Fausse révolte
Se souvenir des figures historiques pour des luttes fécondes
Depuis la mort de George Floyd, j’ai observé de loin le mouvement Black Lives Matter (BLM) et les débats sur le racisme systémique en tentant de réfléchir à la question du point de vue le plus objectif possible. Objectifs, nous ne le sommes jamais vraiment. Je suis sûrement influencé par mon passé de québécois rural, né dans les années 80, qui vivait dans une communauté à forte majorité blanche et francophone et pour qui le racisme n’était pas du tout une réalité communautaire. Mais peut-être que, justement, cette vision extérieure apporte une valeur ajoutée à un débat trop souvent teinté par les discours extrémistes ou intéressés.
Avec la mondialisation et l’ouverture des frontières, nous sommes de plus en plus tous concernés par la question de l’étranger, amenés à vivre en communauté avec des personnes de langues, de couleurs de peau, de cultures et de religions différentes. Il serait naïf et inexact de dire que ces différences ne mènent à aucun heurt social. Il y a du racisme et de la xénophobie en chacun de nous, mus par une certaine peur de l’autre, une certaine jalousie de l’autre, une certaine méconnaissance de l’autre. La question du racisme est certes d’actualité et mérite une réflexion approfondie. Une partie de cette réflexion devrait d’ailleurs porter sur la gestion actuelle de la crise Covid-19, où le soi-disant sauvetage des vies occidentales et blanches prend l’ascendant sur les impacts dévastateurs qu’ont nos mesures politico-économiques restrictives auprès de millions de vies africaines (1). Oui, à bien y penser, il y a racisme et surtout égocentrisme systémique.
Mais revenons au mouvement BLM. Je viens de prendre connaissance de la demande de certains étudiants racisés de l’Université McGill d’enlever du campus la statue de James McGill, fondateur de l’université, et comme la plupart des hommes riches de son temps, esclavagiste. J’ai un malaise avec la façon dont les jeunes militants mènent leur combat. Le déboulonnage de statues, qui apparaît comme la volonté d’effacer de l’espace publique la mémoire de figures historiques, est selon moi très dangereux pour l’indépendance d’esprit et la liberté de conscience. Premièrement, en effaçant des noms de rue et en faisant tomber des statues, on n’efface pas le passé. Ce qui s’est passé s’est passé, et personne ne pourra rien y changer. Deuxièmement, il m’apparaît primordial de se rappeler ce passé. Étant de descendance canadienne française, je ne porte pas particulièrement James McGill dans mon cœur. Pour parler franc, cet homme est l’icône du riche rentier exploiteur de peuple qui s’est repu toute sa vie du travail des autres. Pourquoi est-il important de se souvenir de James McGill? Pour se rappeler qu’il existe en ce monde de riches rentiers exploiteurs de peuple qui se repaissent du travail des autres.
En voulant effacer de notre patrimoine historique le symbole de ce genre de personnages, on croit obtenir réparation alors qu’il n’en est rien. Surtout, en s’attaquant aux James McGill de l’histoire, on insinue que le monde sera égalitaire et fleuri seulement en lavant le passé de ses souillures. La réalité est qu’en faisant comme si McGill et compagnie n’avaient pas existé, on oubliera. Et le jour où on aura tout oublié, on prétendra vivre dans un monde harmonieux guéri de tout rapport de force. Je ne crois pas à cette illusion. Je crois plutôt qu’il faut se souvenir pour comprendre d’où l’on vient et pour ne pas répéter. Il faut garder les statues bien droites et les regarder en face, connaître les hommes et les idées qu’ils représentent pour savoir repérer les contemporains du même acabit.
Jeunesse pleine de fougue, ne croyez-vous pas que les racistes, les exploiteurs et les tyrans d’aujourd’hui rient dans leur barbe en vous voyant mettre tous vos efforts à vous battre contre des personnes décédées il y a des siècles? Au même moment, vos pays sont économiquement mis au tapis par des mesures d’urgence sanitaire qui semblent vouloir s’étirer pour encore très longtemps, justifiant le contrôle et la surveillance d’une majorité d’humains à travers le globe. N’avez-vous pas pensé que votre lutte contre le racisme systémique puisse être actuellement accommodante pour nos dirigeants, eux qui s’apprêtent à nous imposer, à l’échelle mondiale, des réformes politico-économiques majeures à la suite d’une pandémie à l’évolution et aux contrecoups plus que questionnables? Quand le chef d’État canadien et autres politiciens se mettent à genou pour vous soutenir, je vois le pouvoir instrumentaliser votre colère et se moquer de votre cause. Le pouvoir ne se met pas à genou quand il fait face à un mouvement révolutionnaire qui le menace. Il le combat férocement et l’écrase. Votre lutte, si elle est appuyée par le pouvoir politique, est inopportunément inoffensive. Comme nous le chantait Félix Leclerc : « Quand le patron te raconte que t’es adroit et gentil, sois sûr que t’es le nigaud qui fait marcher son bateau ».
Des James McGill, il y en a encore plein qui respirent, qui mangent et qui boivent. Allez visionner le documentaire pamphlétaire de Pierre Falardeau, « Le temps des bouffons ». Il a été tourné en 1985 lors d’un banquet soulignant le 200e anniversaire du Beaver Club, club social regroupant de riches marchands et fondé à l’époque par McGill et ses acolytes. Vous aurez de quoi vous révolter contre la chair et les os et non pas contre un symbole. Vous aurez de quoi vous révolter pour une cause féconde qui, vous verrez, ne vous vaudra pas l’honneur d’être accompagnés par le pouvoir politique lors de vos marches de manifestation.
Puisque j’ai cité Félix Leclerc et que je fais dans ce texte l’éloge du souvenir, je terminerai ma réflexion en m’appuyant sur une chanson de Georges Brassens. Moi qui balance entre deux âges, je vous adresse ce message : Pensez vos actions politiques et mesurez-les bien, car pour le moment, bien que le mouvement BLM ait sa légitimité, il n’ébranle en rien les colonnes du temple. Il y ajoute des pierres. Si vous voulez vous battre contre les injustices et la tyrannie, ne jouez pas son jeu. Ne devenez pas la caricature des petits cons de la dernière averse marchant main dans la main avec ces vieux cons des neiges d’antan.
Vincent Mathieu, Ph.D.
(1) Les règles de confinement imposés par les politiques et les experts médicaux ayant contribué à briser plusieurs chaînes de production et d’approvisionnement, coûtant conséquemment l’emploi à une multitude de personnes, ont eu un impact profond sur les difficultés de suffisance alimentaire partout dans le monde. Sont particulièrement touchés les « pays en développement » où le nombre d’individus souffrant de dénutrition pourrait doubler en 2020. Rappelons qu’en période pré-pandémique, on évaluait déjà à plus de 20 000 le nombre de morts quotidiens reliés à la famine. Mais nous pouvons imaginer que ces vies perdues (pour la plupart des personnes de couleur) ont moins de valeur aux yeux de certains occidentaux qui ne pensent qu’à sauver leur peau et à qui on donne assurément trop de tribune. Voir : https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/covid-19-vers-une-catastrophe-humanitaire-mondiale-8e996d16db9d2b3b6b79dd7111f57053; https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/pays-defavorises-le-coronavirus-pourrait-etre-ressenti-jusquen-2023-db2a83af943b839cb1d1a4107511c887.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec