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Le succès de la résistance civile non violente : Erica Chenoweth à TEDxBoulder
Entre 1900 et 2006, les campagnes de résistance civile non violente ont eu deux fois plus de succès que les campagnes violentes. Erica parlera de ses recherches sur l’impressionnant bilan historique de la résistance civile au XXe siècle et évoquera la promesse d’une lutte non armée au XXIe siècle. Elle mettra l’accent sur la “règle des 3,5 %”, c’est-à-dire sur l’idée qu’aucun gouvernement ne peut résister à un défi posé par 3,5 % de sa population sans s’adapter au mouvement ou (dans des cas extrêmes) se désintégrer. En plus d’expliquer pourquoi la résistance non-violente a été si efficace, elle partagera également quelques leçons apprises sur les raisons pour lesquelles elle échoue parfois.
Crédits vidéo
Jenn Calaway, spécialiste de l’amélioration
Michael Hering, Lodo Cinema
Sarah Megyesy, Side Pocket Images
Satya Peram, Flatirons Films
Sean Williams, RMO Films
Anthony Lopez, Cross Beyond
David Oakley
Transcription
J’aimerais que vous imaginiez vivre dans un pays très répressif. Il y a des élections, mais elles sont truquées. Le dirigeant gagne avec 100% des voix à chaque fois. La police frappe les leaders de l’opposition en toute impunité ; et ils harcèlent n’importe qui d’autre. C’est un pays où être ici maintenant vous ferait mettre sur une liste.
Disons que vous en avez marre, et que de nombreuses autres personnes avec qui vous parlez tout bas aussi. Je ne parle pas de Hunger Games,
bien que ça serait génial ! (Rires) Malheureusement, je vous parle de faits réels que de nombreuses personnes affrontent en ce moment.En supposant que vous décidez d’agir, quel serait le meilleur moyen pour vous de contester le système et de créer quelque chose de neuf ? Ma réponse à cette question a changé ces dernières années.
En 2006, j’étais doctorante ici à Boulder, en sciences politiques, et mon sujet était sur comment et pourquoi les gens utilisent la violence pour créer un changement politique dans leur pays.
Ainsi, pour revenir à mon scénario, à l’époque je m’étais convaincue que le pouvoir coule du canon des fusils, et ce que j’aurais dit, bien que ça soit tragique, est qu’il est logique dans ces situations que les gens utilisent la violence pour changer les choses.
Mais ensuite j’ai été invitée à une conférence organisée par l’International Center on Nonviolent Conflict. Ils proposaient une semaine de débat sur la résistance non-violente pour encourage des personnes comme moi de l’enseigner à nos classes.
Mon opinion de tout ça à ce moment était que c’était bien intentionné mais dangereusement naïf. Je veux dire, ce qu’ils m’ont envoyé en avance disait que le meilleur moyen d’engager des changements politiques très difficiles était via la non-violence ou la résistance civile.
Ils décrivaient la résistance civile comme une forme active de conflit, où des citoyens non armés useraient des tactiques comme les manifestations, le boycott, les grèves, et de nombreuses autres formes de non-coopération de masse pour changer les choses. Ils ont évoqué des cas comme la Serbie, où une révolution non-violente a renversé Slobodan Milošević, le boucher des Balkans, en octobre 2000, et les Philippines, où un soulèvement populaire a évincé Ferdinand Marcos en 1986.
À la conférence, j’ai dit : « Bien, ce sont sûrement des exceptions. Pour chaque réussite que vous trouvez, je peux penser à un échec comme la place Tian’anmen. Je peux aussi penser à de nombreux cas où la violence a très bien marché comme les révolutions russe, française et algérienne. Peut-être que la non-violence marche pour des réformes environnementales, pour le droit des femmes, du travail mais ça ne peut pas marcher si on essaye de renverser un dictateur ou de devenir un nouveau pays. Et ça ne marche définitivement pas, si le leader autoritaire auquel on fait face n’est pas incompétent, si c’est quelqu’un de très brutal et sans pitié. »
À la fin de la semaine, vous l’imaginez, je n’étais pas très populaire. (Rires)
Mais, ma désormais co-autrice, Maria Stephan, s’est approchée et a dit quelque chose comme : « Si tu as raison, alors prouve-le ! Es-tu assez curieuse pour étudier cela sérieusement, empiriquement ? »
Croyez-le ou non, personne ne l’avait encore fait systématiquement, et même si j’étais encore sceptique, j’étais curieuse. J’ai compris que s’ils avaient raison, et moi tort, il fallait le montrer.
