Reportages d’Al-Mayadeen, chaîne TV libanaise, et de CNN, le 5 août 2020.
Source : Al-Mayadeen News
Traduction : lecridespeuples.fr
Vidéo : https://www.dailymotion.com/video/x7vf3bz
Transcription :
Bonjour.
Quiconque voit ces photos aura du mal à croire qu’elles montrent le port de Beyrouth il y à 24 heures à peine, palpitant de vie, avant d’être (complètement) détruit par (l’explosion) de (centaines) de tonnes de nitrate d’ammonium, stockées de manière anarchique dans l’entrepôt n° 12 depuis plusieurs années.
Beyrouth s’est retrouvée face à une scène terrible, l’explosion ayant causé des dizaines de morts et des milliers de blessés, sans parler de la destruction et des dégâts sur des milliers de maisons, d’institutions et de commerces.
Quelle est l’histoire de ces stocks (de nitrate) ? Et comment sont-ils arrivés au port ?
Cette cargaison se trouve dans le port depuis 2013, par décision de la justice libanaise, sous le mandat de l’ancien chef du gouvernement, Najib Miqati, du ministre des transports Ghazi al-Aridi et du Directeur général des Douanes d’alors, Chafiq Mir’i.
Un navire moldave venu de Géorgie et en direction du Mozambique a alors été immobilisé lorsqu’il est entré dans le port de Beyrouth, transportant des tonnes de nitrate d’ammonium qui, après inspection, ont été interdites de reprendre la mer. De plus, sa cargaison a été saisie.
Ensuite, le Juge des Référés de Beyrouth, Nadim Zweyn, a décidé de faire entrer le navire dans le port et de vider sa cargaison après qu’elle ait été saisie par le bureau d’avocats Baroudi & Associés. Par la suite, la justice n’a pas donné suite aux demandes de la Direction des Douanes d’envisager le déplacement de la cargaison.
En 2017, la Direction des Douanes a adressé une demande écrite au Juge des Référés de Beyrouth, lui demandant la ré-exportation du nitrate d’ammonium ou sa vente à une usine de fabrication d’explosifs. Plus grave encore, la Direction Générale de la Sécurité de l’Etat Libanais a adressé un rapport urgent à l’ancien chef du gouvernement Saad Hariri et à sa ministre de l’intérieur Raya al-Hassan, avertissant des dangers que ces stocks représentaient, mais personne n’a pris ces avertissements au sérieux.
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La cargaison dangereuse d’un navire russe de nitrate d’ammonium a été bloquée dans le port de Beyrouth pendant des années
Source : CNN, le 5 août 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Alors que l’enquête du Liban sur l’explosion dévastatrice à Beyrouth se poursuit, les responsables ont souligné une cause possible : une cargaison massive d’engrais agricoles qui, selon les autorités, a été stockée dans le port de Beyrouth sans précautions de sécurité pendant des années, et ce malgré les avertissements des autorités locales.
Des documents récemment examinés par CNN révèlent qu’une cargaison de 2 750 tonnes métriques de nitrate d’ammonium est arrivée à Beyrouth sur un navire russe en 2013. Le navire, nommé MV Rhosus, était à destination du Mozambique, mais s’est arrêté à Beyrouth en raison de difficultés financières qui ont également créé des troubles avec l’équipage russo-ukrainien du navire.
Une fois arrivé, le navire n’a jamais quitté le port de Beyrouth, selon le directeur des douanes libanaises, Badri Daher, malgré les avertissements répétés de lui et d’autres que la cargaison était l’équivalent d’une « bombe flottante ».
« En raison du danger extrême posé par cette cargaison stockée dans des conditions climatiques inappropriées, nous réitérons notre demande aux autorités portuaires de réexporter immédiatement les marchandises pour maintenir la sécurité du port et de ceux qui y travaillent », a déclaré le prédécesseur de Daher, Chafic Merhi , dans une lettre de 2016 adressée à un juge impliqué dans l’affaire.
