«Nous menons des coups d’État contre qui nous voulons»: aveux sur le renversement de la démocratie en Bolivie

«Nous menons des coups d’État contre qui nous voulons»: aveux sur le renversement de la démocratie en Bolivie

Les voitures et bateaux électriques, les panneaux solaires et la pléthore de machines alimentées par des batteries au lithium sont « propres », « écologiques » et représentent un progrès, croit-on ?

Pas pour tout le monde.


Le 24 juillet 2020, Elon Musk de Tesla a écrit sur Twitter qu’un deuxième plan de relance du gouvernement américain « n’est pas dans l’intérêt du peuple ». Quelqu’un a répondu à Musk peu après : « Vous savez ce qui n’était pas dans le meilleur intérêt des gens ? Que le gouvernement américain organise un coup d’État contre Evo Morales en Bolivie pour que vous puissiez prendre le lithium là-bas ». Musk a alors écrit :

Nous menons des coups d’État contre qui nous voulons ! Faites avec. »

Musk fait ici référence au coup d’État contre le président Evo Morales Ayma, qui a été démis illégalement de ses fonctions en novembre 2019. Morales venait de remporter une élection pour un mandat qui devait commencer en janvier 2020. Même si cette élection a été contestée, le mandat de Morales aurait dû se poursuivre jusqu’en novembre et décembre 2019. Au lieu de cela, l’armée bolivienne, sur ordre de l’extrême droite bolivienne et du gouvernement des États-Unis, a menacé Morales ; Morales s’est exilé au Mexique et se trouve maintenant en Argentine.

À l’époque, les « preuves » de la fraude étaient fournies par l’extrême droite et par un « rapport préliminaire » de l’Organisation des États américains ; ce n’est qu’après la destitution de Morales que les médias grand public ont reconnu à contrecœur qu’il n’y avait en fait aucune preuve de fraude. Il était trop tard pour la Bolivie, condamnée à un gouvernement dangereux qui a suspendu la démocratie dans le pays.

Coup d’État pour le lithium

Pendant ses 14 années de mandat, Morales s’est battu pour mettre les richesses de la Bolivie au service du peuple bolivien, qui a vu, après des siècles d’oppression, des progrès remarquables dans la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Les taux d’alphabétisation ont augmenté et la faim a diminué. L’utilisation des richesses de la Bolivie pour promouvoir les intérêts du peuple plutôt que ceux des multinationales nord-américaines était une abomination pour l’ambassade des États-Unis à La Paz, qui avait incité les pires éléments de l’armée et de l’extrême droite à renverser le gouvernement.

C’est exactement ce qui s’est passé en novembre 2019.

L’aveu de Musk, même s’il est incendiaire, est au moins franc. Sa société Tesla a longtemps voulu un accès à bas prix aux importants gisements de lithium de la Bolivie ; le lithium est un ingrédient clé des batteries. Au début de l’année, Musk et sa société ont révélé qu’ils voulaient construire une usine Tesla au Brésil, qui serait alimentée par le lithium de Bolivie ; lorsque nous avons écrit à ce sujet, nous avons intitulé notre reportage « Elon Musk agit comme un néo-conquistador envers le lithium d’Amérique du Sud ». Tout ce que nous y avons écrit est condensé dans son nouveau tweet : l’arrogance envers la vie politique d’autres pays, et l’avidité envers les ressources que des gens comme Musk pensent leur être dues.

Musk a ensuite supprimé son tweet. Puis il a déclaré : « nous obtenons également notre lithium de l’Australie » ; cela ne réglera pas la question, car des sourcils se lèvent en Australie concernant les dommages environnementaux causés par l’extraction du lithium.

La démocratie en suspens

Après la destitution de Morales, une insignifiante politicienne d’extrême droite du nom de Jeanine Áñez a mis de côté le processus constitutionnel et s’est emparée du pouvoir. Elle a montré le caractère de sa politique lorsqu’elle a signé un décret présidentiel le 15 novembre 2019, qui donnait aux militaires le droit de faire ce qu’ils voulaient ; même ses alliés ont trouvé que cela allait trop loin et l’ont abrogé le 28 novembre.

