par Alexandre Lemoine
Le président américain Donald Trump a tenu sa promesse et a décrété des sanctions contre le fameux réseau social TikTok. A l’horizon pointe la perspective de son interdiction totale aux Etats-Unis si d’ici 45 jours ce service n’était pas racheté par une compagnie américaine. Parmi les acheteurs potentiels on parle de Microsoft et de Twitter.
En général, le scandale autour de TikTok est perçu, et à juste titre, à travers le prisme de la ligne antichinoise de Washington et de toute la confrontation américano-chinoise. Sachant que l’histoire avec TikTok est même plus intéressante et révélatrice que celle qui se déroule en parallèle autour de Huawei.
En ce qui concerne cette dernière, il s’agit avant tout des nouvelles technologies en soi parce que la compagnie chinoise est en tête dans le secteur de la 5G. Ce qui est évidemment désagréable pour les Américains, mais ce n’est pas quelque chose d’unique ou du jamais vu – ils avaient déjà connu un certain retard par rapport à un rival géopolitique en termes de concurrence technologique. Il suffit de rappeler la course spatiale avec l’URSS.
Mais TikTok, c’est complètement autre chose. C’est une conquête directe du grand public via le secteur du divertissement. Et de surcroît il s’agit de la jeune et très jeune génération: 70% des utilisateurs de la plateforme sont âgés entre 16 et 24 ans.
La compagnie pékinoise ByteDance a réussi à répondre à la demande d’un public très spécifique dont les intérêts, les besoins et les préférences sont une terra incognita pour les entreprises et la politique. Or dans quelques années ses représentants deviendront la partie la plus active et très significative de la société en tant que citoyens et consommateurs. Les développeurs chinois ont réussi à remplir une tâche extrêmement difficile pour accomplir laquelle des entreprises occidentales dépensent des sommes colossales.
Dans un certain sens le succès de la Chine avec TikTok est même une plus grande menace pour les Etats-Unis que des percées technologiques. Le fait est qu’effectivement depuis plus d’un siècle les Américains n’avaient pas d’égal en matière de culture populaire à la fois universelle est attractive pour les gens à travers le monde. Et à l’époque de l’internet leur domination est devenue complètement incontestable. Google, Facebook, Twitter et d’autres services américains sont devenus les plus importantes sources d’information, de communication et simplement un moyen pour passer du temps pratiquement pour tous les pays de la planète.
Les Etats-Unis étaient convaincus de détenir le monopole de la création des produits de culture populaire capables d’influencer les esprits et les cœurs d’une grande partie de la population indépendamment de la couleur de peau, du lieu de résidence et de convictions politiques.
Pendant des décennies l’Amérique créait ce fameux espace global de culture populaire, que ce soit le cinéma, la musique, les médias ou l’internet. Pour qu’un phénomène national spécifique, de la pizza à Jackie Chan, devienne un mainstream planétaire, il devait d’une manière ou d’une autre passer par le « filtre » américain. Les exceptions à cette règle étaient toujours minimales, et elles venaient d’autres pays de l’Occident. Comme Harry Potter.
L’idée en soi que le « monde non libre » puisse créer des produits qui ne seraient pas seulement un exploit technique dans un secteur étroit comme l’industrie de l’armement, mais conquerrait le public à travers la planète, est absurde, impensable et simplement inadmissible dans un tel système. Tout simplement parce que c’est un secteur où les Américains en principe n’admettent pas l’apparition de concurrents.
Par conséquent, la position intransigeante de Washington vis-à-vis de TikTok ne s’explique pas tant par des réclamations concernant la sécurité nationale, mais plutôt par un risque parfaitement réel de la perte de contrôle par l’Amérique (et l’Occident dans l’ensemble) sur la culture populaire globale.
Alexandre Lemoine
source:http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=1873
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