par Guillaume Berlat
« En conséquence, la diplomatie du coup d’éclat d’Emmanuel Macron, et ses saillies contre l’OTAN inquiètent plus encore que l’insolente politique turque en Méditerranée ». Nous sommes au cœur des mirages de la diplomatie du coup d’éclat du chef de l’État. Le président de la République manque de crédibilité sur la scène internationale tant ses coups de menton sur l’état de l’Alliance atlantique (la désormais célèbre formule sur « la mort cérébrale de l’OTAN » dans The Economist en novembre 2019) ne sont jamais suivis d’actes forts (retrait de certaines opérations, voire plus encore). Avant d’examiner l’évolution de la relation entre la France et l’OTAN de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, il importe de rappeler ce qu’est au juste la justification de cette organisation internationale qui aurait dû disparaitre avec la fin de la Guerre froide. Un outil de sécurité pour les Européens. C’est une vérité d’évidence. Mais aussi, un instrument d’asservissement à la puissance américaine pour ces mêmes Européens. Aujourd’hui plus qu’hier, il importe de prendre conscience des paramètres de la nouvelle équation transatlantique pour la France, faite de la conjugaison de facteurs structurels et conjoncturels, avant de lancer dans un choix qui engage l’avenir : partir ou rester ?
OTAN : OUTIL DE SÉCURITÉ, INSTRUMENT D’ASSERVISSEMENT
Pour être un outil de sécurité, l’OTAN n’en demeure pas moins un instrument d’asservissement.
Un outil de sécurité : l’assurance tout-risque de l’oncle Sam
Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne nazie en mai 1945, la suspicion grandit entre les alliés du temps de la guerre. L’entrisme de Moscou à l’est inquiète à l’ouest. En mars 1946, l’ambassadeur des États-Unis à Moscou, George Kennan incite Washington à contenir (« containment ») l’expansion de la Russie avec vigilance et fermeté. Winston Churchill parle de « rideau de fer descendu à travers le continent de Stettin à Trieste ». Staline l’accuse de « calomnie ». En 1947, « l’année terrible » est marquée par l’entrée dans la « guerre froide » (Walter Lippmann), l’approfondissement des failles idéologiques entre Moscou et Washington. Deux Europe s’affirment sous la tutelle des deux Grands. En 1948, on assiste au « coup de Prague », au blocage des secteurs occidentaux de Berlin. L’antagonisme est-ouest constitue alors l’élément fondamental structurant l’ordre international de l’après-guerre. A l’ouest, la réaction s’organise. Britanniques et Français concluent un traité d’alliance et d’assistance mutuelle le 4 mars 1947 à Dunkerque. Il s’élargit aux trois pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) qui créent « l’Union occidentale » à Bruxelles le 17 mars 1948. Ce traité comporte un engagement d’assistance automatique en cas d’agression. Mais comment convertir la défense européenne en défense occidentale ?
Des négociations se tiennent d’abord entre anglo-saxons, élargies par la suite à plusieurs autres États entre les deux rives de l’Atlantique. Elles débouchent finalement par la signature du traité de l’Atlantique nord le 4 avril 1949 à Washington. Ses parties sont les cinq États du traité de Bruxelles auxquels se joignent le Canada, le Danemark, les États-Unis, l’Islande, l’Italie, la Norvège et le Portugal. Ce sont donc douze États qui forment l’avant-garde de la défense occidentale face à l’URSS. À l’est, la riposte s’organise. Le pacte de Varsovie est une ancienne alliance militaire groupant les pays d’Europe de l’Est avec l’URSS dans un vaste ensemble économique, politique et militaire. Il est conclu le 14 mai 1955 entre la plupart des pays communistes du bloc soviétique par un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle.
Nikita Khrouchtchev, qui en fut l’artisan, l’avait conçu dans le cadre de la guerre froide comme un contrepoids à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui avait vu le jour en avril 1949. La principale raison ayant motivé la formation du pacte de Varsovie, selon l’exposé des motifs, fut l’adhésion de la République fédérale d’Allemagne « en voie de remilitarisation » au traité de l’Atlantique nord au moment de la ratification des accords de Paris le 9 mai 1955. Le pacte de Varsovie est dissout en juillet 1991.
