Confronté à la perte d’un contrat dans la ville d’Osorno au Chili, le groupe Suez brandit la menace d’un recours aux tribunaux arbitraux privés. Un cas hautement symbolique, car ce serait la première remunicipalisation de l’eau dans ce pays, qui apparaît comme l’une des vaches à lait financières du groupe français.
Le groupe français Suez a menacé officiellement le Chili d’un recours à l’arbitrage international, autrement dit à ces fameux tribunaux commerciaux privés qui permettent à des « investisseurs » de poursuivre des gouvernements qui prendraient des mesures défavorables à leurs intérêts. En cause : la volonté de la ville d’Osorno (environ 150 000 habitants) de mettre fin à son contrat de gestion du service d’eau, suite à une coupure de plusieurs jours et des problèmes de qualité survenus en 2019. Lors d’un référendum citoyen organisé dans la ville, sur fond de manifestations populaires dans tout le pays contre le coût de la vie, 90% des votants se sont prononcés pour la remunicipalisation.
Suez est tristement habitué au recours à l’arbitrage international. Le groupe a lancé plusieurs procédures contre l’Argentine suite à la vague de remunicipalisations de l’eau dans le pays du début des années 2000 (lire notre enquête Litiges entre États et multinationales : le cas emblématique du conflit entre Suez et l’Argentine). Il a brandi la même menace à l’encontre de l’Indonésie lorsqu’il fut question de remunicipaliser le service de l’eau de Jakarta (lire notre article).
Pourquoi cette attitude aussi agressive du groupe français ? Il ne veut clairement pas laisser s’ouvrir une brèche au Chili, l’un des rares pays du monde où la gestion privée de l’eau est la règle (depuis la dictature d’Augusto Pinochet) et où Osorno pourrait devenir la toute première ville à mettre fin à un contrat avec une entreprise pour reprendre directement la gestion du service. Avec le risque de voir se répéter pour Suez les déconvenues rencontrées en Argentine et en Bolivie ces dernières années.
Il faut dire que le Chili est un peu une vache à lait pour le groupe français, qui y détient de nombreux contrats à travers un écheveau compliqué de participations via sa filiale espagnole Agbar et sa sous-filiale chilienne Aguas Andinas (lire Comment Suez et Agbar ont tissé leur toile au Chili). Selon les données financières publiées dans le document d’enregistrement universel de Suez, Aguas Andinas a reversé ces dernières années autour de 180 millions d’euros par an à ses actionnaires (parmi lesquels Suez), soit presque 150% de ses profits. Autrement dit, une trésorerie qui s’assèche progressivement pour faire remonter de l’argent depuis le Chili dans les poches d’« investisseurs » étrangers.
Olivier Petitjean
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