Alors, pendant deux ans, j’ai collecté des données sur toutes les campagnes majeures non-violentes et violentes dans le but de renverser un gouvernement ou de libérer un territoire depuis 1900. Les données couvraient le monde entier et consistaient en chaque cas connu dans lequel il y avait eu au moins 1 000 participants ; ça fait des centaines de cas.
Puis j’ai analysé les résultats, et les résultats m’ont vraiment surprise.
De 1900 à 2006, les campagnes non-violentes dans le monde avaient deux fois plus de chance de réussir que les insurrections violentes.
Et il y a plus. Cette tendance s’est accrue avec le temps, ainsi seulement ces 50 dernières années, les campagnes non-violentes deviennent de plus en plus victorieuses et communes, alors que les insurrections violentes sont de plus en plus rares et inefficaces. C’est vrai même sous des régimes extrêmement brutaux et autoritaires pour lesquels je pensais que la non-violence échouait.
Pourquoi la résistance civile est-elle bien plus efficace que le combat armé ? La réponse se trouve dans le pouvoir même des gens.
Les chercheurs disent usuellement qu’aucun gouvernement ne peut survivre si seulement 5% de sa population se soulève contre celui-ci. Nos données montrent que ça pourrait être plus petit encore.
Aucune campagne n’a échoué durant cette période après avoir atteint une participation active et soutenue de juste 3,5% de la population. Et beaucoup d’elles réussirent avec bien moins de monde. 3,5%, ce n’est [pas] presque rien. Aux USA, cela fait environ 11 millions de personnes.
Mais écoutez bien : toutes les campagnes surpassant ces 3,5% étaient non-violentes. En fait, les campagnes non-violentes étaient en moyenne quatre fois plus grandes que les campagnes violentes, et elles étaient très souvent bien plus inclusives et représentatives en termes de genre, âge, ethnie, orientation politique, classe, et répartition entre urbains et ruraux.
La résistance civile permet à des personnes de tout niveau de capacité physique à participer, de sorte que cela inclut les plus âgés, les handicapés, les femmes, les enfants, et tous ceux qui le veulent.
Si vous y pensez bien, on est tous né avec une capacité physique naturelle à résister non-violemment. Tous ceux qui ont des enfants savent comme c’est dur de porter un enfant qui ne veut pas bouger ou de nourrir un enfant qui ne veut pas manger.
La résistance violente, en revanche, demande un peu plus physiquement, et cela la rend un peu plus exclusive. Pour ma part, quand j’étais au collège, j’avais des cours de Science Militaire parce que je souhaitais préparer l’armée pour devenir officier. J’ai vraiment beaucoup aimé le rappel, les sessions de tir, la lecture de carte, bien sûr, et les uniformes. Mais je n’étais pas enthousiaste quand ils m’ont demandé de me lever en pleine nuit et courir jusqu’à en vomir. Alors j’ai arrêté et j’ai choisi la carrière bien moins dure de professeur. (Rires)
Personne ne prend les mêmes risques dans la vie, et beaucoup ne viendront pas à moins d’espérer se cacher dans la foule. La visibilité des tactiques de résistance civile, comme les manifestations, leur permet de faire venir ces personnes prudentes dans la mêlée.
Imaginez-vous à nouveau instant dans ce pays répressif. Disons que votre meilleur ami et voisin vient vous voir et dit : « Je sais que tu partages notre cause. Nous organisons une grande manifestation ce soir à 20h au bout de la rue. J’espère qu’on s’y verra. »
Je ne sais pas vous, mais je ne suis pas du genre à arriver à 19h55 pour voir ce qu’il se passe. Je vais probablement jeter un coup d’œil vers 20h30 pour voir ce qu’il se passe. Si je vois six personnes sur la place, je reste chez moi. Mais si j’en vois 6 000, et d’autres qui arrivent par les rues adjacentes, je vais peut-être y aller.
Mon idée est que la visibilité des actions de résistance civile leur permet d’attirer des participations plus diverses et actives de ces personnes ambivalentes et une fois qu’elles sont impliquées, c’est quasi-certain que le mouvement aura des liens avec les forces de sécurité, les bureaucrates, les élites économiques et financières, élites du système éducatif, les médias, les autorités religieuses, etc. et ces personnes commencent à réévaluer leurs propres allégeances.
Aucun loyaliste, dans n’importe quel pays, ne vit entièrement isolé de la population. Il a des amis, de la famille, des relations avec qui il doit vivre sur le long-terme, que le dirigeant reste en place ou non.
