La tête de l’hydre : l’ascension de Robert Kadlec

La tête de l’hydre : l’ascension de Robert Kadlec

Un puissant réseau d’agents politiques, une mafia mondiale des vaccins et leur homme à Washington.


Par Whitney Webb & Raul Diego – Le 14 mai 2020 – Source The Last American Vagabond

Vendredi dernier, un groupe de sénateurs démocrates a « exigé«  que le secrétaire adjoint du département de la santé et des services sociaux (HHS) pour la préparation et la réponse (Assistant Secretary for Preparedness and Response – ASPR), Robert Kadlec, « révèle avec exactitude tous ses liens personnels, financiers et politiques à la lumière de nouvelles informations selon lesquelles il ne l’avait pas fait auparavant » après qu’il a été révélé qu’il avait omis de noter tous les « conflits d’intérêts potentiels » sur son dossier de candidature.

Le rapport en question, publié lundi dernier par le Washington Post, a détaillé les liens de Kadlec avec un homme nommé Fuad El-Hibri, le fondateur d’une société de « sciences de la vie » d’abord connue sous le nom de BioPort et maintenant appelée Emergent Biosolutions. Kadlec avait déjà révélé ses liens avec El-Hibri et Emergent Biosolutions lors d’une nomination séparée les années précédentes, mais il avait omis de le faire lors de sa nomination à la tête de l’ASPR.

Bien que le Post note que Kadlec a récemment omis de révéler ces liens, l’article a largement assaini l’histoire antérieure mais cruciale de Kadlec et a même obscurci l’étendue de ses liens avec le fondateur de BioPort, entre autres omissions flagrantes. En réalité, Kadlec a bien plus que ses liens avec El-Hibri qui risquent de devenir un « conflit d’intérêts potentiel », car sa carrière de plusieurs décennies dans l’élaboration de la politique américaine de « biodéfense » a été directement rendue possible par ses liens profonds avec les services de renseignement, les grandes sociétés pharmaceutiques, le Pentagone et une foule de personnages corrompus mais puissants.

Grâce à un processus long et délibéré d’introduction de la politique de biodéfense, mené par Robert Kadlec et ses sponsors, 7 milliards de dollars de vaccins, antidotes et médicaments appartenant au gouvernement fédéral – conservés dans des dépôts stratégiquement disposés à travers le pays en cas d’urgence sanitaire – sont maintenant entre les mains d’un seul individu. Ces dépôts, qui composent le stock national stratégique (SNS), sont le domaine exclusif de l’ASPR du HHS, un poste créé sous l’œil attentif de M. Kadlec et adapté au fil des ans pour répondre à ses besoins très spécifiques.

De ce point de vue, Robert Kadlec a le dernier mot sur l’origine du contenu du stock, ainsi que sur la manière, le moment et le lieu de son déploiement. Il est l’unique fournisseur de matériel médical et de produits pharmaceutiques, ce qui fait de lui le meilleur ami des grandes sociétés pharmaceutiques et des autres géants du secteur de la santé qui lui ont prêté une oreille attentive à chaque étape du processus.

Kadlec nous assure cependant que le fait qu’il occupe aujourd’hui le poste qu’il a si longtemps travaillé à créer n’est qu’une coïncidence. « Ma participation au projet ASPR a commencé à l’époque où je travaillais pour le président du sous-comité sur le bioterrorisme et la préparation de la santé publique… Le projet a été adopté et l’ASPR a été créé. Ce n’est qu’une coïncidence si, 12 ou 14 ans plus tard, on m’a demandé de devenir l’ASPR », a déclaré M. Kadlec en 2018.

C’est un hasard du destin, affirme Kadlec, qui l’a vu occuper l’ASPR à ce moment crucial de l’histoire des États-Unis. En effet, alors que le pays est en pleine pandémie de coronavirus déclarée par l’OMS, Kadlec a maintenant le contrôle total des pouvoirs « d’urgence » de ce même bureau, qui lui sont conférés par la loi qu’il a rédigée.

L’histoire de la façon dont un ancien médecin de l’USAF a obtenu la licence de distributeur exclusif de la plus grande réserve de médicaments de l’histoire du monde est aussi troublante que significative à la lumière des événements actuels, en particulier parce que Kadlec est maintenant à la tête de la réponse au coronavirus pour l’ensemble du HHS. Cependant, la montée en puissance de Kadlec n’est pas le fait d’un cerveau maléfique qui conquiert un lieu particulièrement vulnérable des ressources de la nation. Il s’agit plutôt d’un homme profondément enraciné dans le monde du renseignement, du renseignement militaire et de la corruption des entreprises, qui réalise consciencieusement la vision de ses amis dans les hautes sphères et derrière des portes closes.

Dans ce troisième épisode de « Ingénierie de la Contagion : Amerithrax, coronavirus et l’essor du complexe biotech-industriel », Kadlec est le porte-parole d’un groupe soudé d’« alarmistes face à la bio-terreur » du gouvernement et du secteur privé, qui se sont fait connaître grâce à leur penchant pour imaginer les scénarios les plus horribles, et pourtant fictifs, qui ont inspiré la peur aux présidents, aux politiciens de haut niveau et au public américain. Parmi ces scénarios fictifs figure l’exercice « Dark Winter » dont il est question dans la première partie.

Certains de ces alarmistes, parmi lesquels des « guerriers du froid » de l’époque où Fort Detrick développait ouvertement des armes offensives, se sont lancés dans des expériences et des études inquiétantes sur l’anthrax tout en développant des liens suspects, en 2000, avec une société appelée BioPort. Comme indiqué dans la deuxième partie de cette série, BioPort risquait de tout perdre début septembre 2001 en raison de la controverse sur son vaccin contre l’anthrax. Bien sûr, les attaques à l’anthrax de 2001 qui ont suivi peu après allaient tout changer, non seulement pour BioPort, mais aussi pour la politique de bio-défense américaine. Le décor étant planté, Kadlec allait rapidement passer à l’action, guidant des changements politiques majeurs à la suite d’événements et de catastrophes majeurs ultérieurs, pour aboutir à son couronnement en tant que roi du stock.

Le fou accidentel

Robert Kadlec se décrit comme un « touriste accidentel » en ce qui concerne son introduction à la guerre biologique. Médecin de l’armée de l’air spécialisé dans les maladies tropicales, Kadlec dira plus tard que son intérêt pour ce domaine a commencé lorsqu’il a été affecté comme assistant spécial pour la guerre chimique et biologique au Commandement des opérations spéciales interarmées (JSOC), conseillant le major général Wayne Downing, alors à la tête du Commandement des opérations spéciales, à la veille de la première guerre du Golfe.

