L’audience de gestion d’affaire du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a poursuivi hier le simulacre de procédure légale auquel il est soumis depuis plus de dix ans.
Le journaliste et éditeur lutte contre son extradition vers les États-Unis, où il est accusé d’espionnage pour des raisons politiques et risque une peine de 175 ans de prison. Il n’a pas assisté aux audiences par liaison vidéo ces trois derniers mois sur les conseils des médecins, en raison de son état de santé fragile et de la menace d’exposition au coronavirus.
Lors de la précédente audience, le 29 juin, la juge de district Vanessa Baraitser avait réprimandé Assange pour son absence, exigeant des preuves médicales pour justifier sa non-participation à l’avenir. Mais hier, Baraitser a décidé que l’audience pouvait se dérouler sans Assange après que la prison de Belmarsh a perturbé ses plans pour y participer. Les autorités pénitentiaires ont déclaré avoir oublié d’installer une liaison vidéo pour ce prisonnier politique célèbre dans le monde.
Edward Fitzgerald QC, l’avocat principal de la défense, a déclaré qu’il préférerait que son client soit présent. On a ajourné l’audience de dix minutes pour lui permettre de contacter Assange. À la reprise de l’audience, Fitzgerald a confirmé son souhait de voir son client présent. Ensuite, on a de nouveau ajourné l’audience pour une heure et quart supplémentaire.
Lorsqu’on a montré Assange par liaison vidéo, il semblait fatigué et déprimé, selon les journalistes présents dans la salle d’audience.
Les échanges brefs entre Fitzgerald, Baraitser et l’avocat de l’accusation, Joël Smith, se sont concentrés sur l’acte d’accusation contre Assange publié par le ministère américain de la Justice le 24 juin.
Le nouvel acte d’accusation est basé sur le témoignage de Sigurdur Thordarson, décrit par WikiLeaks comme «un sociopathe, un escroc condamné et un criminel sexuel impliqué dans une opération de piégeage de WikiLeaks par le FBI». L’acte allègue qu’Assange a recruté et incité des pirates informatiques à s’attaquer à une série d’ordinateurs classifiés, officiels et privés entre 2009 et 2015. Il ne contient aucune nouvelle accusation, mais élargit considérablement la portée des allégations contre WikiLeaks, approfondissant l’attaque contre la liberté de la presse menée par le gouvernement américain.
Le nouvel acte d’accusation allègue que le soutien d’Assange au lanceur d’alerte Edward Snowden et la transparence de l’information constituent une sollicitation et un vol d’informations classifiées. L’ancienne rédactrice de section de WikiLeaks, Sarah Harrison, et l’ancien porte-parole de WikiLeaks, Jacob Applebaum, se trouvent visés sur la même base.
Mais on n’avait pas encore communiqué le nouvel acte d’accusation aux tribunaux britanniques au moment de la dernière audience (29 juin) et on ne l’avait toujours pas soumis à la date de lundi. Baraitser a noté: «En l’état actuel des choses, aucun nouvel acte d’accusation n’a été déposé devant ce tribunal». Smith a répondu pour l’accusation qu’«on l’a divulgué à la défense» et Baraitser a confirmé, «on l’a seulement divulgué à la cour par e-mail de la défense, mais pas formellement».
Smith a déclaré qu’il ne pouvait pas s’engager sur un calendrier pour la communication du nouvel acte d’accusation, avant de prétendre absurdement que les «procédures habituelles» seraient suivies. Il n’y a rien d’«habituel» dans cette affaire, y compris les procédures entourant le nouvel acte d’accusation. Comme l’a dit Fitzgerald lors de l’audience, «On l’a eu en cadeau surprise».
Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, a expliqué dans une déclaration lundi: «Ce que font les États-Unis est vraiment sans précédent. Un nouvel acte d’accusation est introduit à mi-parcours de la procédure d’extradition, qui a duré un an. L’affaire d’extradition d’Assange a commencé en février et devait reprendre en mai, mais ensuite, on l’a ajournée jusqu’en septembre en raison du blocage de la COVID».
