Ainsi donc Alain Soral a été mis en examen, jeudi 30 juillet, après quarante-huit heures de garde à vue. Il a été relâché sous contrôle judiciaire, malgré les réquisitions du parquet de Paris qui réclamait son placement en détention provisoire.
Le pamphlétaire est entre autres poursuivi pour une foultitude de motifs peu courants comme la « provocation publique, non suivie d’effet, à la commission d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », mais aussi pour « injure publique à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » et de « provocation publique à la haine ou à la violence, à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », des délits que Le Monde affirme un peu rapidement être « prévus par la loi sur la presse de 1881 », mais qui nous semblent bien plutôt procéder dans l’intention du juge d’une série de lois votée trois ans plus tard, en 1894, et que l’histoire a retenues sous le nom de « lois scélérates ».
Ces lois d’exception contre lesquelles s’était dressé en son temps et avec vigueur Léon Blum, visaient à réprimer le mouvement anarchiste, dont Le Père peinard d’Émile Pouget. Si elles ont été abrogées en 1992, certains dispositifs demeurent comme cette énigmatique « provocation publique, non suivie d’effet, à la commission d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».
Un redoutable précédent
Qu’est-ce donc ce chef d’accusation flou et fourre-tout, sinon l’accusation d’une intention ? Cet article 24 al. 4 de la Loi de 1881 modifiée, aucun des avocats spécialisés dans les affaires de presse que nous avons contactés ne l’a jamais vu appliqué depuis la guerre d’Algérie ! Dans le dossier que nous avions consacré à la dictature du droit (Éléments n° 178), Maître Éric Delcroix avait brillamment exposé face à son confrère Nicolas Gardères, ce qui gangrène les lois sur la presse en France, « l’inquisition de la conscience à travers le mobile ». Une particularité que nous partageons avec feu le Code pénal soviétique et l’Inquisition, résumait-il avec fougue. L’excellent avocat Régis de Castelnau ne dit pas autre chose sur le cas Soral :
« L’utilisation du chef de poursuites relatif à “la provocation à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation”, c’est la porte ouverte à tous les arbitraires. »
Voilà où nous en sommes en 2020 : le parquet requiert l’incarcération d’un polémiste pour délit de presse, créant ainsi un redoutable précédent. Les « lois scélérates », ainsi nommées par Francis de Pressensé (le fondateur de la Ligue des droits de l’homme), Léon Blum (le socialiste) et Émile Pouget (l’anarchiste), dans La Revue blanche, seraient-elles de retour un siècle plus tard pour Alain Soral ? Pour lui seul ou pour d’autres ? Ces trois hommes d’honneur écrivaient à l’époque :
« Un tel monument d’injustice ne peut subsister dans la législation d’un peuple qui se dit et se croit et veut être libre. »
La preuve est faite, plus d’un siècle plus tard, que nous n’en avons pas fini avec les « lois scélérates ». Les désaccords radicaux tout à la fois de fond, de forme, de tenue et de comportement que l’on peut avoir avec Alain Soral n’empêcheront pas Éléments de rappeler un point non négociable : la liberté d’expression ne se partage pas.
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