Kadlec déclarera plus tard qu’il a été le témoin direct de la façon dont l’armée, juste avant la guerre du Golfe, « manquait d’équipements de protection, de détecteurs et de contre-mesures médicales nécessaires, y compris de vaccins et d’antibiotiques contre les menaces immédiates posées par l’Irak », ce qui l’aurait incité à vouloir améliorer les efforts de bio-défense des États-Unis.

Alors qu’il occupait ce poste au JSOC, Kadlec a bénéficié des conseils de William C. Patrick III, un vétéran du programme américain d’armes biologiques qui avait développé la méthode américaine de militarisation de l’anthrax et détenait pas moins de cinq brevets classés relatifs à l’utilisation de la toxine en temps de guerre. Patrick, qui avait quitté le service gouvernemental en 1986 pour devenir consultant, a informé le Pentagone – alors dirigé par Dick Cheney – que le risque d’une attaque de l’Irak par des armes biologiques, en particulier l’anthrax, était élevé. L’avertissement de Patrick a incité l’armée américaine à vacciner des dizaines de milliers de ses troupes en utilisant le vaccin controversé contre l’anthrax « anthrax vaccine adsorbed (AVA) ». Kadlec allait personnellement injecter de l’AVA à environ 800 membres des forces armées américaines.

Kadlec notera plus tard dans un témoignage au Congrès qu’aucune preuve définitive d’un prétendu programme d’armes biologiques irakien n’a été trouvée pendant la guerre ou après, mais il a néanmoins affirmé ailleurs que « les irakiens ont par la suite admis s’être procuré de grandes quantités d’un agent biologique – l’anthrax et la toxine botulique », ce qui suggère que les avertissements de Patrick avaient un certain fondement dans la réalité.

Cependant, Kadlec a omis de préciser que ces échantillons d’anthrax et de botulisme avaient été vendus, avec l’entière approbation du gouvernement américain, au ministère irakien de l’éducation par une organisation privée américaine à but non lucratif appelée American Type Culture Collection. Donald Rumsfeld, qui était alors un envoyé de l’administration Reagan et dirigeait une société pharmaceutique vendue plus tard à Monsanto, serait également impliqué dans l’envoi de ces échantillons en Irak.

Joshua Lederberg

Après la guerre, le microbiologiste américain Joshua Lederberg a été chargé par le Pentagone de diriger l’enquête sur le « syndrome de la guerre du Golfe », un phénomène que l’on reliera ensuite avec les effets néfastes du vaccin contre l’anthrax. Le groupe de travail de Lederberg a fait valoir que les preuves d’une association entre la symptomatologie et le vaccin contre l’anthrax étaient insuffisantes. Cependant, il a été critiqué par la suite après qu’il a siégé au conseil d’administration de l’American Type Culture Collection, la société même qui avait expédié de l’anthrax au gouvernement irakien entre 1985 et 1989 avec la bénédiction du gouvernement américain. Lederberg a admis plus tard que l’enquête qu’il a menée n’avait pas consacré suffisamment de « temps et d’efforts à creuser les détails ». Les conclusions du groupe de travail ont ensuite été sévèrement critiquées par le Government Accountability Office.

Le Dr Lederberg s’avérera être un précurseur, voire un pionnier, dans l’évolution de la position de Robert Kadlec sur le thème de la guerre biologique. Le lauréat du prix Nobel et président de longue date de l’université Rockefeller a été l’un des pères de l’alarmisme en matière de bioterrorisme aux États-Unis, aux côtés de William C. Patrick III et d’autres membres d’un groupe soudé de microbiologistes dits « guerriers du froid ». Kadlec et Lederberg ont ensuite collaboré à plusieurs livres et études politiques à la fin des années 1990 et jusqu’en 2001.

Des années plus tard, lors d’une audition du Congrès, Kadlec a déclaré que les paroles de Lederberg « résonnent constamment en moi et servent d’avertissement pratique ». Outre Lederberg, Kadlec écrivait également de nombreux livres et articles avec Randall Larsen, qui allait plus tard engager le médecin pour enseigner « la stratégie et les opérations militaires » au National War College, où l’ami proche de Larsen – William C. Patrick III – enseignait également.

Une oasis empoisonnée

Nombre des divagations de Kadlec en matière de bioterrorisme ont été préservées dans des manuels vieux de 25 ans, comme un manuel de l’US Air War College intitulé « Champ de bataille du futur » où Kadlec demande au gouvernement de créer un stock massif de médicaments et de vaccins pour protéger la population contre une attaque d’armes biologiques, en particulier l’anthrax ou la variole. Dans un chapitre, Kadlec soutient que « les stocks d’antibiotiques, d’immunoglobulines et de vaccins nécessaires devraient être fournis, maintenus et facilement disponibles pour être administrés en quelques heures ».

Au moment de la rédaction du présent rapport, le point de vue de Kadlec sur la question a été fortement influencé par sa première mission en tant qu’inspecteur en désarmement de l’UNSCOM en Irak en 1994, où il était accompagné, entre autres, par William Patrick. Kadlec est ensuite retourné en Irak au même titre en 1996 et 1998, à la recherche des prétendues réserves irakiennes d’anthrax militarisé dont Patrick était si sûr qu’elles existaient, mais qui ne se sont jamais matérialisées.

Après trois visites, Kadlec avouera plus tard que, malgré ce qu’il a appelé « le régime d’inspection et de contrôle le plus intrusif jamais conçu et mis en œuvre » par l’ONU, les inspecteurs en désarmement de l’UNSCOM, dont lui-même et William Patrick, « n’ont pas réussi à découvrir de preuves irréfutables d’un programme offensif d’armes biologiques ». Kadlec est ensuite retourné en Irak à deux reprises après l’invasion américaine de 2003, ne trouvant là encore aucune preuve de l’existence du programme.

En 1995, Kadlec était déjà imprégné de l’alarmisme en matière d’armes biologiques qui avait été défendu par Lederberg et Patrick. Cette année-là, il a élaboré plusieurs « scénarios illustratifs » concernant l’utilisation de la « guerre économique et biologique » contre les États-Unis. L’un de ces scénarios fictifs, intitulé « terrorisme du maïs », implique que la Chine planifie « un acte de terrorisme agricole » en pulvérisant clandestinement la rouille des semences de maïs sur le Midwest à l’aide d’avions de ligne commerciaux. Le résultat du scénario de « terrorisme du maïs » est que « la Chine gagne une part importante du marché du maïs et des dizaines de milliards de dollars de profits supplémentaires grâce à sa récolte », tandis que les États-Unis voient leur récolte de maïs anéantie, ce qui entraîne une hausse des prix des denrées alimentaires et l’importation de maïs par les États-Unis. Un autre scénario, intitulé « C’est de la piquette », implique que des « vignerons européens mécontents » libèrent secrètement des pucerons du raisin qu’ils ont cachés dans des boîtes de pâté pour cibler les producteurs de vin californiens.