Les arrestations et les intimidations de militants du Mouvement pour le socialisme (MAS) – le parti de Morales – ont commencé en novembre 2019 et se poursuivent. Le 7 juillet 2020, sept sénateurs américains ont publié une déclaration qui disait : « Nous sommes de plus en plus préoccupés par le nombre croissant de violations des droits de l’homme et de restrictions des libertés civiles par le gouvernement intérimaire de Bolivie. Sans un changement de cap de la part du gouvernement intérimaire », ont écrit les sénateurs,

nous craignons que les droits civils fondamentaux en Bolivie ne soient encore érodés et que la légitimité des élections cruciales à venir ne soit mise en péril. »

Il n’y a pas lieu de s’inquiéter à ce sujet, puisque le gouvernement d’Áñez ne semble pas vouloir organiser d’élections. Selon tous les sondages, Áñez sera battue aux élections générales. Un récent sondage du Centro Estratégico Latinoamericano de Geopolítica (CELAG) indique qu’Áñez n’obtiendra que 13,3 %, loin derrière Luis Arce du Mouvement socialiste (41,9 %) et Carlos Mesa du centre droit (26,8 %). L’élection devait avoir lieu en mai, mais elle a été reportée au 6 septembre ; elle est maintenant reportée une fois de plus, cette fois au 18 octobre. La Bolivie n’aura pas eu de gouvernement élu pendant une année entière.

Luis Arce, du MAS, a récemment déclaré à Oliver Vargas : « Nous sommes confrontés à une persécution, à de la surveillance… nous sommes confrontés à une campagne très difficile ». Mais, a-t-il dit, « nous sommes sûrs que nous allons gagner ces élections ». Si les élections sont autorisées.

L’étude du CELAG montre que 9 Boliviens sur 10 ont vu leurs revenus diminuer en raison de la récession due au coronavirus. Pour cette raison – et aussi à cause de l’attaque du gouvernement contre le MAS – 65,2 % des Boliviens ont une évaluation négative d’Áñez. Il est important de noter qu’en raison des politiques positives du MAS de Morales, l’orientation socialiste est largement soutenue ; 64,1 % des Boliviens sont favorables à des taxes contre les riches, et les Boliviens en général soutiennent le socialisme axé sur les ressources du MAS et de Morales.

Le choc du coronavirus et la Bolivie

Le gouvernement d’Áñez a fait preuve d’une incompétence totale en ce qui concerne le coronavirus. Le nombre de cas confirmés de COVID-19 dans ce pays de 11 millions d’habitants est de 66 456 ; comme les tests sont rares, le nombre est probablement beaucoup plus élevé.

Revenons à Musk. Plus tôt cette année, le 31 mars, la ministre provisoire bolivienne des affaires étrangères, Karen Longaric, a écrit une lettre obséquieuse à Musk pour lui poser des questions sur « l’offre de coopération que vous avez affichée concernant les respirateurs à envoyer dans les pays où ils sont le plus nécessaires ». Longaric a déclaré : « S’il n’est pas possible de les envoyer en Bolivie, nous pouvons organiser leur réception à Miami, en Floride, et les transporter de là aussi vite que possible ». Aucun de ces respirateurs n’est arrivé.

Au lieu de cela, le gouvernement a acheté 170 respirateurs à un fournisseur espagnol pour 27 000 dollars chacun ; les producteurs boliviens avaient dit qu’ils pouvaient fournir des respirateurs pour 1 000 dollars par unité. Le ministre de la santé du gouvernement Áñez – Marcelo Navajas – a été arrêté pour ce scandale.

Morales

Evo Morales a lu le tweet de Musk sur le coup d’État en Bolivie et a répondu :

Elon Musk, le propriétaire de la plus grande compagnie de voitures électriques, dit à propos du coup d’État en Bolivie : « Nous menons des coups d’État contre qui nous voulons ». Une autre preuve que le coup d’État a porté sur le lithium bolivien, au prix de deux massacres. Nous défendrons toujours nos ressources ! »

La référence aux massacres est importante. En novembre, depuis Mexico, Morales a regardé le gouvernement d’Áñez lâcher ses chiens de guerre contre le peuple bolivien de Cochabamba à El Alto. « Ils tuent mes frères », a déclaré Morales lors d’une conférence de presse. « C’est le genre de choses que faisaient les anciennes dictatures militaires. » Tel est le caractère toxique du gouvernement d’Áñez, pleinement soutenu par le gouvernement américain et Elon Musk.

Des manifestations pour la restauration de la démocratie ont commencé le 27 juillet à travers la Bolivie.

 Vijay Prashad et Alejandro Bejarano

Paru sur Monthly Review, produit par Globetrotter sous le titre ‘We will coup whoever we want’: Elon Musk and the overthrow of democracy in Bolivia

Traduction Entelekheia
Illustration Tayeb Mezahdia / Pixabay

Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca

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