En Serbie, quand il est devenu évident que des centaines de milliers de Serbes descendaient dans Belgrade pour demander la démission de Milošević, les policiers ont commencé à désobéir à l’ordre de tirer sur les manifestants. Quand l’un d’eux a été interrogé pourquoi, il a juste répondu : « Je savais que mes enfants seraient là. »
Certains d’entre vous pensent : « Est-elle folle ? Au JT, je vois des manifestants se faire tirer dessus tout le temps. » Et c’est le cas.
Parfois il y a des répressions, mais même dans ces cas, les campagnes non-violentes sont deux fois plus efficaces que les violentes. Il s’avère que quand les forces de l’ordre frappent, arrêtent et même tirent sur des activistes non armés, il y a la sécurité du nombre.
De grandes campagnes bien organisées peuvent alterner entre des tactiques qui sont concentrées comme des manifestations ou des grèves, et des tactiques de dispersion, dans lesquelles les gens restent loin des endroits où ils sont attendus. Ils font des grèves, ils tapent sur des casseroles, ils restent à la maison, ils éteignent leur lumière de manière coordonnée. Ces tactiques sont bien moins risquées, elles sont vraiment dures, ou du moins vraiment chères, à réprimer, mais le mouvement est tout autant perturbateur.
Qu’arrive-t-il dans ces pays quand la poussière retombe ? Il s’avère que le moyen avec lequel vous résistez importe sur le long terme aussi.
Plus étonnamment, les pays dans lesquels les gens mènent un combat non-violent sont bien plus susceptibles de voir émerger des institutions démocratiques que les pays dans lesquels des combats violents sont menés. Ces pays avec des campagnes non-violentes sont 15% moins susceptibles de finir en guerre civile.
Les données sont claires : quand les gens utilisent la résistance civile, leur taille augmente, et quand un grand nombre de personnes retire leur coopération d’un système oppressif, les probabilités sont encore plus favorables. (Rires)
Donc, de nombreuses personnes comme moi ont ignoré les millions de personnes dans le monde qui utilisent habillement la résistance civile en faveur de l’étude des choses qui explosent.
Ça m’a fait réfléchir sur ma manière de penser. Pourquoi m’est-il si confortable de penser que la violence marche ? Pourquoi ai-je trouvé acceptable de supposer que la violence arrive quasi-systématiquement de par les circonstances ou par nécessité, que c’est l’unique solution dans certaines situations ? Dans une société qui célèbre les héros de guerre lors de la fête nationale, je suppose qu’il est naturel de croire que la violence et le courage sont une seule et même chose, et que les vraies victoires ne peuvent pas venir sans bains de sang des deux côtés.
Mais les preuves que je présente ici suggèrent que pour ceux qui veulent vraiment changer les choses, il y a des alternatives réalistes.
Imaginez comment notre monde serait maintenant si on s’autorisait à croire en ça. Si nos cours d’histoire mettaient en avant la décennie de désobéissance civile ayant eu lieu avant la Déclaration d’Indépendance plutôt que la guerre qui est venue après ? Et si les sciences sociales mettaient en valeur Gandhi et Martin Luther King dans le premier chapitre de leurs livres plutôt qu’en annexe ? Et si tous les enfants quittaient le primaire en sachant plus sur les Suffragettes que sur la bataille de Bunker Hill ?
Et si c’était su de tous que si une manifestation tourne mal, il y a de nombreuses méthodes de dispersion non-violentes qui peuvent garder le mouvement sauf et actif ?
Donc, nous sommes en 2013, à Boulder, dans le Colorado. Certains pensent peut-être « C’est génial que la résistance civile marche. Que puis-je faire ? »
Encouragez vos enfants à en savoir plus sur les héritages non-violents des 200 dernières années et explorer le potentiel du pouvoir du peuple.
Dites à vos élus d’arrêter de perpétuer l’opinion erronée que la violence paye en soutenant les premiers qui prennent les armes lors d’une insurrection civile.
Bien que la résistance civile ne puisse pas être importée ou exportée, l’heure est venue pour nos dirigeants d’adopter une autre façon de penser ; qui est qu’aussi bien à court terme qu’à long terme la résistance civile mène vers des sociétés dans lesquelles les gens peuvent vivre plus librement et pacifiquement ensemble.
Maintenant que nous savons tout ceci sur le pouvoir du conflit non-violent, je le vois comme notre responsabilité de le partager au monde, de sorte que les générations futures ne tombent pas dans le mythe que la violence est notre seule issue.
Merci.
(Applaudissements)
Traducteur : Florent Haffner
Relecteur : Eric Vautier
Mise en forme à partir des sous-titres : Bigue Nique
- Texte en anglais (avec de nombreuses références) sur le site de la conférencière Erica Chenoweth :
My Talk at TEDxBoulder: Civil Resistance and the “3.5% Rule”