À peu près à la même époque, en 1994, le relativement jeune Bureau d’évaluation technologique du Congrès (Congressional Office of Technology Assessment ou OTA), qui a éclairé les décisions politiques sur les questions de complexité technologique et scientifique en matière de sécurité nationale, a été supprimé par la nouvelle majorité républicaine qui a remporté les deux chambres lors des élections cruciales de mi-mandat de 1994. Au moment de la perte de ses fonds, Lederberg siégeait au Conseil consultatif d’évaluation technologique de l’OTA (OTA-TAAC), aux côtés d’initiés de l’industrie pharmaceutique de Bristol-Myers Squibb, Lilly Research Labs et Smith-Kline avant la fusion, et présidait l’un de ses derniers groupes d’étude.

À la place de l’OTA, une entité indépendante à but non lucratif appelée The Potomac Institute for Policy Studies (PIPS) a été cofondée par un consultant spécial du Foreign Intelligence Advisory Board (PFIAB) du président H.W. Bush et un ancien contrôleur des programmes de la CIA, Michael S. Swetnam, qui aurait été « chargé de dresser le profil d’Oussama Ben Laden avant que les attentats du 11 septembre ne soient perpétrés ».

La suppression du financement de l’OTA et la création ultérieure du PIPS ont éloigné du Congrès la prise de décision sur les questions peut-être les plus sensibles de la sécurité nationale et l’ont confiée à une fondation privée qui regroupe des opérateurs issus des vastes secteurs du complexe militaro-industriel (MIC). D’anciens officiers militaires, des scientifiques de la DARPA, des experts en politique de la NASA, des agents du FBI, des agents de la CIA et des entrepreneurs de la défense comme Northrop Grumman figurent tous sur leurs listes de membres et dans leurs salles de conseil.

Le PIPS et ses sponsors ont suivi la carrière de Robert Kadlec au sein du gouvernement depuis le tout début et restent aujourd’hui très proches de lui. Une personne, liée au PIPS, devait travailler en particulière étroite collaboration avec Kadlec, Tevi Troy – chercheur principal au PIPS et chercheur adjoint au beaucoup plus raffiné Institut Hudson, qui est lui-même un important bailleur de fonds de l’IPFPC. Tevi Troy a longtemps joué un rôle essentiel dans l’élaboration du programme politique de bio-défense de Kadlec, qui allait rester manifestement statique et immuable tout au long de la carrière qu’il venait de commencer.

Pox Americana

William C. Patrick III
Note du Saker Francophone

Habile jeu de mot entre small pox / variole et pax americana, un dérivé de la pax romana.

En 1996, des pourparlers ont été engagés au sein de la direction militaire concernant ce qu’allait devenir le programme du Pentagone de vaccination obligatoire contre l’anthrax, une politique inlassablement promue par Joshua Lederberg, qui a participé à « l’étude » des liens entre le vaccin contre l’anthrax et le syndrome de la guerre du Golfe. Les discussions privées se sont déroulées parallèlement à une campagne publique visant à mettre la guerre biologique au premier plan de la conscience publique américaine. Un exemple particulièrement flagrant s’est produit lorsque William Cohen, alors secrétaire à la défense, a déclaré sur ABC News, avec un sac de sucre de cinq livres, que si « cette quantité d’anthrax pouvait être répandue dans une ville – disons de la taille de Washington, cela détruirait au moins la moitié de la population de cette ville ».

Dans le même temps, Joshua Lederberg plaidait également pour la constitution de stocks d’un vaccin antivariolique, ce que l’armée américaine a également pris à cœur, en accordant à une société appelée DynPort un contrat exclusif de plusieurs millions de dollars pour produire un nouveau vaccin antivariolique en 1997. Peu de temps après, BioPort, la société sœur de DynPort, a été créée et allait bientôt monopoliser la production de ce vaccin.

Au moment où BioPort (aujourd’hui connue sous le nom d’Emergent Biosolutions) avait obtenu de manière controversée le contrôle de ce contrat lucratif du Pentagone en 1998, le président de l’époque, Bill Clinton, avait publiquement averti que les États-Unis devaient « faire face aux nouveaux dangers des armes biologiques et chimiques », ajoutant que Saddam Hussein était précisément en train de « développer des armes nucléaires, chimiques et biologiques et les missiles pour les lancer ». Cependant, aucun renseignement ne permettait d’étayer ces affirmations, surtout après les tentatives infructueuses des inspecteurs en désarmement, comme Robert Kadlec et William Patrick, de trouver des preuves d’un programme d’armes biologiques irakien.

Malgré le manque de preuves concernant les prétendus programmes d’« ADM » de l’Irak, l’inquiétude de Clinton concernant la menace des armes biologiques aurait été le résultat de sa lecture de « L’événement Cobra », un roman sur la façon dont un agent pathogène génétiquement modifié appelé « variole cérébrale » ravage la ville de New York. L’auteur du roman, Richard Preston, avait été conseillé sur la guerre biologique et les agents pathogènes génétiquement modifiés par nul autre que William Patrick. Ce dernier, alors conseillé de la CIA, du FBI et des services de renseignements militaires, a également participé à des réunions à huis clos avec Clinton sur les armes biologiques, affirmant que leur utilisation était inévitable et que le plus mortel des agents pathogènes pouvait facilement être fabriqué dans le « garage d’un terroriste ».

Il est également probable que l’alarmisme de Clinton concernant les armes biologiques et chimiques ait été alimenté, en partie, par une table ronde organisée à la Maison Blanche le 10 avril 1998. Cette « table ronde de la Maison Blanche sur le génie génétique et les armes biologiques » comprenait un groupe d’« experts extérieurs » dirigé par Joshua Lederberg et plusieurs autres alarmistes du bioterrorisme, tels que Jerome Hauer, alors directeur de l’Office of Emergency Management de la ville de New York (qui était également conseillé par William Patrick III) et Thomas Monath, cadre de l’industrie des vaccins et conseiller scientifique en chef du directeur de la CIA, George Tenet.

La table ronde a permis de discuter en profondeur des « opportunités et des défis de sécurité nationale que représentent le génie génétique et la biotechnologie » ainsi que des « documents classifiés relatifs à l’évaluation des menaces et à la manière dont les États-Unis réagissent à des scénarios particuliers ».