Les autorités libanaises n’ont pas nommé le MV Rhosus comme étant la source de la substance qui a finalement explosé à Beyrouth mardi, mais le Premier ministre Hassan Diab a déclaré que l’explosion dévastatrice avait été causée par 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Il a ajouté que la substance avait été stockée pendant six ans dans l’entrepôt du port sans mesures de sécurité, « mettant en danger la sécurité des citoyens ».
Le Directeur de la Sûreté générale du Liban a également déclaré qu’un « matériel hautement explosif » avait été confisqué des années auparavant et stocké dans l’entrepôt, qui se trouve à seulement quelques minutes à pied des quartiers commerçants et de la vie nocturne de Beyrouth. L’explosion massive de mardi, qui a secoué la capitale, a fait au moins 135 morts et 5 000 blessés.
« Bombe flottante »
En 2013, le MV Rhosus est parti de Batoumi, en Géorgie, à destination du Mozambique, selon la trajectoire du navire et le récit de son capitaine Boris Prokoshev.
Il transportait 2 750 tonnes métriques de nitrate d’ammonium, un produit chimique industriel couramment utilisé dans le monde comme engrais, et également dans les explosifs pour l’exploitation minière.
Le navire battant pavillon moldave s’est arrêté en Grèce pour faire le plein. C’est à ce moment-là que le propriétaire du navire a dit aux marins russes et ukrainiens qu’il était à court d’argent et qu’ils devraient récupérer une cargaison supplémentaire pour couvrir les frais de voyage, ce qui les a amenés à faire un détour par Beyrouth.
Le navire appartenait à une société appelée Teto Shipping qui, selon les membres de l’équipage, appartenait à Igor Grechushkin, un homme d’affaires de Khabarovsk résidant à Chypre.
Une fois à Beyrouth, le MV Rhosus a été arrêté par les autorités portuaires locales en raison de « violations flagrantes du Code maritime », de frais impayés au port et de plaintes déposées par les équipages russe et ukrainien, selon l’Union des marins de Russie (affiliée avec la Fédération internationale des ouvriers du transport, ou ITF), qui représentait les marins russes.
Il n’a jamais repris sa route.
Les marins étaient sur le navire depuis 11 mois avec peu de ravitaillement, selon Prokoshev. « J’ai écrit à Poutine tous les jours… Finalement, nous avons dû vendre le carburant et utiliser l’argent pour engager un avocat car personne ne nous aidait, le propriétaire ne nous a même pas fourni de nourriture ou d’eau », a déclaré Prokoshev mercredi dans une interview à la radio Echo Moscou.
Ils finiraient par abandonner le navire. « Selon nos informations, l’équipage russe a ensuite été rapatrié dans son pays d’origine… les salaires n’ont pas été payés », a déclaré le syndicat à CNN.
« A l’époque, à bord du cargo, il y avait des marchandises particulièrement dangereuses comme du nitrate d’ammonium, que les autorités portuaires de Beyrouth n’ont pas permis de décharger ou de transférer sur un autre navire », a-t-il ajouté.
En 2014, Mikhail Voytenko, qui dirige une publication en ligne sur les activités maritimes, a décrit le navire comme une « bombe flottante ».
CNN a fait plusieurs tentatives infructueuses pour joindre Grechushkin sur un numéro de téléphone chypriote.
Avertissements non entendus
Selon des courriels échangés par Prokoshev et un avocat basé à Beyrouth, Charbel Dagher, qui représentait l’équipage au Liban, le nitrate d’ammonium a été déchargé dans le port de Beyrouth en novembre 2014 et stocké dans un hangar.
Il a ensuite été gardé dans ce hangar pendant six ans, malgré les avertissements répétés du directeur des douanes libanaises, Badri Daher, du « danger extrême » que représentait la cargaison.
Mais des documents judiciaires publics que CNN a obtenus par l’intermédiaire de l’éminent militant libanais des droits humains, Wadih Al-Asmar, révèlent que Daher et son prédécesseur, Merhi, se sont tournés vers les tribunaux de Beyrouth pour aider à éliminer les marchandises dangereuses à plusieurs reprises à partir de 2014.