Un instrument d’asservissement : les idiots utiles européens
L’adjectif « atlantique » qualifie ce qui concerne l’Océan atlantique et les pays riverains. L’atlantisme désigne une politique extérieure caractérisée par le soutien apporté aux Etats-Unis, notamment dans le cadre de l’OTAN. Conceptualisé au début de la Guerre froide, l’atlantisme prône une étroite coopération entre les Etats-Unis, le Canada et les pays européens dans les domaines politique, militaire, économique et culturel. L’objectif avoué consiste, en principe, à assurer la sécurité des pays membres de l’OTAN (clause de solidarité de l’article 5 qui veut qu’une attaque contre l’un de ses membres est considérée comme une attaque contre tous) et de protéger les valeurs qui les unissent : démocratie, libertés individuelles et Etat de droit). L’atlantisme désigne aussi l’attitude politique, l’opinion, la doctrine de ceux qui font du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) la base de leur action extérieure et qui, au nom de ces principes, s’alignent de manière plus ou moins systématique, idéologique sur la politique extérieure des Etats-Unis qu’elle soit entièrement justifiée ou totalement infondée, ce qui arrive parfois.
C’est que l’Amérique, le pays à la destinée manifeste, n’est pas une nation sentimentale. Accorder une assurance tout-risque à ses alliés comporte un prix, un prix fort que ces derniers doivent acquitter sous peine d’excommunication. Sur le plan politique, d’abord, cela signifie un alignement inconditionnel sur toutes les positions diplomatiques américaines, y compris les plus critiquables.
On se souvient des foucades du général de Gaulle contre l’impérialisme américain (Cf. le discours de Phnom Penh de 1966 au cours duquel il critique l’intervention américaine au Vietnam) et de sa volonté de ne pas adhérer automatiquement à la politique étrangère de Washington. Sur le plan économique et commercial, ensuite, cela signifie se plier au primat du dollar comme monnaie d’échange et aux règles de droit américain sur le commerce international. Sur le plan militaire, enfin, cela signifie faire sienne, d’endosser la doctrine du Pentagone en matière d’interventions extérieures (Afghanistan, Irak, Syrie…) et surtout acheter exclusivement du matériel américain au nom du sacro-saint principe de l’interopérabilité. L’Amérique, c’est aussi « Buy American First ».
Qu’en est-il de la position de la France à l’égard de l’OTAN ?
OTAN : GRAND MALENTENDU DE CHARLES DE GAULLE À EMMANUEL MACRON
Ce n’est qu’en analysant l’évolution de la relation entre l’OTAN et la France au cours des sept décennies passées que nous pourrons disposer d’une vue globale de la situation actuelle.
Un pied dedans, un pied dehors : le gaullo-mitterrandisme
La faible Quatrième République est marquée par un atlantisme bon teint, faute d’avoir les moyens d’assurer sa sécurité. Elle va régulièrement faire ses exercices de génuflexion devant l’Oncle Sam. L’explosion de sa première bombe nucléaire (1960), la fin de la guerre d’Algérie (1962), le remboursement de ses dernières créances conduisent le général de Gaulle à s’émanciper de la tutelle pesante des États-Unis en quittant la structure militaire intégrée de l’OTAN en 1966. Cette distance vis-à-vis de Washington vaut à la France un capital de sympathie inestimable dans le Tiers-Monde. Ceci va évoluer : « Si tu y pensais un peu plus souvent, tu ne ferais pas tout le temps des propositions idiotes ». Jacques Chirac amorce un mouvement de rapprochement avec l’Alliance : réintégration du comité militaire, tentative de retour dans certains commandements du flanc sud sans toutefois passer la ligne rouge.
Les deux pieds dedans : le sarkozo-macronisme
Nicolas Sarkozy s’enorgueillit de retrouver la « famille occidentale » en rejoignant en 2009 la structure militaire intégrée quittée en 1966 pour démontrer son indépendance face à Washington. Indépendance par rapport à « l’hybris, la folie des grandeurs, une ignorance condescendante du monde extérieur : ‘The West and the Rest’, dit-on outre-Atlantique ». Le rapport Védrine ne remet pas en cause ce retour qui s’accompagne de l’émergence d’un courant néo-conservateur au Quai d’Orsay diffusant au sein des plus hauts cercles de l’État. Manifestement, le plus jeune président de la Cinquième République, Emmanuel Macron s’agite beaucoup (il brandit les mots de défense européenne, d’armée européenne, de souveraineté européenne, d’autonomie stratégique européenne…) mais ne parvient pas, pour l’instant du moins, à emporter les suffrages de ses partenaires européens, qui ne pensent que NATO pour leur sécurité. Mois après mois, le chef de l’État essuie camouflet après camouflet sur tous les terrains. Son illettrisme stratégique fait peine à voir.