Robert Kadlec, bien que républicain, reste très attaché à Bill Clinton, peut-être parce que l’ancien président était si attentif aux sombres prédictions des « experts en bio-défense » qui ont suivi la carrière de Kadlec. Kadlec reconnaît que l’ancien président a fait « beaucoup de bonnes choses » et a contribué de manière importante à l’avancement du programme politique du complexe industriel biotechnologique.

Clinton a publié plusieurs décrets et directives de décision présidentielle (PDD) pendant cette période, comme la PDD-62, qui portait spécifiquement sur les préparatifs d’une attaque de type « ADM » contre les États-Unis et demandait au ministère de la santé et des services sociaux (HHS), alors dirigé par Donna Shalala, de diriger la réponse nationale à ce genre d’attaque. Fortuitement pour Kadlec, le PDD-62 a également appelé à la construction d’un stock national de vaccins, d’antibiotiques et d’autres fournitures médicales.

À l’époque, Kadlec évangélisait déjà le public au sujet d’une attaque à l’anthrax apparemment imminente et apocalyptique, qu’il était certain de voir arriver à tout moment. Comme le cite le Vancouver Sun dans un article de 1998, Kadlec a émis des hypothèses :

Si plusieurs kilos d’un agent comme l’anthrax étaient disséminés dans la ville de New York aujourd’hui, des estimations prudentes évaluent à 400 000 le nombre de décès survenus dans les premiers jours. Des milliers d’autres personnes risqueraient de mourir en quelques jours si des antibiotiques et une vaccination appropriés n’étaient pas mis en place immédiatement. Des millions d’autres craindraient d’être exposés et chercheraient ou exigeraient également des soins médicaux. Au-delà des conséquences immédiates d’un tel acte sur la santé, la panique et les troubles civils potentiels susciteraient une réaction tout aussi importante.

Les spéculations apocalyptiques de Kadlec sur les attaques aux armes biologiques avaient attiré l’attention de Randall Larsen, alors directeur du département de la stratégie et des opérations militaires du Collège national de guerre, qui avait engagé Kadlec parce qu’il « était convaincu que la menace la plus grave pour la sécurité nationale n’était pas les missiles russes ou chinois, mais une pandémie – qu’elle soit d’origine humaine ou naturelle ». Peu de temps après, Kadlec et Larsen ont collaboré étroitement, co-signant ensemble plusieurs études.

Pendant ce temps, leur collègue du National War College, William Patrick III, travaillait simultanément pour l’armée et le service de renseignement américain, le Battelle Memorial Institute, où il développait secrètement une forme génétiquement modifiée et plus puissante d’anthrax pour un programme classifié du Pentagone.

L’Intelligentsia de la bio-terreur

Un an après avoir engagé Robert Kadlec pour enseigner au National War College, Randall Larsen a également participé à la création d’une nouvelle organisation appelée ANSER Institute for Homeland Security (ANSER-IHS), et en a été le directeur. Cet institut pour la sécurité intérieure, créé et financé pour la première fois en octobre 1999, était une extension de l’institut ANSER, qui avait lui-même été séparé de la RAND Corporation à la fin des années 1950. La RAND Corporation est un « groupe de réflexion » axé sur la sécurité nationale, qui a des liens de longue date avec les fondations Ford, Rockefeller et la Carnegie Corporation.

L’expansion de l’ANSER par le biais de l’ANSER-IHS a été préfigurée par l’entrée de la « défense de la patrie » dans le discours politique populaire dans la « Bureaucratie de Washington, le Beltway ». Ce terme aurait d’abord été utilisé dans un rapport du National Defense Panel présenté en 1997 et est attribué à Richard Armitage, membre du Defense Panel et ancien officier de la CIA ayant des liens avec le programme Phoenix de l’agence. Armitage faisait partie du groupe connu sous le nom de « Vulcans« , qui conseillait George W. Bush sur les questions de politique étrangère avant l’élection présidentielle de 2000.

Comme la journaliste Margie Burns l’a souligné dans un article de 2002, la nécessité de la « défense de la patrie » comme axe majeur de la politique du gouvernement américain, y compris la poussée pour créer une nouvelle agence de « sécurité de la patrie », a été considérablement amplifiée suite à sa prétendue création par Armitage en 1997. Ceci était dû, en partie, à un réseau de médias appartenant au leader de la secte sud-coréenne lié à la CIA, Sun Myong Moon, y compris le Washington Times, Insight Magazine et UPI, qui ont tous publié de nombreux articles rédigés par des analystes de l’ANSER ou qui citaient abondamment les rapports et les employés de l’ANSER concernant la nécessité d’un appareil de « sécurité intérieure » considérablement élargi.

L’un de ces articles, publié par Insight Magazine en mai 2001 et intitulé « Se préparer pour un prochain Pearl Harbor », cite abondamment l’ANSER et son Institut pour la sécurité intérieure comme étant parmi les « meilleurs experts de la nation » pour avertir qu’une attaque terroriste sur le continent américain était imminente. Il a également déclaré que « les premiers intervenants sur le champ de bataille de demain ne seront pas des soldats, mais des ambulanciers de la ville et des pompiers des petites villes ».

L’ANSER-IHS a été créé à la demande du PDG de l’ANSER, le Dr Ruth David, qui est devenue une cadre supérieure de l’ANSER après avoir quitté une longue carrière à la CIA, où elle avait occupé le poste de directrice adjointe de l’agence pour la science et la technologie. À l’époque, Joshua Lederberg et Tara O’Toole, alors directrice du Johns Hopkins Center for Civilian Bio-defense Studies et qui plus tard co-rédigera l’exercice Dark Winter, faisaient partie du conseil d’administration de l’ANSER-IHS, aux côtés de David.

Bien que créé en 1999, l’ANSER-IHS n’a été officiellement lancé qu’en avril 2001. Le même mois, Robert Kadlec, du National War College, a sponsorisé le document « Une micro-menace avec un macro-impact : la bio-menace et la nécessité d’une stratégie nationale de sécurité de bio-défense » . Ce document commence par citer plusieurs anciens responsables de la CIA ainsi que le Dr O’Toole (qui travaille maintenant pour In-Q-Tel, la branche de la CIA spécialisée dans le capital-risque) comme preuve qu’une attaque bioterroriste est « peut-être la plus grande menace à laquelle les États-Unis seront confrontés au cours du siècle prochain » et qu’une telle attaque viserait inévitablement « les Américains sur le sol américain ».

Ce rapport parrainé par Kadlec appelait également à la création de la National Homeland Security Agency (NHSA), dont le cadre était contenu dans le H.R. 1158, introduit un mois auparavant, en mars 2001. Le document demandait que la création de cette nouvelle agence au niveau du cabinet soit « rapidement mise en place, afin que l’agent exécutif unique qui en résultera (identifié à partir de maintenant comme la NHSA) puisse commencer son travail essentiel ». Il a également fait valoir que cette agence comprend « un poste de directeur adjoint … spécifiquement responsable de la préparation et de la réponse à une bio-attaque ».

Parmi les autres mesures recommandées dans le document, citons l’augmentation considérable du stock de la défense nationale, la création d’un système national de notification des maladies et la mise en place de détecteurs automatisés de menaces biologiques en temps réel. Ces derniers seront mis en place peu après la publication de ce document, ce qui donnera naissance au système controversé BASIS (Biological Aerosol Sentry and Information Systems). Le BASIS a été examiné dans la première partie de cette série, en particulier son rôle dans « l’induction de la panique et de la perturbation sociale qu’il est censé contrecarrer » pendant et après les attaques à l’anthrax de 2001 qui devaient se produire des mois plus tard. BASIS a été développé en grande partie par le Lawrence Livermore National Laboratory, dont le responsable de la sécurité nationale – l’ancien directeur de la Defense Threat Reduction Agency (DTRA), Jay Davis, était alors président du conseil d’administration de l’ANSER.

Il faut également noter que le rapport de Kadlec d’avril 2001 cite à plusieurs reprises le très discrédité mais toujours influent Ken Alibek, notamment son allégation selon laquelle toute personne disposant d’un accès à Internet et de quelques dollars pourrait facilement produire et diffuser de l’anthrax de qualité militaire. Certains des meilleurs experts nationaux en matière d’anthrax devaient discréditer cette affirmation, à l’exception de William C. Patrick III.

Cela est probablement dû au fait que la CIA avait demandé à Patrick de « contrôler » Alibek après sa première défection de l’Union soviétique en 1992, ce qui rendait Patrick responsable de la détermination de la crédibilité des affirmations controversées d’Alibek, y compris ses affirmations incorrectes selon lesquelles Saddam Hussein avait supervisé un programme massif d’armes biologiques. Au sujet de leur rencontre, Patrick dira plus tard : « Je ne dirai pas que nous sommes tombés amoureux, mais nous avons gagné un respect immédiat l’un pour l’autre ».

Au moment de la défection d’Alibek, Robert Kadlec – qui avait été affecté au bureau du secrétaire à la défense du Pentagone pour la politique de lutte contre la prolifération après la guerre du Golfe – se souviendra plus tard, lors du témoignage au Congrès de 2014 , d’avoir « été témoin des efforts déployés pour établir la vérité sur les efforts de l’ex-Union soviétique en matière d’armes biologiques », qui avaient intimement impliqué Alibek et Patrick. Kadlec a également noté que « le sort de ces agents [liés au programme d’armes biologiques de l’Union soviétique] et des armes associées », y compris celles décrites par Alibek, « n’a jamais été réglé de manière satisfaisante ».

Les affirmations choquantes mais douteuses d’Alibek ont souvent été utilisées et promues par Joshua Lederberg (qui avait débriefé avec d’autres chercheurs soviétiques sur les armes biologiques après leur défection), Patrick et d’autres pour soutenir leurs politiques de « bio-défense » favorites ainsi que la nécessité de recherches « défensives » sur les armes biologiques, y compris les efforts clandestins de génie génétique autour de l’anthrax sur lesquels Patrick et Alibek allaient plus tard collaborer.

Mettre les roues en mouvement

NTI

Quelques mois seulement avant le lancement « officiel » de l’ANSER-IHS, une autre organisation a été lancée dans un domaine connexe : la Nuclear Threat Initiative (NTI). Créée par le magnat des médias Ted Turner et l’ancien sénateur Sam Nunn en janvier 2001, la NTI visait non seulement à « réduire la menace » posée par les armes nucléaires, mais aussi par les armes chimiques et biologiques.

En annonçant la formation de NTI sur CNN, le réseau fondé par Turner, Nunn a déclaré que si « les armes nucléaires représentent un danger gigantesque, les armes biologiques et chimiques sont les plus susceptibles d’être utilisées. Et il y a des milliers de scientifiques dans l’ex-Union soviétique qui savent comment fabriquer ces armes, y compris chimiques, biologiques et nucléaires, mais ne savent pas comment nourrir leurs familles ». Nunn a poursuivi en déclarant que le NTI espérait « commencer à aider, apporter un peu d’espoir avec un emploi rémunéré pour les gens que nous ne voulons pas voir finir dans la fabrication d’armes chimiques, biologiques et nucléaires dans d’autres parties du monde ». La mission du NTI à cet égard est probablement venue comme une bonne nouvelle pour Joshua Lederberg, qui a longtemps préconisé que les États-Unis offrent des emplois aux chercheurs en armes biologiques de l’ex-Union soviétique afin d’empêcher leur emploi par des « régimes voyous ».

Aux côtés de Nunn et Tuner au sein du conseil d’administration de NTI se trouvaient William Perry, un ancien secrétaire à la défense, l’ancien sénateur Dick Lugar, qui a donné son nom au prétendu laboratoire américain d’armes biologiques en Géorgie, et Margaret Hamburg, qui était la vice-présidente de NTI et supervisait ses travaux sur les armes biologiques. Le père de Margaret Hamburg, David Hamburg, président de longue date de la Carnegie Corporation, était également conseiller et « membre distingué«  de la NTI. David Hamburg était un conseiller proche, un associé et un ami de longue date de Joshua Lederberg.

Sam Nunn et Margaret Hamburg de la NTI, ainsi que de hauts responsables de l’ANSER, se sont réunis en juin 2001 pour participer à un exercice de simulation d’une attaque par armes biologiques appelé « Dark Winter ». Nunn jouait le rôle de président dans l’exercice et Hambourg celui de chef du HHS dans le scénario fictif. Jerome Hauer, alors directeur général de l’entreprise de renseignement Kroll Inc. et vice-président de l’entreprise de renseignement militaire Scientific Applications International Corporation (SAIC), a joué le rôle du directeur de la FEMA.

L’exercice « Dark Winter » lui-même a été largement écrit par Tara O’Toole (membre du conseil d’administration de l’ANSER-IHS) et Thomas Inglesby du Johns Hopkins Center for Civilian Bio-defense Studies ainsi que Randall Larsen de l’ANSER-IHS. Robert Kadlec a également participé à la création du scénario et apparaît dans les clips d’actualité fictifs et scénarisés utilisés dans l’exercice.

