par Alexandre Lemoine
Des navires de guerre turcs et grecs se mobilisent à proximité de la station balnéaire turque d’Antalya. Les Etats-Unis et l’Allemagne tentent de retenir les partenaires de l’Otan pour empêcher un affrontement direct. La pierre d’achoppement est l’île de Kastellorizo (Megisti) située au large de la Turquie. En quoi cette île est-elle importante et quelles pourraient être les conséquences d’un conflit autour d’elle?
La presse allemande a récemment annoncé que la chancelière allemande Angela Merkel « a empêché par un coup de fil un conflit armé entre la Turquie et la Grèce » à cause de riches gisements gaziers dans l’Est de la Méditerranée. Le théâtre des opérations aurait pu se dérouler dans les eaux autour de l’île grecque de Kastellorizo, située à seulement 3 km de la côte turque.
Le prétexte étant les nouvelles « études sismiques » (exploration de réserves potentielles d’hydrocarbures) du navire de recherche turc Oruc Reis dans cette région, malgré les multiples avertissements d’Athènes.
Comme l’indique le journal Tagesspiegel, depuis mardi, plusieurs navires de guerre turcs naviguaient en mer d’Egée et dans l’Est de la Méditerranée au Sud des îles grecques Rhodes et Crète. Dans la même région ont été envoyées les forces de la marine grecque. C’est ce qui a été également rapporté par la télévision grecque. 18 navires militaires et chasseurs turcs ont été envoyés mardi soir en direction de Kastellorizo, après quoi la flotte grecque a annoncé l’état d’alerte.
Puis, affirment les médias allemands Tagesspiegel et Bild, Angela Merkel a téléphoné au président turc Recep Tayyip Erdogan et au premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis. Le service de presse du gouvernement allemand n’a pas confirmé que la chancelière avait joué le rôle d’intermédiaire entre les deux pays de l’Otan en conflit, même si l’appel téléphonique à Recep Erdogan a effectivement eu lieu.
Quoi qu’il en soit, le navire Oruc Reis a quitté la région dangereuse. La chancelière n’a peut-être pas joué son rôle après tout. Plus tôt, le département d’Etat américain a demandé à Ankara de « stopper ses plans d’action » dans les eaux litigieuses dans l’Est de la Méditerranée.
La Turquie a préalablement annoncé ses recherches au Sud et à l’Est de l’île du 21 juillet au 2 août. La Grèce a placé ses forces armées en état opérationnel. Fin juin, le chef d’état-major grec Konstantinos Floros a annoncé sa disposition à « brûler » tous ceux qui pénétreront sur le territoire du pays.
Athènes a menacé la Turquie il y a un an par des sanctions de l’UE, ce à quoi Ankara a répondu en refusant à l’UE le droit de déterminer les frontières en Méditerranée. La nervosité de la Grèce a engendré les plans des Turcs pour exploiter le plateau de Chypre ethniquement proche des Grecs.
Mais c’est Kastellorizo qui a été la zone la plus vulnérable. Cette petite île rocheuse se trouve à proximité de la Turquie: seulement 7 km la sépare du port turc de Kas, alors que l’île grecque la plus proche Rhodes se trouve à une centaine de kilomètres, et 580 km la séparent de la Grèce continentale. L’autre appellation de Kastellorizo, Megisti, signifie « la plus grande » (c’est la plus grande île du minuscule archipel côtier).
Ce territoire d’environ 500 habitants connaît un passé militaire tumultueux. Pendant la guerre des Grecs pour l’indépendance de l’Empire ottoman, les habitants de l’île ont coulé plusieurs navires turcs dans la baie d’Antalya. Néanmoins, l’île restait sous domination ottomane jusqu’à la Première Guerre mondiale, quand s’y déroulaient les batailles de l’Entente contre les Turcs. Jusqu’en 1945, Kastellorizo appartenait à l’Italie (avec les îles du Dodécanèse – Rhodes et d’autres), et pendant la Seconde Guerre mondiale elle est redevenue une arène de combats. Un débarquement britannique a eu lieu sur cette île, elle était bombardée par l’aviation de la Luftwaffe, elle était sous occupation allemande.
Megisti-Kastellorizo a rejoint sa « patrie natale » grecque seulement en 1947. D’une superficie inférieure à 10 km² cette île permet à la Grèce de revendiquer une zone maritime de 40.000 km². Alors que la Turquie ne reconnaît le contrôle grec que sur six milles marins des eaux territoriales autour de l’île. C’est pourquoi le navire d’exploration géologique est entré dans les eaux au Sud de Kastellorizo, considérées comme zone économique exclusive par les Grecs.
Le service géologique des Etats-Unis, rappelons-le, estime les réserves totales de l’Est de la Méditerranée à 3.450 milliards de mètres cubes de gaz et à 3,8 milliards de barils de pétrole. Selon d’autres estimations, les réserves d’hydrocarbures sont deux fois plus importantes.
Les forces navales de la Turquie et de la Grèce sont approximativement égales. Les frégates constituent la base de la flotte turque. Il s’agit de 5 à 7 navires américains obsolètes des années 1960-1970 de classe Oliver Hazard Perry. La marine possède également une vingtaine de navires universels capables de remplir des fonctions d’attaque et anti-sous-marines, ainsi que pour la défense antiaérienne, près de 30 vedettes tactiques, notamment dotés de missiles de croisière à courte portée. La flotte de la Turquie est représentée par 12 navires d’origine allemande du projet 209 et 212.
La flotte grecque est comparable à la turque de par le nombre et la classe. Elle dispose également de frégates, mais elles ont une capacité opérationnelle limitée vu leur âge. Des vedettes lance-missiles constituent la base de la flotte grecque, qui possède également des sous-marins.
Les actions de la flotte peuvent être appuyées par l’aviation turque – 470 avions. Alors que la Grèce dispose d’environ 390 avions (y compris de transport et de transport militaire) et hélicoptères. L’armée turque et la deuxième plus nombreuse de l’Otan avec 510.000 hommes. L’armée grecque compte 160.000 hommes, et son budget militaire est deux fois plus bas – 6 milliards de dollars contre 12 milliards de dollars pour la Turquie.
Seule la force est capable de dompter les ambitions de Recep Erdogan. Difficile à dire si la communauté internationale aura suffisamment de volonté pour forcer la Turquie à respecter les accords internationaux.
Alexandre Lemoine
source:http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=1811
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