Rivarol : N’est-ce pas un paradoxe : malgré le retoquage de la principale disposition de la loi Avia par le Conseil constitutionnel, les chaînes YouTube de Dieudonné et d’Égalité & Réconciliation qui comptabilisaient des centaines de milliers d’abonnés ont été censurées, ainsi que le compte YouTube de Kontre Kulture et désormais les comptes VK d’Alain Soral et d’E&R, le Facebook russe, auquel il faut ajouter le compte Facebook d’Henry de Lesquen ? Comment expliquez-vous cela ?
Me Damien Viguier : Au nom de la lutte contre l’antisémitisme, tout est permis. Lorsque la loi n’est pas assez efficace, il suffit de changer la loi. Mais si la loi ne cède pas, alors on agira autrement, de manière plus commerciale, sans s’interdire l’illégalité.
D’ailleurs, la loi Avia, parlons-en.
Je n’ai jamais vu un dispositif aussi diabolique. Le montage permettait à des associations comme la LICRA ou l’UEJF d’exercer directement la police sur Facebook, Twitter ou YouTube. Si elles estimaient qu’il y avait « manifestement » injure raciale ou contestation de crime contre l’humanité, elles pouvaient exiger des opérateurs le retrait des publications. Le refus était sanctionné d’une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 250 000 euros. Et si quelqu’un d’autre se risquait à faire lui aussi la police, il pouvait encourir 15 000 euros d’amende pour abus. Cette loi avait été votée. Elle n’est pas passée, mais cela en dit long sur l’ambition de ces associations à qui l’on confie, en fait d’intérêt collectif, de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, ce qui inclut maintenant « le négationnisme » et le complotisme.
Vous êtes l’infatigable avocat d’Alain Soral. Pouvez-vous faire un point complet pour nos lecteurs sur les affaires où Alain Soral est mis en cause ? Où en est-on actuellement des poursuites, des dossiers ?
Nous avons plusieurs affaires en attente devant la cour de cassation. Il y a deux affaires dans lesquelles Alain Soral a été relaxé : il s’agit du dessin de Zéon sur Auschwitz et de l’affiche Macron En marche vers le chaos mondial . Il y a aussi deux autres dessins publiés pendant les élections de 2017, celui des Cancrelats, avec Attali portant l’étoile de David, et celui de l’Échiquier politique, avec Attali en joueur d’échec. Pour ces deux dessins Alain Soral a été condamné à huit mois, mais avec sursis. Ces peines de sursis pourraient s’ajouter aux treize mois de sursis déjà prononcés pour d’autres affaires et maintenant définitifs.
En réalité, les peines les plus lourdes prononcées contre Alain Soral l’ont été ces deux dernières années, dans quatre affaires et par seulement trois juridictions. À elles seules, quatre décisions atteignent les quatre ans et demi de prison ferme.
La première juridiction, c’est la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, composée de Charles Moscara, président, et de Mesdames Sophie Quaile et Isabelle Moec. Le 17 janvier 2019, ces magistrats condamnent Alain Soral à un an d’emprisonnement ferme à cause de la déclaration finale qu’il avait prononcée en première instance précisément au procès que je viens de citer des Cancrelats et de l’Échiquier. Les mêmes le condamnent à nouveau à un an et six mois le 19 septembre 2019 pour la publication du Rap des Gilets Jaunes où l’on voyait Attali jeté au brasier en effigie. Ce sont les premières condamnations à de la prison ferme. Le président de cette formation, Charles Moscara, est un ancien avocat. Il s’est fait remarquer à cause de « WikiLeaks — Macron Campaign Emails » tenant des propos dithyrambiques pour le futur chef de l’État qu’il nomme « notre champion », qui a « une vision du monde » et qui selon lui « se démarque par son indépendance, sa culture, son charisme, par son refus de toute doxa ». Il l’appelle « un homme qui est plus grand que la fonction qu’il occupe » et se présente lui-même forcé de se mettre « sur la pointe des pieds », etc.. Il propose de l’argent et son aide pour militer. Mais surtout, il cherche « une structure d’accueil ». C’est ce magistrat qui participe à une décision qui, au nom du Peuple français, envoie Alain Soral deux années dans les geôles de la République. Ces deux décisions sont en appel. Elles sont prévues pour la fin de l’année.
La deuxième juridiction à s’être fait remarquer, c’est évidemment la 13e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris composée lors des débats de Mesdames Cécile Ramonatxo, née Legigan, présidente (elle avait été à l’instruction dans une affaire Sarkozy, sur Bordeaux), Jocelyne Palenne et Christine Servella Huertas. On s’en souvient, le 15 avril 2019, le jour où Notre-Dame a flambé, Alain Soral était condamné à un an d’emprisonnement à cause de la publication sur le site d’E&R d’un article reproduisant les conclusions que j’avais prises dans l’affaire du dessin Shoah où t’es, pastiche d’une couverture de Charlie Hebdo. J’étais moi-même condamné à 5 000 euros d’amende. Nous étions coupables de contestation de crime contre l’humanité.