Comme détaillé dans la première partie de cette série, l’exercice « Dark Winter » a sinistrement prédit de nombreux aspects de ce qui allait suivre quelques mois plus tard lors des attaques à l’anthrax de 2001, y compris la prédiction que des lettres de menace seraient envoyées aux membres de la presse avec la promesse d’attaques à l’arme biologique impliquant l’anthrax. « Dark Winter » a également fourni le récit initial des attaques à l’anthrax de 2001, selon lequel l’Irak et Al-Qaïda étaient conjointement responsables. Cependant, peu après les attaques, les preuves ont rapidement montré que l’anthrax provenait d’une source nationale liée à des expériences militaires. En outre, plusieurs participants et auteurs de « Dark Winter » avaient apparemment connaissance de ces attaques (notamment Jerome Hauer) et/ou étaient impliqués dans l’enquête controversée du FBI sur ces attaques (notamment Robert Kadlec).

Le jour du 11 septembre 2001, Kadlec et Randall Larsen devaient commencer à co-enseigner un cours sur la « sécurité intérieure » au National War College. Le programme de ce cours s’inspire de citations sur la menace imminente du bioterrorisme de Joshua Lederberg ainsi que de James Woolsey, participant à « Dark Winter » et ancien directeur de la CIA, qui a qualifié une attaque aux armes biologiques de « menace la plus dangereuse pour la sécurité nationale des États-Unis dans un avenir prévisible ».

Le cours devait également inclure une longue utilisation de l’exercice « Dark Winter », dans lequel les étudiants devaient reproduire l’exercice de juin 2001 dans le cadre d’un projet de recherche de fin de semestre. Cependant, étant donné les événements du 11 septembre 2001, Kadlec n’a jamais donné ce cours, car il s’est rendu au Pentagone pour se concentrer sur la « menace bioterroriste » dans les semaines qui ont précédé les attaques à l’anthrax de 2001.

Le jour d’après (l’ anthrax)

Rumsfeld

Immédiatement après les événements du 11 septembre 2001, Kadlec est devenu conseiller spécial en matière de guerre biologique auprès du secrétaire à la défense de l’époque, Donald Rumsfeld, et de son adjoint, Paul Wolfowitz. Dans les jours qui ont suivi, Rumsfeld a déclaré ouvertement et publiquement qu’il s’attendait à ce que les ennemis de l’Amérique, en particulier Saddam Hussein, aident des groupes terroristes non spécifiés à obtenir des armes chimiques et biologiques, un récit analogue à celui utilisé dans l’exercice Dark Winter que Kadlec avait contribué à créer.

Au lendemain du 11 septembre, les autres co-auteurs de Dark Winter – Randall Larsen, Tara O’Toole et Thomas Inglesby – ont personnellement informé Dick Cheney sur Dark Winter, à un moment où Cheney et son équipe avaient été avertis par une autre figure de Dark Winter, Jerome Hauer, de prendre l’antibiotique Cipro pour prévenir toute infection à l’anthrax. On ignore combien de membres de l’administration ont pris du Cipro et pendant combien de temps.

Hauer, ainsi que James Woolsey et la journaliste du New York Times, Judith Miller, (qui a également participé à « Dark Winter »), ont passé les semaines entre le 11 septembre et la divulgation publique des attaques à l’anthrax à faire de nombreuses apparitions dans les médias (et, dans le cas de Miller, à écrire des dizaines de rapports) concernant l’utilisation de l’anthrax comme arme biologique. Les membres du groupe controversé, le think thank the Project for a New American Century (PNAC), qui comptait dans ses rangs Dick Cheney et Donald Rumsfeld, ont également averti qu’une attaque à l’arme biologique allait suivre le 11 septembre. Parmi eux figuraient Richard Perle, alors conseiller du Pentagone dirigé par Rumsfeld, et Robert Kagan et Bill Kristol du Weekly Standard.

On pourrait penser que tous ces avertissements opportuns n’auraient pas dû provoquer la surprise de cette clique d’initiés du gouvernement une fois les attaques à l’anthrax rendues publiques le 4 octobre 2001. Cependant, malgré les avertissements constants de scénarios d’attaques à l’anthrax pendant une décennie et les conseils donnés au Pentagone sur cette même menace dès les semaines précédentes, Robert Kadlec a ensuite déclaré avoir crié « You gotta be sh*ttin’ me«  [vous vous foutez de ma gueule] lorsqu’il a appris l’existence des attaques.

Une autre prophétesse de l’anthrax avant les attaques, Judith Miller, se souvient d’avoir été bouleversée et découragée à la réception d’une lettre qui semblait contenir de l’anthrax. Sa première réaction fut d’appeler William C. Patrick III, qui la calma et lui dit que la poudre d’anthrax contenue dans la lettre « était très probablement un canular ». En effet, Patrick allait s’avérer correct dans son analyse car la poudre contenue dans la lettre que Miller avait ouverte était, en fait, inoffensive.

Kadlec a immédiatement commencé à contribuer à l’enquête controversée du FBI sur les attentats, connue sous le nom d’affaire « Amerithrax ». Kadlec a été chargé d’enquêter sur la présence présumée de bentonite dans l’anthrax utilisé dans les attentats. La bentonite n’a jamais été trouvée dans aucun des échantillons d’anthrax testés par le FBI, mais les allégations selon lesquelles elle aurait été utilisée pour établir un lien entre l’anthrax utilisé dans les attentats et l’utilisation présumée de bentonite par l’Irak dans son programme d’armes biologiques, dont l’existence même manque encore de preuves concluantes.

Cette affirmation erronée a été mentionnée pour la première fois au secrétaire adjoint à la défense Paul Wolfowitz par Peter Jahrling, un scientifique de Fort Detrick, qui a affirmé lors d’un briefing que les spores « semblaient avoir été traitées » avec un « additif chimique particulier » ressemblant à la bentonite. Jahrling a ensuite ajouté que le gouvernement irakien avait utilisé la bentonite pour produire « de manière suspecte » le bacille thuringiensis (Bt), un « cousin non létal » de l’anthrax largement utilisé dans l’agriculture. « Tout le monde s’en est emparé », Kadlec se souviendra plus tard du lien fortuit établi par Jahrling entre la bentonite et un cousin lointain et inoffensif de l’anthrax.

Chargé par Wolfowitz d’étayer les preuves de l’existence de la bentonite, Kadlec a contacté un scientifique de la marine qui l’avait accompagné en Irak avec William Patrick dans leurs efforts infructueux pour trouver des preuves des armes biologiques irakiennes en 1994, James Burans. Burans n’a jamais été convaincu du lien avec la bentonite ainsi que rapidement d’autres scientifiques du gouvernement.

