Par Ian Welsh, le 7 août 2020
Source : https://www.ianwelsh.net/america-is-about-to-feel-like-a-3rd-world-nation/
Traduction : lecridespeuples.fr
J’ai passé une bonne partie de mon enfance dans des pays du Tiers monde. La plus grande partie était au Bangladesh, qui était alors sans doute le pays le plus pauvre du monde, mais j’ai aussi vécu en Malaisie, à Singapour, en Indonésie, au Népal et en Inde, entre autres.
Dans le Tiers-monde, il y a une sensation avec laquelle on se familiarise : des mendiants partout, des infrastructures qui ne fonctionnent pas vraiment, des gens qui cumulent des petits boulots écrasants. Il y a aussi l’énorme disparité entre les riches et tous les autres, même ceux qui ont réussi à s’attacher de manière semi-digne aux riches.
La cruauté est routinière et banale. Les policiers indiens tabassent régulièrement les gens en guise de punition, tout comme les policiers américains (ou français). Les serviteurs sont traités de manière terrible, et en fait, les habitants traitaient régulièrement les domestiques d’une manière bien pire que les étrangers. Cela n’a guère changé : au 19ème siècle, le maître hindou Vivekenanda a noté que les Américains traitaient leurs serviteurs beaucoup mieux que les Indiens.
Les Etats-Unis sont sur le point de rendre un pourcentage à deux chiffres de leur population sans abri. Quelque chose comme 20 à 30%, ou plus, des petites entreprises américaines ont fermé ou vont fermer d’ici la fin de la pandémie. Les emplois ne reviendront pas tous et ceux qui existeront encore paieront moins bien et bénéficieront d’un traitement pire qu’auparavant (et en général, ils n’étaient déjà pas bien payés et comportaient une cruauté de routine).
Nous parlons de 30 à 60 millions de sans-abri.
Ce sont des chiffres ahurissants.
Aux États-Unis, on se sentira dans le Tiers-monde. Dans certains endroits, c’est déjà le cas : quand j’ai atterri à l’aéroport de Miami pour la première fois, j’ai immédiatement pensé au « Tiers monde ». Un Tiers monde relativement prospère, mais tout de même le Tiers monde.
Ces endroits seront pires (et la Floride, comme je l’avais prédit au début de la crise, a très mal géré la pandémie.)
Bien sûr, pour beaucoup de gens, peu de choses changeront. Ils garderont leur emploi, tout ira bien. J’ai récemment assisté à une discussion sur les emplois dans le domaine de la sécurité informatique, expliquant que pour une personne ayant un diplôme et quelques certifications dans ce domaine, 8 000 euros par mois était un salaire bas de gamme. Il y aura toujours de bons emplois, mais vous pourrez tout perdre en l’espace de quelques mois si vous tombez gravement malade.
Et quand ces gens qui s’accrochent sortiront dans la rue, ils verront, encore plus qu’aujourd’hui, le sort qui les attend s’ils ont le malheur de trébucher.
Beaucoup de la mesquinerie américaine —et la culture US est mesquine dans les moindres détails de sa vie quotidienne— vient de cette peur. Parce qu’il est si facile de glisser dans la classe défavorisée, même si l’on « fait tout correctement », les Américains sont effrayés, voire terrifiés, tout le temps. Ils écartent cette crainte de leur esprit avec des quantités massives de drogues (la plupart d’entre elles sont légales), et la plupart le nient, mais la peur conduit à la mesquinerie.
Pendant la Grande Dépression, les gens sont devenus moins cruels, et non l’inverse. Ils disaient que l’idée de méritocratie était une connerie absolue : les gens les plus riches de la société avaient merdé, les bonnes gens se sont retrouvés dans la pauvreté, et le mérite n’avait rien à voir avec qui gagnait combien.
J’espère que c’est ce qui va se passer aux États-Unis cette fois. Mais je crains, au contraire, que cela conduise à encore plus de cruauté. Au lieu de dire « nous devons nous assurer que tout le monde est pris en charge » et d’instituer des soins de santé universels, de bons salaires et un système de protection sociale non punitif (qu’il s’agisse d’un revenu universel ou d’une autre forme d’État-providence), les Américains deviendront encore plus cruels par peur de perdre leur place.
Les États-Unis sont en voie de « sous-développement ». Ils sont en train de passer du statut de pays développé à celui de pays sous-développé.
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Ce processus dure depuis très longtemps. Au moins 40 ans (1980), et sans doute même depuis 1968 environ. La frustration en tant qu’analyste était que la tendance était évidente mais qu’elle prenait beaucoup de temps. Il y a, comme l’a dit Keynes, beaucoup de ruines dans une nation.
Le changement est lent, très lent, jusqu’à ce qu’il devienne rapide. Les gens qui vivent dans la période lente, de long déclin, ne croient pas vraiment à l’effondrement, et ils supposent que les choses vont empirer dans une pente régulière.
Mais en fait, il y a de longues périodes où tout change lentement, puis des périodes comme des tremblements de terre. 2008 a été un tremblement de terre (et a posé les bases d’un effondrement presque inévitable par le renflouement des riches par l’État). Ce que nous vivons aujourd’hui est un tremblement de terre. Les États-Unis se sentiront différents par la suite, même si le Covid-19 s’en va à 100%, ce qui ne sera peut-être pas le cas, puisque les États-Unis refusent de faire ce qui est nécessaire. Les médias américains continuent à publier des articles sur la façon dont le Covid-19 ne disparaîtra jamais. Il pourra disparaître dans les pays qui contraindront les arrivants à la quarantaine. Mais ce ne sera pas le cas des États-Unis, du Brésil ou de l’Inde. Tous des pays du Tiers monde.
Nous ne devons pas non plus nous en prendre aux pays du Tiers monde. Les États-Unis font partie du Tiers monde et connaissent la corruption complète des classes dirigeantes et gouvernantes, avec l’effondrement de leur capacité administrative. Lorsque votre bureau de poste ne peut même pas livrer le courrier, vous êtes un État en déliquescence : c’est une partie si fondamentale d’un gouvernement que cela fait partie de la Constitution, écrite au 18e siècle. Mais comme la Poste n’est pas une institution kleptocratique, la classe politique américaine la détruit.
La plupart des pays du Tiers monde, en effet, gèrent mieux le Covid-19 que les États-Unis.
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Néanmoins, le processus est en cours. Les États-Unis sont déjà gouvernés comme une nation du Tiers monde ; c’est juste qu’ils doivent encore détruire beaucoup d’infrastructures et d’institutions héritées du passé pour obtenir une expérience complète du Tiers monde.
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Habitants des États-Unis, vous devez vous attendre à vivre des moments fatidiques. Attendez-vous à ce que votre pays soit différent après la pandémie. Attendez-vous à ce que tout soit différent. Comprenez que votre position personnelle est devenue beaucoup plus périlleuse. Vous devez réduire votre vulnérabilité et / ou vous attacher à un flux d’argent d’une manière qui vous rende indispensable. Être un élément de valeur dans votre entreprise n’est pas suffisant : il faut que la perte de votre emploi entraîne des désagréments pour des gens importants. Si ce n’est pas le cas, à la seconde où les chiffres diront que vous devez être licencié, vous serez licencié, et toute personne qui peut être remplacée pourra l’être si elle déplait à quelqu’un de plus puissant.
Il y a beaucoup d’emplois bien rémunérés, oui, mais presque tous peuvent être occupés par quelqu’un d’autre. Ce n’est pas forcément vous.
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Gardez tout cela à l’esprit lorsque vous planifiez votre avenir dans les États-Unis du Tiers monde.
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