Par Khider Mesloub.
Après avoir ordonné la fermeture du consulat chinois à Houston, Trump a adjuré « le monde libre » à triompher de la « nouvelle tyrannie » de Pékin. Quant à Mike Pompeo, il a déclaré en Californie : « La Chine d’aujourd’hui est de plus en plus autoritaire à l’intérieur du pays, et plus agressive dans son hostilité face à la liberté partout ailleurs ». Par ailleurs, Donald Trump a également annoncé la fin du régime économique préférentiel accordé par les Etats-Unis à Hong Kong et signé une loi prévoyant des sanctions contre la « répression » dans le territoire chinois. « Aujourd’hui, j’ai signé une loi et un décret pour faire rendre des comptes à la Chine en raison de sa répression de la population de Hong Kong », a précisé l’humaniste président américain, Donald Trump.
Ces proclamations de foi démocratique ont été prononcées par le président Trump et son ministre des affaires étrangères, Mike Pompeo, deux hauts dignitaires américains, dignes parangons de la démocratie, connus pour leur attachement aux droits de l’Homme, au respect des libertés individuelles dans leur pays et du droit de manifestation. Ironie de l’histoire, au moment où le milliardaire président Trump fustigeait le régime chinois pour sa politique répressive, il envoyait des centaines de troupes fédérales dans plusieurs villes américaines, notamment à Portland, pour réprimer des manifestants pacifiques.
Sans scrupule, dans un contexte de crise économique et sanitaire, scandé par un mouvement de protestation de grande ampleur à la suite de la mort de George Floyd sous le genou d’un policier blanc, Trump, ce légendaire pacifiste, donneur de leçons aux autorités chinoises, a opté pour la méthode despotique appliquée en Chine pour écraser les révoltes dans son pays : le recours à la répression violente.
Le même président américain qui vilipendait la « tyrannie de Pékin », la politique répressive de la Chine, s’est fendu d’un tweet dans lequel il appelle, avec une rhétorique aux relents d’État policier qui n’a rien à envier à la dictature capitaliste stalinienne chinoise, ses milices, les fameux agents fédéraux, à nettoyer la ville de Portland de ses « agitateurs » : « La Sécurité intérieure (les forces fédérales) ne quittera pas Portland tant que la police locale n’aura pas achevé le nettoyage (de la ville) des anarchistes et des agitateurs ! », a tweeté Donald Trump vendredi soir.
Cependant, cette politique de pacification du pays n’a pas eu les effets escomptés, aussi bien sur plan politique que psychologique. En effet, dans la perspective des prochaines élections présidentielles, cette stratégie coercitive à la chinoise a entraîné l’effondrement de la côte de popularité de Trump, selon les derniers sondages ; corollairement, elle a permis de ragaillardir le moral des protestataires, à observer le resserrement et l’amplification des rangs des manifestants en très forte augmentation sur la scène de la lutte. Désormais, c’est dans l’ensemble des villes américaines, théâtre d’affrontements violents, que se dressent des barricades. C’est dans l’ensemble des villes que les affrontements entre manifestants et forces répressives se déroulent.
Même la menace de Trump de déployer 75 000 policiers fédéraux n’a pas réfréné les ardeurs subversives des protestataires. Dans plusieurs villes, les manifestations, de plus en plus massives, drainent de nouvelles recrues de protestataires jusque-là récalcitrantes à s’engager dans la lutte. Dans certaines villes, les émeutes, un moment en recul, ont de nouveau repris de plus belle. Les manifestants, pour se protéger des forces de répression, notamment de leurs balles en caoutchouc et de leurs gaz lacrymogènes, s’équipent de moyens de fortune. A l’instar des troupes d’autodéfense improvisées lors des manifestations à Hong-Kong, les manifestants érigent des boucliers géants constitués de parapluies pour parer les grenades lancées par les forces de répression américaines. A Portland, une ville quasiment en guerre, agitée depuis deux mois par des manifestations ponctuées de heurts entre protestataires et policiers, devant le tribunal fédéral, épicentre de la lutte, pour se protéger de la répression des forces de l’ordre, les manifestants ont même fait preuve d’ingéniosité en dressant un « mur des mères », constitué d’une rangée de femmes de tous âges. On pourrait les appeler les « mères protectrices ».
Une chose est sûre : la stratégie répressive à la chinoise de Trump a amplement ravivé la colère et resserré les rangs des protestataires, résolus à poursuivre leur mouvement de protestation contre les violences policières et le racisme (mais en réalité les véritables motivations de ces protestations sont d’ordre social et économique, malaisément exprimées par une population paupérisée et déphasée, politiquement encore immature, et donc idéologiquement objet de manipulation et de récupération, notamment par le camp bourgeois démocrate essentiellement préoccupé par son élection à la présidence, qui a su habilement manœuvrer pour transformer la lutte des classes en lutte des races. Ironie de l’histoire, ces compagnons de lutte d’un jour, en l’espèce les Démocrates, redeviendront, une fois élus à la Maison Blanche, les ennemis de toujours du prolétariat blanc et noir américain : ils se chargeront de réprimer violemment le mouvement de révolte actuel). Outre les manifestants, Trump s’est aliéné également la majorité de la classe dirigeante, notamment parmi son camp républicain. Mais c’est dans le camp des Démocrates que la colère gronde. Pour exprimer leur irritation et leur désapprobation, les maires démocrates de Portland (Oregon), Seattle (Etat de Washington), Chicago, Atlanta (Géorgie), Kansas City et la capitale fédérale, Washington, ont même envoyé une lettre au ministre de la justice pour s’opposer à ce « déploiement unilatéral » de forces fédérales. « En aucun cas, je ne laisserai les soldats de Donald Trump venir à Chicago et terroriser nos habitants », a tweeté la maire de la ville, Lori Lightfoot.