Son opération de charme du début de quinquennat auprès de Donald Trump tourne court. L’Allemagne ne succombe pas aux sirènes jupitériennes sur la problématique de la défense européenne. Le moins que l’on puisse dire est que rien n’est simple dans la relation entre la France et l’OTAN depuis plusieurs décennies. Ce qui explique qu’il faudra, bientôt de préférence, effectuer le choix qui s’impose pour dépasser l’ambiguïté qui débouche sur une impasse diplomatique et sécuritaire comme celle que nous connaissons actuellement. La diplomatie du en même temps ne constitue pas la meilleure démarche pour trancher le nœud gordien.
OTAN : PARTIR OU RESTER ?
Aucune décision raisonnée et raisonnable sur l’avenir de notre participation à l’Alliance atlantique ne pourra être prise sans que nous ayons pris conscience des problèmes qui grèvent aujourd’hui son fonctionnement normal.
Du sommet de Londres à l’affaire du Courbet : de Charybde en Scylla
Manifestement, l’OTAN se trouve dans une situation inconfortable par la conjugaison de deux facteurs importants : structurel américain et conjoncturel turc.
Tout d’abord, le monde est aux prises à une entreprise américaine systématique de déconstruction du système multilatéral porté, en 1945, sur les fonts baptismaux par les États-Unis. Hier, c’était au tour de l’OMC de passer sous les fourches caudines de Donald Trump. Aujourd’hui, c’est à l’OMS de subir les foudres de l’homme à la mèche blonde. Nous savons que le 45ème président des États-Unis ne porte pas dans son cœur une institution dont les membres n’assumeraient pas le partage du fardeau financier, en particulier l’Allemagne. Donald Trump met à nue les fissures d’une organisation, qui était mal en point depuis plusieurs années, mais que tout le monde feignait d’ignorer. Aujourd’hui, le mal est profond. Il est diagnostiqué. Il ne pourra pas être résolu par des remèdes homéopathiques ou par de sympathiques incantations creuses. Les Européens le veulent-ils, le peuvent-ils ? Dans quelle mesure les Européens peuvent-ils faire confiance à un interlocuteur aussi versatile que Donald Trump qui peut dire tout et son contraire à quelques jours d’intervalle sur l’intérêt ou le désintérêt qu’il porte à l’OTAN ? Ce ne sont pas quelques déclarations positives de son administration qui changeront le cours des choses. Le sommet du soixante-dixième anniversaire de Londres (2019) qui aura apporté les clarifications nécessaires. Ce n’est pas le groupe d’expert réuni par le secrétaire général de l’OTAN – la France y est représentée par Hubert Védrine – qui apportera des solutions révolutionnaires à un problème stratégique de substance.
Ensuite, et si la situation n’était pas suffisamment confuse comme cela, un nouvel irritant est venu s’ajouter à ce problème américain, celui de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. La Turquie est un allié de moins en moins fiable qui préfère jouer sa propre participation. Au mépris de la solidarité atlantique, les Turcs font l’acquisition de systèmes antimissiles russes S-400, provoquant l’ire de Washington qui demande en vain à Ankara d’y renoncer pour prétendre à l’achat d’avions de chasse F-35. En Syrie, les Turcs font la chasse aux Kurdes qui ont été les meilleurs alliés des Occidentaux dans leur lutte contre l’EIIL. Aujourd’hui, les Turcs guerroient, par djihadistes interposés en Libye, et y apportent du matériel en violation de l’embargo de l’ONU censé être contrôlé par l’OTAN sans que cela ne déclenche les foudres d’Evere comme vient de le démontrer l’affaire du Courbet. « Provocation envers le monde civilisé », la transformation de Sainte-Sophie en mosquée est la cerise sur le gâteau. Les réactions retenues de la fameuse et inexistante communauté internationale n’auront aucun effet sur la décision du « maquereau du Bosphore ». Avec l’Union européenne, le président Erdogan joue sur la corde sensible du contrôle des flux migratoires pour obtenir ce qu’il veut. L’Allemagne reste silencieuse après chacune de ses provocations. En un mot comme en cent, Ankara, mue par une fièvre nationaliste néo-ottomane, fait ce que bon lui semble au gré des évènements et de ses intérêts bien compris. La crise du Covid-19 a confirmé la mue de la diplomatie turque, suivant le modèle russe et chinois.