« Dans nos notes 19320/2014 du 5/12/2014 et du 5/6/2015 […] nous avons demandé que votre honneur ordonne aux autorités portuaires compétentes de réexporter le nitrate d’ammonium qui a été enlevé du navire Rhosus et placé dans le hangar douanier numéro 12 dans le port de Beyrouth », a écrit Daher en 2017.
À certains moments, il a même proposé de vendre la cargaison dangereuse à l’armée libanaise, selon les documents judiciaires, mais en vain.
Daher a confirmé mercredi à CNN que son bureau avait envoyé « un total de six lettres aux autorités judiciaires », mais que les autorités n’avaient répondu à aucune d’entre elles.
« L’autorité portuaire n’aurait pas dû permettre au navire de décharger les produits chimiques dans le port », a-t-il déclaré. « Les produits chimiques allaient à l’origine au Mozambique, pas au Liban. »
Mercredi, le directeur général du port de Beyrouth, Hassan Kraytem, a déclaré à la chaîne de télévision locale OTV : « Nous avons stocké le matériel dans le hangar numéro 12 du port de Beyrouth conformément à une ordonnance du tribunal. Nous savions qu’il s’agissait de matériaux dangereux, mais pas à ce point. »
Kraytem a également déclaré que la question de l’enlèvement des matières explosives avait été soulevée par la Sûreté de l’Etat et les Douanes, mais que la question n’avait pas été « résolue ».
« Les douanes et la Sûreté de l’État ont envoyé des lettres [aux autorités] demandant de retirer ou de réexporter les matières explosives il y a six ans, et nous attendons depuis lors que ce problème soit résolu, mais en vain », a déclaré Kraytem.
Des travaux d’entretien ont été effectués sur la porte de l’entrepôt quelques heures avant l’explosion de mardi, a-t-il ajouté. « La Sûreté de l’État nous a demandé de réparer une porte de l’entrepôt et nous l’avons fait à midi, mais ce qui s’est passé dans l’après-midi, je n’en ai aucune idée », a-t-il déclaré.
Nitrate d’ammonium
Le nitrate d’ammonium a été impliqué dans des explosions industrielles mortelles dans le passé et est connu pour exiger une manipulation prudente.
« Le nitrate d’ammonium mal stocké est connu pour les explosions, par exemple à Oppau, en Allemagne ; à Galveston Bay, au Texas ; et plus récemment à West à Waco, au Texas ; et à Tianjin en Chine », a déclaré Andrea Sella, professeur de chimie inorganique à l’University College Londres, au Science Media Center [sans parler de l’usine AZF à Toulouse].
« Il s’agit d’un échec sécuritaire catastrophique car les réglementations sur le stockage du nitrate d’ammonium sont généralement très claires. L’idée qu’une telle quantité aurait été laissée sans surveillance pendant six ans est aberrante et constituait un accident en attente de survenir. »
Peut-être que la comparaison la plus proche de l’explosion de Beyrouth, en termes d’échelle, est une explosion à Texas City en 1947, qui a été causée par 2 300 tonnes américaines (environ 2 087 tonnes métriques) de nitrate d’ammonium. L’incendie qui en a résulté a provoqué une explosion et des incendies supplémentaires qui ont endommagé plus de 1 000 bâtiments et tué près de 400 personnes, selon le site internet de la Texas Historical Association.
Les catastrophes précédentes liées au produit chimique ont conduit à une amélioration des réglementations pour son stockage sûr, a déclaré à CNN le professeur Stewart Walker, agrégé de l’école de chimie médico-légale, environnementale et analytique de l’Université Flinders à Adélaïde, en Australie ; ces règles signifient qu’il a tendance à être tenu à l’écart des centres de population.
« Ces deux éléments seront remis en question dans l’enquête sur l’explosion de Beyrouth, car les entrepôts contenaient une si grande quantité de nitrate d’ammonium, qui n’a peut-être pas été stockée de manière appropriée, et dans une zone où il y a un grand nombre de personnes », a-t-il ajouté.
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