Faina Savenkova, une petite fille de 11 ans vivant en République Populaire de Lougansk (RPL), a écrit un essai pour le 75e anniversaire de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne Nazie, sur la façon dont les enfants ont vécu la Grande Guerre patriotique, faisant un parallèle avec la façon dont les enfants du Donbass vivent le conflit actuel.
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La guerre, ce sont des raids aériens, le grondement de l’artillerie et des chars, la canonnade des tirs… Elle a beaucoup de sons et beaucoup de visages. Elle se faufile et vous tombe dessus de toutes ses forces quand vous vous y attendez le moins. Et en se cachant, on compte les détonations. Une. Deux. Trois… Dieu, merci c’est tombé à côté. Et puis les armes se taisent. Et dans ce silence, on peut entendre un enfant pleurer. Un sanglot silencieux, comme le miaulement d’un chaton qui se plaint. Et puis les coups de feu recommencent, étouffant tout… C’est pour cela que les enfants de la guerre se taisent. Ils savent que leurs pleurs ne seront pas entendus.
L’été 1941 fut très chaud. Sous le soleil brûlant, les champs et les cours d’eau étaient brûlants, et les nuits étaient encore froides et sombres. Le pays vivait. Personne ne s’attendait à ce que le malheur frappe à la porte. Les gens, bien sûr, comprenaient que la guerre pourrait commencer bientôt, mais ils essayaient de croire au meilleur, au bien. Comme nous l’avons fait en 2014.
Vassily, un de mes arrière-grands-pères, avait 17 ans en 1941. Il allait entrer à l’institut et, s’étant accordé un an, il a posé sa candidature. Mais ses rêves n’étaient pas destinés à se réaliser. La guerre était arrivée. Il n’y avait plus de temps pour l’institut. La guerre peut faire beaucoup de choses. Broyer beaucoup de gens sous ses meules, apporter la destruction et la famine. Elle peut changer le destin de toute une génération, en laissant des traces et des cicatrices dans sa mémoire. Mais si vous y résistez, la guerre bat lentement en retraite. Et nous nous souvenons de nos héros et combien cette victoire a été difficile.
Est-ce beaucoup ou peu d’années prises à une vie paisible ? Pour toute la population, le 22 juin est devenu une date qui a changé la vie en « avant » et « après ». Pendant toutes ces longues et douloureuses années, mes grands-pères et mes proches se sont battus pour la victoire et la vie. La guerre les mettait à l’épreuve, durcissait leur caractère et leur donnait une personnalité. Et je suis fière qu’aucun d’entre eux ne soit devenu un traître ou un policier au service des Nazis.
Mon arrière-grand-père Vassily était artilleur. Il est sorti de l’encerclement blessé, comme beaucoup de soldats à l’époque. Il aurait pu abandonner, mais il s’est battu pour revenir parmi les siens. Après sa commotion, il est retourné au front, s’enfuyant de l’hôpital, parce qu’il comprenait qu’il protégeait sa patrie, sa terre. Il ne pouvait pas faire autrement. Le pays tout entier n’aurait pas pu faire autrement. Pendant cette période, sa mère a reçu trois avis de décès pour lui et je ne peux même pas imaginer ce qu’elle a ressenti à chaque fois. Mais, néanmoins, plus tard, il a libéré Prague et a servi jusqu’en 1949.
L’autre arrière-grand-père et les deux arrière-grands-mères étaient trop jeunes, alors ils sont restés. Mais on ne sait toujours pas où c’était le plus difficile : au front ou à la maison, où ils travaillaient comme les adultes, mettant les mains dans le sang et travaillant dur. « Tout pour le front ! Tout pour la victoire ! » Pour eux, ce n’était pas des mots vides de sens, donc personne ne se plaignait. Et chacun a fait ce qu’il a pu. Parce qu’ils croyaient en leur bon droit, en la nécessité de la victoire sur le fascisme pour l’avenir du monde.
Certains avançaient vers la victoire sur le front, d’autres à l’arrière. La seule chose qui n’a pas changé, c’est que les enfants de la guerre ont grandi trop vite et trop tôt. Il suffit de se souvenir de l’exploit de notre Jeune Garde ou des garçons qui sont devenus les fils du régiment. Peu importe ce qu’ils étaient tous, ils ont cessé d’être des enfants, mais ils rêvaient toujours de sucreries et de jours d’insouciance. Et ils sont devenus le pilier invisible de cette victoire.
J’ai maintenant 11 ans. Je vis à Lougansk et je sais ce que sont l’artillerie et les raids aériens. La moitié de ma vie, c’est la guerre. Je ne sais pas ce que des enfants comme moi ont ressenti en cette difficile et terrible année 1941, mais il me semble que c’est comme tout ce que les enfants de Lougansk et de Donetsk vivent actuellement. Parfois, j’ai vraiment envie d’écrire une lettre à mes semblables de 1941. Leur adresser beaucoup de mots de soutien, mais je me souviens ensuite de leur mode de vie, et je comprends que leur résistance et leur altruisme peuvent être enviés par tous.
La vie des enfants de la guerre n’est pas une histoire de désespoir, mais d’espoir, même si elle est pleine de tragédies. Et que ce que nous ne savons pas aujourd’hui, ce qui nous attend demain et si nous l’aurons – c’est « demain », mais nous avançons avec confiance. Nous ne sommes pas brisés et nous ne faisons que nous renforcer chaque jour parce que la force de l’esprit est dans notre sang.
Quand je viens sur les tombes de mes arrière-grands-pères et que je pense à eux, je sais que je vais continuer leur périple, car nous avons marché et nous marchons dans la même direction. Et je sais exactement comme eux que la guerre finira tôt ou tard et que nous créerons un nouvel avenir. Avec le souvenir de la guerre, mais avec la foi dans la paix. Un avenir dans lequel la prière des enfants pour la paix et leurs rires seront entendus en silence. Car lorsque les rires des enfants se font entendre, la guerre bat en retraite.
Faina Savenkova
Traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider
Source: Lire l'article complet de Réseau International