Ce mandat d’arrêt, pris dans un domaine, le droit de la presse, où il n’est pas prévu, suscita un véritable scandale. Jusqu’à voir s’affronter le Président du CRIF, Francis Khalifat, et le Procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, s’agissant du point de savoir si pour lutter contre Soral il fallait ou non respecter encore la légalité !
En appel, récemment (25 juin 2020), j’ai finalement été relaxé, faute pour l’accusation d’apporter la preuve de mon accord à la publication de mes conclusions. La LICRA a formé un pourvoi, mais non le Parquet. La peine d’Alain Soral a été infirmée. Au lieu d’un an ferme, il est condamné à 5 000 euros de jours-amende (soit cent jours). Néanmoins il reste coupable, à cause de la publication de mes conclusions. La chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris, présidée par Madame Anne-Marie Sauteraud, qui terminait ce jour-là sa carrière, a estimé que « si les propos incriminés ne remettent pas en cause la réalité de la Shoah, la cour considère, sans extrapoler le sens des termes utilisés, qu’ils minimisent et banalisent les souffrances des victimes de la Shoah et leurs conditions de vie dans les camps, en présentant la coupe des cheveux et la récupération des chaussures comme normales et justifiées, alors qu’il ressort des pièces invoquées par la LICRA que ces pratiques étaient effectuées avec la volonté d’humilier les victimes, ce qui est totalement éludé dans les passages poursuivis ».
Je rappelle qu’avec mes conclusions il s’agissait au départ de savoir si, comme le prétendait le jugement entrepris, dans le dessin représentant Charlie Chaplin demandant « Shoah où t’es ? » entouré d’un soulier et d’une perruque, ces derniers objets pouvaient être considérés comme « des symboles particulièrement importants », et même, aux dires de la LICRA, « les symboles de la Shoah ». J’estimais qu’il s’agissait plutôt des symboles de la propagande et des rumeurs et, ce qui a été retenu comme violant la loi Gayssot, j’argumentais que « la coupe des cheveux se pratique dans tous les lieux de concentration et s’explique par l’hygiène, sans laquelle les parasites et la vermine, tels les poux, prolifèrent, véhicules de la bactérie du typhus, synonymes de maladie et de mort » et que « la récupération des chaussures est normale : en temps de pénurie tout est recyclé ».
Je suis donc relaxé mais mes propos restent condamnés. Alain Soral s’est pourvu en cassation.
Cela nous fait donc trois ans et demi. Qui a prononcé la quatrième année d’emprisonnement ferme ?
La 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris ! Présidée lors du délibéré par Madame Roïa Palti. Le 2 octobre 2019, Alain Soral est condamné à un an ferme à cause d’une vidéo où il dit du Panthéon que c’est « une véritable déchetterie casher ». Le jugement est longuement motivé. On retient l’injure raciale, parce que « devant cette injure antisémite (…) aucune excuse ni justification ne peut être apportée », et aussi la provocation à la haine. L’année de prison est justifiée ainsi :
« Au vu de la gravité des infractions et de la personnalité de leur auteur, ces infractions traduisant, à la suite de plusieurs condamnations pour des faits de même nature, la haine obsessionnelle persistante d’Alain Bonnet dit Soral envers le groupe qu’il fustige en raison de son appartenance à la religion juive, sans la moindre inhibition, ne reculant pas devant le fait de salir et de poursuivre par-delà la mort, et outre la distinction accordée par la “patrie reconnaissante”, comme indiqué au fronton du “lieu de mémoire” qu’est le Panthéon, à une personnalité emblématique de ce groupe, les victimes de l’idéologie mortifère à laquelle il se réfère, par le choix de ses mots qui sont la prolongation d’actes de mort, et qui sont en eux-mêmes actes de haine et provocation. »
Ce jugement fait vingt pages.
Cette affaire est en appel.
Par ailleurs, sous la même présidence, trois autres affaires ont été plaidées le 24 juin dernier. L’une pour une intervention vidéo d’Alain Soral faite juste après le mandat d’arrêt dont je viens de vous parler, la deuxième pour un propos tenu sur VK et qu’on lui attribue sans preuve (il s’agissait d’une réaction à l’incendie de Notre-Dame) et la troisième pour un entretien accordé à un magazine canadien. Le délibéré est au 18 septembre prochain.
C’est ainsi que vous plaidiez le 8 juillet à Clichy pour des propos attribués à Alain Soral sur un compte VK aujourd’hui fermé. Pouvez-vous nous en dire plus et nous raconter comment s’est passée l’audience ?
La condamnation à du ferme, que l’on peut expliquer venant de chambres généralistes habituées à envoyer les gens en prison pour un rien, avait surpris mon client. De même, on avait noté que reprenant les avocats de la LICRA et de l’UEJF qui chuchotaient pendant ma plaidoirie, on lui avait rapporté qu’elle aurait parlé de « la défense » avec un ton ironique. Je n’en sais rien. Toujours est-il que dans la perspective de l’audience du 8 juillet dernier durant laquelle Madame Roïa Palti devait évoquer deux nouvelles affaires de propos tenus sur VK, Alain Soral a déposé devant le Premier président de la Cour d’appel de Paris une requête en récusation.