De l’importance d’un choix clair : des paroles aux actes
Le temps est désormais venu d’en finir avec les postures viriles à Paris. Depuis novembre 2019, quelles conclusions le président de la République Emmanuel Macron a-t-il tiré de son diagnostic sur une « OTAN en état de mort cérébrale » hormis un buzz médiatique ? Aucune, à notre connaissance si ce n’est quelques rodomontades. Le moins que l’on puisse dire est qu’aucun de ses alliés – surtout pas ses pleutres homologues de l’Union européenne qui ne jurent que par la défense américaine et ne veulent pas entendre parler d’une quelconque défense européenne – ne l’a suivi dans sa démarche. Sur ce dossier comme sur bien d’autres, la France est isolée et fait cavalier seul. Il s’agit d’un constat objectif dont il faudrait tirer, un jour ou l’autre, les conséquences qui s’imposent. La détérioration des relations franco-turques au cours de l’année écoulée, qui a connu son paroxysme avec l’affaire du Courbet, est venue nous rappeler ce qu’était cette pseudo-Alliance atlantique et nous inciter à nous interroger sur ce qu’elle est vraiment. La non-réponse de l’OTAN à la demande française de condamnation de la Turquie pour trafic d’armes en Libye devrait avoir d’autres conséquences qu’une bouderie consistant à se retirer temporairement d’un programme en cours. Si la France a besoin des Etats-Unis et l’OTAN, de la France, cela s’appelle une alliance. A moins qu’il ne s’agisse que d’un ‘traité d’assistance’, tel celui qui lie la France au Qatar, grand ami de la Turquie ?
On l’aura compris. La France ne pourra plus faire longtemps l’économie d’une véritable réflexion sur les conditions de sa participation à l’OTAN. Et, les options qui s’offrent à elle ne sont pas si nombreuses : continuer comme si de rien n’était, continuer de ne plus participer à ses opérations de surveillance maritime, cesser de participer à toutes les opérations militaires baroques en particulier celles qui visent la Russie, se retirer une nouvelle fois de la structure militaire intégrée comme l’avait fait le général de Gaulle en 1966, se retirer purement et simplement de l’OTAN. Dans la vie internationale, il y a toujours une heure de vérité. Saurons-nous la provoquer ou la subir ? Ce que Winston Churchill résumait parfaitement lorsqu’il déclarait : « mieux va prendre le changement par la main avant qu’il nous prenne à la gorge » !
« On ne fait pas de bonne politique autrement que sur des réalités » (Charles de Gaulle). Les bons sentiments s’accordent mal avec la Realpolitik. Nous sommes ravis qu’Emmanuel Macron, le président de la « start-up nation », comprenne la signification réelle de l’Alliance atlantique, mais il faudra davantage que des déclarations racoleuses pour clarifier la position de la France vis-à-vis de cette survivance d’un passé révolu, celui de la Guerre froide. Retrouver l’esprit, si ce n’est la lettre, de l’approche gaullo-mitterrandienne à l’endroit du NATO devrait être la première priorité du gouvernement de combat et de mission dirigé par Jean Castex. À défaut d’une véritable redéfinition de notre posture sur la problématique plus globale de l’architecture de sécurité en Europe, les saillies de Jupiter ne seront que cataplasme sur une jambe de bois, que rustine sur une chambre à air percée. Un sursaut salutaire. Personne ne pense qu’il adviendra d’ici la fin du quinquennat. Pourquoi ? Parce que le chef de l’État, adepte de la politique du en même temps n’est pas homme à trancher dans le vif comme le fit courageusement le général de Gaulle en quittant la structure intégrée de l’Alliance atlantique en 1966. Dans ces conditions, la relation de la France avec l’OTAN risque fort de ressembler – pour une durée indéterminée – à la chanson de Serge Gainsbourg, je T’aime… Moi non plus.
Guillaume Berlat
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source:http://prochetmoyen-orient.ch/que-fait-encore-la-france-dans-lotan/
Source: Lire l'article complet de Réseau International