Ainsi, au moment où Trump fait preuve d’inertie et d’incurie dans la gestion de la pandémie du Covid-19, il a décidé de déployer toute son énergie pour tenter d’endiguer les mouvements de protestation socialement viraux et politiquement létaux pour sa présidence. Trump a déclaré vouloir « rendre la police plus forte, pas plus faible ». Qui plus est, il a annoncé sa résolution de recruter davantage de policiers, et son opposition à toute réduction de leur budget. En revanche, il n’a jamais déclaré vouloir rendre les « hôpitaux plus forts », plus performants, mieux équipés, vouloir embaucher des personnels soignants, pour affronter la pandémie du Covid-19, qui a fait 160 000 morts sur une population estimée à 330 millions (la Chine déplore 4600 décès sur une population estimée à 1,4 milliards).
Quoi qu’il en soit, à Portland entre autres, la tension n’est pas retombée. Loin s’en faut. En dépit du déploiement massif des forces répressives, les manifestations, quotidiennes, n’ont pas fléchi. Un moment assoupi, le mouvement de protestation a repris en intensité suite à l’envoi de troupes fédérales, baptisées les « soldats de Trump » par certains manifestants. Ces « soldats de Trump », comme certaines vidéos publiées sur les réseaux sociaux le démontrent, se sont livrés à des exactions et à des opérations commandos dignes des pays dictatoriaux. Sur ces vidéos, on voit des agents affublés en tenue paramilitaire, sans badge visible d’identification, à bord de véhicules banalisés pour interpeller des manifestants. Selon certaines informations locales américaines, rapportées par les journaux français, notamment La Croix, « la radiotélévision publique locale (OPB) a publié plusieurs témoignages de gens affirmant avoir vu, au moins depuis mardi 14 juillet, des agents fédéraux en tenue de camouflage sortir de véhicules banalisés, attraper des manifestants sans explication et partir avec eux. Toujours selon l’OPB, au moins 13 personnes ont été inculpées par les agents fédéraux de crimes liés aux manifestations. ». Des arrestations qui ressemblent davantage à des rapts comme s’indigne Jann Carson, responsable de la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU dans l’Oregon, État du nord-ouest du pays : « Habituellement, lorsque vous voyez des gens dans des voitures non siglées prendre de force quelqu’un dans la rue, cela s’appelle un enlèvement ».
Ces opérations paramilitaires musclées ont de nouveau, ces derniers jours, enflammé et attisé la colère de la population américaine. Des milliers de manifestants se rassemblent chaque jour à Portland. Des accrochages avec les agents fédéraux ponctuent ces manifestations. Ces agents, dépêchés par le ministère de la sécurité intérieure, structure créée au lendemain de l’attentat du 11 septembre 2011, usent de plusieurs moyens répressifs contre les manifestants : emploi de gaz lacrymogène, usage de balles en caoutchouc et de grenades assourdissantes pour disperser les protestataires. Des manifestants ont rapporté de véritables scènes de guerre. De nombreuses personnes ont été blessées par des tirs de balle en caoutchouc (les fameux LBD français employés abondamment en France par la police pacifique du président démocrate Macron), des tirs de gaz lacrymogènes et de boules de poivres. D’autres ont été violentées, arrêtées et jugées expéditivement par les autorités fédérales américaines puis expédiés démocratiquement en prison.
Ainsi, va l’Amérique paupérisée de Trump : au plan politique, elle s’« enchinoise », autrement dit, elle se « tiers-mondise » ; l’État est réduit à gouverner exclusivement par l’imposture et l’incurie (sur la crise du Covid-19), et la répression violente (contre le prolétariat précipité dans la paupérisation et la clochardisation, plongé dans le désarroi et le désespoir, acculé à la révolte). Au reste, comme un vulgaire pays du Tiers-monde gouverné par une dictature, les Etats-Unis viennent d’être sermonnés par l’ONU, qui a condamné l’usage disproportionné de la force par les policiers américains. Autre dérive despotique, ordinairement apanage des Républiques bananières : la volonté de Trump de s’accrocher au pouvoir par l’annulation des prochaines élections prévues au mois de novembre 2020. Converti à l’insu de son plein gré au despotisme chinois, Trump, en apprenti potentat, tenterait-il un attentat constitutionnel ou un coup d’Etat institutionnel pour pérenniser son pouvoir ?
Dans le même moment, au plan économique, la Chine, elle, s’américanise, autrement dit se mécanise, s’automatise, se robotise, se modernise, devient la première puissance économique du monde.
Mesloub Khider
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec