Bien qu’on la tienne souvent pour acquise, l’éducation est encore une priorité pour les Québécois. Lorsqu’on compare la proportion de notre budget annuel accordée à ce domaine avec celle d’autres pays, on voit comment cet intérêt est loin d’être partagé par tous. Le livre collectif Une histoire de la formation des maitres au Québec, dirigé par Michel Allard, nous aide à mieux comprendre les raisons et les processus historiques qui rendent compte de l’importance qu’a aujourd’hui l’éducation au Québec.
D’abord, ce livre nous permet de situer plusieurs des grands débats actuels en matière d’éducation. Alors que nos sociétés changent à un rythme jamais vu, réfléchir aux enjeux du passé peut nous aider à faire face aux défis qui sont les nôtres.
Dans son livre, l’historien et cofondateur de l’UQAM Michel Allard offre un regard plus qu’intéressant sur l’enseignement au Québec. Lorsqu’on sait que « la qualité d’un système d’éducation dépend de la qualité de son corps professoral », on saisit toute l’importance que doit jouer la formation des formateurs eux-mêmes.
Nous sommes, à bien des égards, dans une position similaire à celle du début du XXe siècle.
Or, au Québec, l’évolution de la pédagogie s’est d’abord faite parallèlement à l’évolution des écoles normales. Ce livre nous invite donc à retracer les grandes étapes de l’école normale Jacques-Cartier (ENJC). Cela nous permet de voir d’un coup d’œil l’immense chemin parcouru sur le terrain de la pédagogie.
Une évolution en dents de scie
Cette perspective nous est donnée en suivant le rectorat de trois recteurs de l’ENJC. Lors de son ouverture le 3 mars 1857, c’est l’abbé Hospice-Anthelme Verreau qui en a la charge. Durant son mandat de plus de 40 ans (1857 à 1901), le monde de l’éducation subit des transformations importantes.
À son époque, on considère l’éducation « comme un art » (p.35). On doit donc d’abord « apprendre pour soi, puis apprendre à communiquer » (p.35) ; le défi est alors de « combiner culture générale et formation professionnelle » (p.36).
Le second recteur, l’abbé J.-Nazaire Dubois (1901 à 1912), cherche, lui, à orienter l’enseignement vers « l’utilité » (p.48) c’est-à-dire à s’éloigner « de l’acquisition d’une culture humaniste et générale au profit d’un savoir utile et forcément restreint » (p.48).
En d’autres termes, le début de XXe siècle s’oriente grandement, comme aujourd’hui d’ailleurs, vers une conception de l’enseignant comme transmetteur des objectifs définis dans le programme.
À partir de 1912, le troisième recteur, l’abbé Desrosiers, se dirige ses forces vers l’administration et le rayonnement de l’ENJC. Toutefois, c’est durant son mandat qu’est publié un livre important sur le développement de la pédagogie au Québec. Dans son Manuel de pédagogie théorique et pratique, Mgr François-Xavier Ross, futur évêque de Gaspé, affirme la dimension scientifique de la pédagogie. Se fondant d’abord sur « la connaissance de la psychologie de l’enfant » (p.53), l’art de l’instituteur est de favoriser la participation de l’élève à sa propre éducation.
Sous son mandat s’élabore de nouveau un programme cherchant à combiner la culture générale et la culture professionnelle (p.55). Bien que brève, cette présentation nous permet de faire un constat important : l’histoire, du moins en ce qui concerne l’éducation, avance par tâtonnements, avec des avancées et des reculs selon les périodes. Le XXe siècle s’inscrit dans la même logique.
Une histoire pour notre temps
Comme nous l’avons vu, les débats en matière d’éducation ne datent pas d’hier. Nous sommes toujours à nous demander si la plus grande proportion de la formation des futurs professeurs doit être accordée au développement de techniques d’enseignement ou à la maitrise du contenu.
Outre ces problèmes théoriques, les finalités mêmes de l’éducation sont encore sujettes à controverses. Alors que certains penchent vers une l’éducation humaniste, d’intenses pressions se font entendre périodiquement pour la réduire aux aspects les plus immédiatement utiles au marché du travail.
Nous l’avons vu, rien de nouveau sous le soleil ! Connaitre la trame historique dans laquelle ces débats sont survenus au Québec pourrait, à tout le moins, nous éviter de refaire les mêmes erreurs. De ce point de vue, l’ouvrage de Michel Allard est, lui aussi, très utile.
En effet, il nous permet de voir le contexte de création du réseau des universités du Québec qui, contrairement aux chantres de la tabula rasa, ne s’est pas développé malgré les écoles normales, mais grâce à elles.
« Ironiquement, précise l’auteur, la mise en place des constituantes de l’Université du Québec se fait à partir des écoles normales tant décriées » (p.170).
Ignorance et répétition
Notre ignorance collective face à la complexité de ce qu’on a appelé vulgairement la « Grande Noirceur » nous place aujourd’hui dans une situation désastreuse. Par exemple, alors que durant les années dites de la « Révolution tranquille » on assistait à une revalorisation « culturelle, monétaire et sociale de l’enseignement » (p.188), il semble que les deux premières décennies du XXIe siècle aient opéré un grand recul dans ce domaine.
Se pourrait-il que les idéologies et les intérêts prédominants actuellement soient davantage du style de l’abbé Dubois (deuxième recteur de l’ENJC) plus que de l’abbé Verreau (premier recteur) ?
Cette réduction à l’utilité et à la fonction de « perroquet du ministère » serait-elle de retour ? Comme le dit notre auteur, « désormais, ce sont les représentants de l’État qui, à l’instar des membres du clergé et des inspecteurs d’écoles autrefois, exercent un contrôle sur la formation des enseignants » (p.187).
Serions-nous au carrefour d’une phase régressive de notre histoire ?
La condamnation de l’ignorance
Alors que la création de ce réseau de l’Université du Québec avait pu compter sur des générations de professeurs qui en avaient fait « une vocation » (p.188), pourrions-nous en dire autant du système actuel ? On « juge un arbre à ces fruits » (Mt 7,16).
Nous sommes, à bien des égards, dans une position similaire à celle du début du XXe siècle. Toutefois, nous pouvons nous demander si la jeunesse d’aujourd’hui serait en mesure d’amorcer le type de réformes qui ont étéq mises de l’avant dans les années soixante.
L’incapacité à concevoir les termes mêmes du problème n’est pas un bon signe. On attribue cette phrase à Churchill : « qui ne connait pas son passé se condamne à le revivre ».
Alors qu’une panoplie de défis liés à l’éducation se dressent devant nous, la mise en pratique de notre devise nationale, « Je me souviens », n’aura jamais été aussi urgente. Une histoire de la formation des maitres au Québec contribue grandement à cette œuvre de « guérison de la mémoire ».
Bonne lecture !
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