Alors que l’administration Trump reste inflexible dans son soutien à Israël, les dirigeants démocrates les plus en vue persistent à utiliser un langage fait d’ambiguïtés qui revient à offrir un soutien total à Israël tout en manifestant un intérêt purement formel pour la Palestine et la paix.Les politiques de Trump concernant Israël et la Palestine ont été destructrices, culminant dans un « accord du siècle » scandaleusement injuste, et son administration reste largement engagée dans un renforcement des liens entre l’establishment républicain et l’extrême-droite israélienne affiliée au Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Les opinions des dirigeants démocrates, avec à leur tête leur candidat pressenti aux prochaines élections de novembre, Joe Biden, restent celles d’une époque révolue, où l’amour inconditionnel du parti démocrate pour Israël était égal à celui du parti républicain. On peut dire sans risquer de se tromper que cette époque touche à sa fin, car de successifs sondages d’opinion confirment un changement du paysage politique à Washington.
Il fut un temps où l’élite politique américaine – qui a toujours divergé sur de nombreux sujets – s’accordait pleinement sur une seule question de politique étrangère : le soutien aveugle et inconditionnel de leur pays pour Israël. À cette époque, l’influent groupe de pression pro-israélien, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), tenait le « perchoir », régnant en maître au Congrès américain et décidait presque seul du sort des membres du Congrès en fonction de leur soutien ou non à Israël.
Il est évidemment trop tôt pour affirmer que « cette époque est révolue », mais à en juger par l’évolution importante du discours politique sur la Palestine et Israël, les nombreux sondages d’opinion et les succès électoraux des candidats anti-israéliens aux élections nationales et locales, force est de constater que l’emprise de l’AIPAC sur la politique étrangère américaine a enfin fini par se relâcher.
Une telle affirmation peut sembler prématurée compte tenu du parti pris inégalé de l’administration actuelle en faveur d’Israël – le déplacement illégal de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, le rejet du « Droit au retour » pour les réfugiés palestiniens, et le soutien de l’administration au plan israélien d’annexer illégalement des pans entiers de la Cisjordanie, etc…
Il convient cependant d’établir une distinction entre le soutien à Israël parmi les dirigeants de premier plan – une clique de plus en plus isolée de responsables politiques – et le sentiment générale de tout un pays qui, malgré de nombreuses attaques contre la démocratie ces dernières années, reste encore, dans une certaine mesure, un pays démocratique.
Le 25 juin, un nombre impressionnant de près de 200 membres démocrates de la Chambre des représentant, avec parmi eux certains des plus fervents partisans d’Israël, ont dans une lettre appelé Netanyahu et d’autres premiers responsables israéliens à abandonner leur plan d’annexion totalement illégal de près de 30% de la Cisjordanie.
« Nous exprimons notre profonde inquiétude quant à l’intention déclarée d’aller de l’avant avec toute annexion unilatérale du territoire de la Cisjordanie, et nous demandons instamment à votre gouvernement de reconsidérer ses plans en ce sens », indique un passage dans la lettre.
Bien que le ton de la lettre n’ait rien de « menaçant », le fait qu’elle ait été signée par de solides supports d’Israël, tels que Ted Deutch, membre du Congrès de Floride, et Brad Schneider, membre du Congrès de l’Illinois, en dit long sur l’évolution du discours sur Israël au sein des différentes tendances du Parti démocrate. Parmi les signataires figurent également des personnalités de premier plan de l’establishment Démocrate, comme la députée Debbie Wasserman Schultz et le représentant de la majorité à la Chambre, Steny Hoyer.
Il est tout aussi important de noter que l’influence de la génération plus jeune et plus progressiste des élus démocrates continue de faire évoluer les limites du discours du parti sur Israël, grâce à l’activité inlassable de la députée Alexandria Ocasio-Cortez et de ses collègues. Avec une douzaine d’élus démocrates, Ocasio-Cortez a publié une autre lettre le 30 juin, cette fois adressée au secrétaire d’État américain, Mike Pompeo.
