîne est cliente de Thayer Leader Development Group, dont le fondateur et directeur, Rick Minicozzi, a également obtenu son diplôme à West Point en 1986, bien entendu. Joe DePinto n’a jamais caché le fait qu’ils s’entraident encore tous, puisque « nous étions une promotion soudée ».
Dans n’importe quel autre pays, cette amitié ne serait décrite que comme de la corruption. Mais pas aux États-Unis, où le lobbying est officiellement autorisé par la loi. Pourtant, de tels liens sont impopulaires, même pour les anciens de West Point.
Dans un article, l’ancien professeur d’histoire à West Point et stratège militaire, Danny Sjursen, écrit que cette petite cohorte d’hommes exerce une immense influence du Congrès à K Street – un quartier de Washington qui abrite de nombreux lobbyistes et groupes de défense qui satisferont tous vos désirs – du discrédit des politiciens aux coups d’État dans d’autres pays. C’est pourquoi la devise de la promotion de 1986 – « Le courage n’abandonne jamais » – a une signification légèrement différente pour ces gens.
Le magazine Politico affirme : « la Mafia de West Point constitue un cercle exceptionnellement puissant aux plus hauts niveaux du gouvernement. Ils se consultent sur les questions d’État et s’appuient également les uns les autres pour les questions plus intimes, lors de dîners informels et de réunions sociales avec leurs conjoints dans tout Washington ».
Soit dit en passant, les « mafieux » eux-mêmes ne cachent pas leurs liens entre eux et se désignent même en plaisantant sous le nom de « Mafia de West Point ». À la veille de la prochaine élection présidentielle américaine, les informations sur ce réseau permettront de mieux connaître la situation.
Leonid Savin
Note du Saker Francophone
Cette histoire de "mafia" est à rapprocher des promos de l'Ena en France, quand des hauts-fonctionnaires perdent de vue l'intérêt général pour se servir avant de servir.
Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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