Néanmoins, les médias ont continué à faire valoir que la bentonite-anthrax prouvait le rôle de l’Irak dans les attaques à l’anthrax, malgré les conclusions contraires. Fin octobre 2001, un sondage national a révélé que 74 % des personnes interrogées souhaitaient que les États-Unis entreprennent une action militaire contre l’Irak, malgré le manque de preuves reliant le pays aux attentats du 11 septembre ou aux attaques à l’anthrax. Un mois plus tard, Rumsfeld élaborait des plans en consultation avec Wolfowitz concernant les justifications d’une guerre avec l’Irak, notamment la découverte de liens entre Saddam Hussein et les attaques à l’anthrax et l’ouverture de litiges avec l’Irak au sujet des inspections sur les ADM.

Alors que le Pentagone, conseillé par Kadlec, cherchait à établir un lien entre les attaques à l’anthrax et l’Irak, le NTI – dirigé par le « président » de « Dark Winter », Sam Nunn – a fait passer son programme à la vitesse supérieure en réservant « 2,4 millions de dollars de subventions initiales pour financer la collaboration scientifique avec les scientifiques qui ont travaillé dans le programme secret d’armes biologiques de l’ex-Union soviétique ». Le NTI a également mis de côté des millions de dollars supplémentaires pour transformer les laboratoires d’armes biologiques de l’ex-Union soviétique en « installations de production de vaccins » et « aider à identifier les entreprises pharmaceutiques occidentales désireuses de travailler avec les anciens chercheurs soviétiques en armes biologiques sur des projets commerciaux ».

Enquête à huis clos

William C. Patrick III s’est également impliqué dans l’enquête Amerithrax du FBI, bien qu’il ait été initialement soupçonné d’être impliqué dans les attentats. Cependant, après avoir passé le test du détecteur de mensonges, il a été ajouté au « cercle restreint » des conseillers techniques du FBI sur l’affaire Amerithrax, malgré le fait que le protégé de Patrick, Stephen Hatfill, était le principal suspect du FBI à l’époque. Hatfill a ensuite été innocenté et le FBI a fini par accuser un scientifique de Fort Detrick nommé Bruce Ivins du crime, cachant une « montagne » de preuves disculpant Ivins pour ce faire, selon l’ancien enquêteur principal du FBI.

Dans les années 1990, Patrick avait fait part à ses associés de son désir de trouver quelqu’un qui poursuivrait son travail, pour finalement trouver cette personne en la personne de Stephen Hatfill. L’amitié entre Hatfill et Patrick était étroite, un expert en bioterrorisme les qualifiant de « père et fils ». Les deux voyageaient souvent ensemble et, à l’occasion, Hatfill conduisait Patrick vers ses postes de consultant chez la SAIC, entrepreneur militaire et de renseignement. En 1999, Patrick lui a rendu la pareille en l’aidant à décrocher un emploi à la SAIC. Un an plus tard, Jerome Hauer, un ami de Hatfill et de Patrick, a rejoint la SAIC en tant que vice-président.

La même année, Hatfill offre à Patrick un autre poste de consultant à la SAIC et lui demande de réaliser une étude décrivant « une attaque terroriste fictive dans laquelle une enveloppe contenant de l’anthrax de qualité militaire est ouverte dans un bureau ». Le Baltimore Sun rapportera plus tard que l’étude de Patrick pour SAIC portait sur « le danger de propagation des spores d’anthrax dans l’air et les exigences de décontamination après divers types d’attaques » ainsi que sur le nombre de grammes d’anthrax qu’il faudrait placer dans une enveloppe commerciale standard pour mener une telle attaque.

L’implication de Patrick dans cette étude de la SAIC est particulièrement intéressante étant donné qu’il était également impliqué dans un autre projet concernant l’anthrax à l’époque, celui-ci étant géré par le Battelle Memorial Institute. En 1997, le Pentagone a élaboré des plans pour créer génétiquement une variété plus puissante d’anthrax, stimulé par le travail de scientifiques soviétiques qui avaient récemment publié une étude qui a révélé qu’une souche d’anthrax génétiquement modifiée était résistante au vaccin standard contre l’anthrax, du moins dans les études sur les animaux.

L’objectif déclaré du plan du Pentagone, selon un rapport publié en 2001 dans le New York Times, était de « voir si le vaccin [contre l’anthrax] que les États-Unis avaient l’intention de fournir à leurs forces armées était efficace contre cette souche ». Les installations de Battelle à West Jefferson, dans l’Ohio, ont été engagées par le Pentagone pour créer l’anthrax génétiquement modifié, une tâche qui a été supervisée par Ken Alibek, alors responsable du programme Battelle pour tout ce qui concerne les armes biologiques. Un article paru en 1998 dans le New Yorker indiquait que William Patrick, également consultant pour Battelle et « ami proche » d’Alibek, travaillait à l’époque avec Alibek sur un projet impliquant l’anthrax. Il sera révélé plus tard que l’accès à la souche d’anthrax utilisée dans les attaques, la souche Ames, était contrôlée par Battelle.

En outre, le FBI a prétendument utilisé une preuve irréfutable pour établir un lien entre les attaques à l’anthrax et celles de Bruce Ivins, à savoir le fait qu’un flacon étiqueté RMR-1029 dans l’étiquette d’Ivins a été identifié comme étant la souche « mère ». Pourtant, il a été révélé plus tard que des portions de RMR-1029 avaient été envoyées par Ivins à l’usine de Battelle dans l’Ohio avant les attaques à l’anthrax. Une analyse de l’eau utilisée pour fabriquer l’anthrax a également révélé que les spores d’anthrax avaient été créées dans le nord-est des États-Unis et des analyses de suivi ont permis de réduire les seules sources possibles comme provenant de l’un des trois laboratoires : Fort Detrick, un laboratoire de l’université de Scranton, ou les installations de Battelle à West Jefferson.

Après le « suicide » prématuré d’Ivins en 2008, les avocats civils du ministère de la justice ont publiquement contesté les affirmations du FBI selon lesquelles Ivins était le coupable et ont plutôt « suggéré qu’un laboratoire privé de l’Ohio » géré par Battelle « pourrait avoir été impliqué dans les attaques ».

Le travail de Patrick avec Battelle sur la création d’une forme plus puissante d’anthrax, ainsi que son travail avec la SAIC pour étudier l’effet de l’anthrax envoyé par courrier, ont commencé à peu près au même moment où BioPort avait obtenu le monopole de la production du vaccin contre l’anthrax, récemment rendu obligatoire pour toutes les troupes américaines par le Pentagone. Comme nous l’avons expliqué dans la deuxième partie de cette série, l’usine de BioPort qui produisait son vaccin contre l’anthrax était, à l’époque, en proie à de nombreux problèmes et avait perdu sa licence d’exploitation. Bien que le Pentagone ait donné à BioPort des millions à utiliser pour la rénovation de l’usine, une grande partie de cet argent a plutôt été consacrée aux primes des cadres supérieurs et à la décoration des bureaux de la direction. D’autres millions ont tout simplement « disparu ».