« Le ‘nouvel’ acte d’accusation ne contient en fait rien de nouveau. Le ministère public connaît tous les événements allégués depuis des années. Il n’y a aucune nouvelle accusation. Ce qui se passe réellement ici, c’est que malgré qu’elle ait pris son départ il y a dix ans, l’accusation n’est toujours pas en mesure de monter un dossier cohérent et crédible. On a donc abandonné leurs deux actes d’accusation précédents et ont décidés de faire une troisième tentative. Ils font perdre du temps à la cour et ne respectent pas la procédure ».
En l’état actuel des choses, les tribunaux britanniques poursuivent la procédure d’extradition d’Assange sur la base d’un acte d’accusation obsolète. On a considérablement ajusté le nouvel acte et cela ne peut que soulever de nouvelles questions juridiques importantes auxquelles il faudra répondre. La défense doit présenter son plan d’audience le 25 août. Lors de la dernière audience de gestion du dossier, Mark Summers de la défense avait noté que le nouvel acte d’accusation avait « la capacité évidente de faire dérailler la date de septembre [pour la prochaine phase de l’audience]».
Fitzgerald a déclaré lundi à la cour qu’il serait «inapproprié» que les actions du gouvernement américain entraînent un retard dans l’affaire, en particulier au-delà de l’élection présidentielle américaine de novembre, dans laquelle il s’attend à ce qu’Assange serve de ballon politique. Il a poursuivi: «Nous nous inquiétons de ce qu’une nouvelle demande soit faite à ce stade, avec pour conséquence potentielle de faire dérailler la procédure, et que le secrétaire américain à la Justice le fasse pour des raisons politiques».
Baraitser lui a dit de «réserver ses commentaires» sur la nouvelle demande, car elle n’avait pas encore été communiquée.
Fitzgerald a indiqué que la défense pourrait avoir besoin d’une quatrième semaine pour présenter pleinement ses arguments durant la deuxième phase de l’audience d’extradition — qui devrait durer que trois semaines. Smith a déclaré que l’avocat en chef de l’accusation, James Lewis QC, ne serait pas disponible pendant une quatrième semaine. Baraitser a convenu que ce serait un «souci réel» pour le tribunal si l’affaire s’étendait à une semaine supplémentaire. Les deux parties ont convenu que le tribunal pourrait décider plus tard si une quatrième semaine serait nécessaire.
Les journalistes et les observateurs des organisations politiques, juridiques et médicales qui ont tenté d’accéder au tribunal par conférence téléphonique n’ont pas pu assister à la procédure. La qualité du son est généralement mauvaise, mais à cette occasion, même les bouts de conversation n’étaient pas audibles puisque, pour la deuxième fois, l’appel a été laissé en attente après l’ajournement. Des mesures de distanciation sociale limitent toujours strictement l’espace au tribunal.
Alors qu’Assange comparaissait hier au tribunal depuis la prison de Belmarsh, sa partenaire Stella Morris a témoigné devant un tribunal espagnol sur les activités d’espionnage d’UC Global. La CIA a engagé la société de sécurité espagnole pour espionner Assange et ses plus proches collaborateurs pendant ses dernières années d’asile politique à l’ambassade équatorienne à Londres. Elle a enregistré les rencontres protégées d’Assange avec des avocats, et ses consultations privées avec des médecins et des journalistes. Les activités d’UC Global, y compris des plans d’enlèvement ou de meurtre d’Assange, révèlent le caractère criminel et global de la vendetta américaine contre Assange et WikiLeaks.
La dernière audience de gestion du dossier d’Assange aura lieu à 10 h au tribunal de Westminster le 14 août, avant la reprise de l’audience d’extradition proprement dite, le 7 septembre au tribunal pénal central. Assange, le juge, la défense et l’accusation ont tous convenu d’y assister en personne. Toutefois, on ne sait pas encore quelles seront les dispositions prises pour le public, la presse et les observateurs internationaux.
Thomas Scripps
Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 28 juillet 2020
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