Contrairement à la première lettre, la seconde était affirmée et nettement offensive. « Si le gouvernement israélien continue sur cette voie (de l’annexion), nous nous activerons pour assurer la non-reconnaissance des territoires annexés ainsi que pour faire adopter une loi qui conditionne les 3,8 milliards de dollars de financement militaire américain à Israël, afin de garantir que les contribuables américains ne financent en aucune façon l’annexion », peut-on lire dans la lettre.
Imaginez que cette formulation exacte ait utilisée par des représentants démocrates en juillet 1980, lorsque le Parlement israélien a illégalement annexé Jérusalem-Est dans une initiative qui était – et reste – contraire au droit international… Leur sort aurait été similaire à celui d’autres qui avaient osé s’exprimer au risque de perdre leur siège au Congrès, ce qui signifie leur carrière politique.
Mais les temps ont changé. Il est assez inhabituel, et réconfortant, de voir l’AIPAC devoir se démener pour éteindre les nombreux feux allumés par les nouvelles voix radicales parmi les démocrates.
La raison pour laquelle il n’est plus aussi aisé pour le lobby pro-israélien de conserver son hégémonie – vieille de plusieurs décennies – sur le Congrès, est que des personnes comme Ocasio-Cortez sont elles-mêmes le produit du changement générationnel et probablement irréversible survenu chez les démocrates au fil des années.
La polarisation grandissante de l’opinion publique américaine à propos d’Israël remonte à près de vingt ans, à partir du moment où les Américains ont commencé à marquer leur soutien à Israël sur la base de lignes partisanes. De récents sondages font voir que cette polarisation se renforce. Un sondage Pew rend public en 2016 montrait que la sympathie pour Israël chez les sympathisants républicains atteignait un niveau record de 74%, alors qu’elle chutait à 33% parmi les sympathisants démocrates.
Pour la première fois dans l’Histoire, le soutien à Israël et aux Palestiniens était presque égal parmi les démocrates : respectivement 33% et 31%. C’est à cette époque que l’on a commencé à lire des titres inhabituels dans la presse comme « Pourquoi les démocrates abandonnent-ils Israël ? »
Cet « abandon » s’est poursuivi sans relâche, comme le révèlent de plus récents sondages. En janvier 2018, un nouveau sondage Pew montrait que le soutien des démocrates à Israël avait encore diminué pour atteindre 27%.
Ce sont non seulement les démocrates de la base qui s’éloignent d’Israël en raison d’une prise de conscience croissante sur les impitoyables crimes israéliens et la violente occupation de la Palestine, mais également les jeunes juifs.
Le changement d’opinion des jeunes juifs américains sur Israël porte enfin ses fruits, au point qu’en avril 2019, les données de Pew concluaient que les juifs américains, dans leur ensemble, sont maintenant beaucoup plus susceptibles (42%) que les chrétiens d’estimer que le président Trump « favorise trop les Israéliens ».
Alors que de nombreux élus démocrates au Congrès sont de plus en plus en phase avec les opinions de leurs électeurs, ceux qui sont à la tête du parti, comme Biden, restent obstinément attachés aux programmes qui sont promus par l’AIPAC et le reste de la vieille garde.
La bonne nouvelle qui vient de Washington est que, malgré l’actuel soutien de Trump à Israël, un changement structurel progressif mais durable continue de se produire parmi les partisans du Parti démocrate à travers tout le pays. Une autre nouvelle qui incite à la réflexion est que l’historique main-mise d’Israël sur les communautés juives du pays est en train de s’effondrer… et rapidement.
Alors que l’AIPAC continuera probablement à exploiter ses anciennes tactiques pour protéger les intérêts d’Israël au Congrès américain, le « puissant lobby », depuis longtemps dénoncé, ne pourra probablement pas imposer de retour en arrière. L’époque de la domination totale d’Israël sur le Congrès américain est probablement révolue et, espérons-le, cette fois-ci pour de bon.
————————
Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Source: Lire l'article complet de Réseau International