Il s’avère que ce magistrat qui préside depuis quelques mois la 17ème chambre correctionnelle, qui s’est d’abord prénommé Patricia, puis Roïa, dont le nom de famille est Mir-Djalali, puis Mir-Djalali-Bensasson, est l’associée et peut-être l’épouse d’un certain Raphaël Palti, dont elle porte aujourd’hui le nom. Or, cet homme d’affaire est administrateur dans une société que préside Jacques Attali : Planet Finance Social Business. Jusqu’en 2017 il a été également administrateur dans l’association Positive Planet international que préside le même Jacques Attali. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les quelques affaires que j’ai évoquées à l’instant devant vous où Jacques Attali est impliqué. En bref, il y a potentiellement inimitié entre Alain Soral et Jacques Attali, et proximité entre Jacques Attali et Roïa Palti, donc un soupçon de partialité. C’est du moins ce que soutient la requête.
Mercredi dernier, à l’audience, j’ai donc informé la présidente du dépôt de cette requête. Elle a commencé par dire qu’elle ne donnerait aucune explication, puis elle s’est ravisée. Elle a dit qu’en effet son époux avait eu des intérêts communs avec Jacques Attali et qu’en conséquence elle ne prenait pas les dossiers où il était en cause. Elle a précisé, si j’ai bonne mémoire, avoir d’ailleurs vu Jacques Attali en tout et pour tout trois fois dans sa vie. Le Procureur lui a rappelé qu’elle pouvait se déporter si en conscience elle estimait n’avoir pas l’impartialité et l’indépendance requises. Elle ne s’est pas déportée, j’ai donc quitté la salle d’audience.
Sur les liens entre Jacques Attali et Roïa Palti :
Deux nouvelles affaires ont ainsi été mises en délibéré au 6 octobre. L’une concerne l’information selon laquelle une association cherchait à faire réformer le langage des signes, pour que le mot juif ne soit plus signifié par le geste d’un nez crochu, l’autre était une remarque au sujet du 11/09, comme quoi « tout y est juif ». Mais nous attendons le résultat de la requête en récusation. Madame Roïa Palti et ses assesseurs ont la possibilité d’ajouter, pour cinq dossiers, entre cinq et dix années d’emprisonnement ferme à Alain Soral, en fonction de ce que la récidive sera ou non retenue, et sous réserve des cas de confusion.
Il faudrait que je vous parle aussi de l’affaire du Léon Bloy, Le Salut par les juifs, et du Joseph Goebbels… Et de la Quenelle de Colmar pour laquelle j’ai obtenu la relaxe de mon client mais qui vient à nouveau puisque le Parquet a fait appel. D’ailleurs, chaque mois arrivent de nouvelles affaires, il me serait donc difficile d’être complet aujourd’hui.
Que conseillez-vous en tant que juriste aux dissidents aujourd’hui ? Faut-il résister de manière frontale quitte à subir moult persécutions et fermetures de comptes ou faut-il ne pas tout dire, pratiquer l’esquive, le non-dit ou la litote ?
Je n’ai pas de conseil à donner. La pression sociale est énorme. L’inaction est souvent le signe d’un manque de culture et d’un désintérêt pour le bien commun. Lorsque l’intérêt pour la chose publique se réveille, chacun est seul avec sa conscience.
En tant que juriste je ne peux que parler à mes pairs. Je leur conseillerais d’abattre la cloison qui sépare leurs convictions de leur savoir spécialisé. On ne peut pas être avocat, magistrat, notaire, huissier, greffier, commissaire de police, officier, professeur ou maître de conférence, haut fonctionnaire une partie de son temps, tout en consacrant ses loisirs à se ré-informer, à se forger une culture politique, à prier et à entretenir son réseau de contestataires. Si l’on ne fait pas le lien entre les deux, entre technique juridique et opinions politiques, cela ne peut se traduire d’un côté que par de l’incompétence et de l’autre que par de l’impuissance, de la rancœur et du désespoir. Ces fonctions sociales font appel à l’ordo, elles ne doivent pas être exercées de manière irresponsable. Je crois au lien entre crise sociale et crise du droit. Les juristes français ont laissé à l’abandon la forteresse « État ». Un problème similaire se pose aux catholiques, à la hiérarchie comme aux paroissiens.
Comment voyez-vous l’avenir ? Êtes-vous optimiste ou pensez-vous que le pire est devant nous en matière de répression de la liberté d’expression, de recherche et de droit de dire la vérité ?
Tout est possible et cela dépend mystérieusement de certains d’entre nous. Ce ne sont pas de petites questions. Soit les forces de dissolution sont repoussées à nouveau pour un temps comme elles ont pu l’être dans le passé. Ce sera une renaissance. Soit le Mal se propage encore jusqu’à la fin des fins.