En 2000, peu de temps après avoir reçu son premier renflouement du Pentagone, BioPort a passé un contrat avec nul autre que le Battelle Memorial Institute. Cet accord a permis à Battelle d’être « immédiatement exposé au vaccin » qu’il utilisait dans le cadre du programme de lutte contre l’anthrax génétiquement modifié auquel participaient Alibek et Patrick. Ce programme a ensuite commencé à utiliser le vaccin fabriqué par BioPort dans le cadre de tests effectués dans ses installations de West Jefferson. À l’époque, Battelle prêtait également son « expertise technique » à BioPort et a engagé 12 travailleurs à envoyer dans les installations de BioPort dans le Michigan « pour maintenir l’opération en cours ».

À l’époque, une porte-parole de BioPort a déclaré : « Nous avons une relation avec Battelle pour étendre notre portée aux personnes que nous essayons d’attirer pour des postes critiques de notre côté technique. Ils nous aident également à effectuer nos tests de puissance, comme une sorte de soutien. Ils valident nos tests de puissance ». Les rapports sur le contrat BioPort-Battelle indiquent que les termes de leur accord n’ont pas été divulgués publiquement, mais notent également que les deux sociétés avaient « précédemment travaillé ensemble sur une offre infructueuse pour fabriquer d’autres vaccins pour le gouvernement ».

Comme indiqué précédemment dans la deuxième partie de cette série, BioPort devait perdre entièrement son contrat pour le vaccin contre l’anthrax en août 2001 et l’ensemble de son activité dans ce domaine a été sauvée par les attaques à l’anthrax de 2001, qui ont vu les inquiétudes concernant la corruption de BioPort remplacées par des demandes ferventes pour une plus grande quantité de son vaccin contre l’anthrax.

Rumsfeld sauve BioPort

Donald Rumsfeld, l’un des défenseurs de la sauvegarde du contrat de BioPort pour le vaccin contre l’anthrax, a déclaré après les attentats que « nous allons essayer de le sauver et de mettre en place une sorte d’arrangement qui nous permettra de donner une dernière chance à cette entreprise [BioPort] de faire son travail. C’est la seule entreprise de ce pays qui a entrepris quelque chose, et ce n’est pas très avancé, comme vous le soulignez ».

Tandis que Rumsfeld et d’autres s’efforçaient de sauver l’affaire du vaccin contre l’anthrax de BioPort, une autre figure récurrente de cette sordide saga, Jerome Hauer, allait également jouer un rôle clé en poussant à l’augmentation des achats du produit le plus lucratif et le plus controversé de BioPort. En plus d’être directeur général de Kroll Inc. et vice-président de la SAIC, Hauer était également conseiller en matière de sécurité nationale auprès du secrétaire du ministère de la santé Tommy Thompson le 11 septembre 2001. C’est également ce même jour que M. Hauer a dit aux hauts fonctionnaires de l’administration de prendre du Cipro pour prévenir l’infection à l’anthrax.

Hauer a joué un rôle clé en conseillant les dirigeants du HHS lors des attaques à l’anthrax. Après les attaques, Hauer a poussé Thompson à créer le Bureau de la préparation de la santé publique (OPHP) au sein du HHS, qui a été créé plus tard cette année-là. Il a d’abord été dirigé par D.A. Henderson, un proche collaborateur de Joshua Lederberg et fondateur du groupe de travail de Johns Hopkins sur la biodéfense civile, qui comprenait Jerome Hauer et Tara O’Toole, la protégée de Henderson. Hauer lui-même allait remplacer Henderson comme OPHP quelques mois plus tard.

La législation subséquente, élaborée en partie par Robert Kadlec, allait voir le BPSP céder la place au poste de secrétaire adjoint pour la préparation aux urgences de santé publique (ASPHEP), un poste que M. Hauer allait également occuper. Hauer devait utiliser ce poste pour faire pression en faveur de la constitution de stocks de vaccins, notamment le vaccin contre la maladie du charbon de BioPort. Hauer et son adjoint, William Raub, aideraient alors à pousser le Pentagone à reprendre la vaccination des troupes, malgré les inquiétudes de longue date sur la sécurité du vaccin. Peu après avoir quitté le HHS en 2004, Hauer a rapidement été ajouté au conseil d’administration de BioPort sous son nouveau nom Emergent Biosolutions, un poste qu’il occupe toujours aujourd’hui.

Tous les systèmes fonctionnent

Au lendemain des attaques à l’anthrax, les prédictions de Robert Kadlec concernant les incidents bioterroristes sont devenues démesurées. « Ce n’est pas la variole de votre mère », disait Kadlec au LA Times fin octobre 2001, « C’est un chasseur F-17 Stealth – il est conçu pour être indétectable et pour tuer. Nous sabotons nos efforts en matière de biodéfense. Nous ne considérons pas cela comme une arme – nous considérons naïvement cela comme une maladie ». Comme le note l’article, cette souche de variole « furtive » n’existait pas. Au lieu de cela, Kadlec – qui avait maintenant l’oreille de Rumsfeld sur les questions de biodéfense – s’attendait à ce qu’une telle souche puisse bientôt être génétiquement modifiée.

Bien sûr, à l’époque, le seul gouvernement connu pour avoir modifié génétiquement un agent pathogène était les États-Unis, comme l’a rapporté Judith Miller du New York Times. Miller a rapporté en octobre 2001 que le Pentagone, à la suite des attaques à l’anthrax, avait approuvé « un projet visant à fabriquer une forme potentiellement plus puissante de bactéries de l’anthrax » par modification génétique, projet qui serait mené par le Battelle Memorial Institute.

Ce projet, auquel avaient participé William Patrick et Ken Alibek, s’est poursuivi et le Pentagone a décidé de le relancer après les attaques, bien qu’il ne soit pas clair si Patrick ou Alibek ont continué à travailler sur l’itération suivante des efforts de Battelle pour produire une souche plus virulente d’anthrax. Ce projet avait été mis en pause un mois auparavant lorsque Miller et d’autres journalistes ont révélé l’existence du programme dans un article publié le 4 septembre 2001.

Après l’annonce des plans du Pentagone de recommencer à développer des souches d’anthrax plus puissantes, des accusations ont été lancées selon lesquelles les États-Unis violaient la convention sur les armes biologiques. Cependant, les États-Unis ont évité de justesse d’avoir à admettre qu’ils avaient violé la convention étant donné que, un mois seulement après l’exercice « Dark Winter » en juillet 2001, les États-Unis avaient rejeté un accord qui aurait renforcé l’interdiction des armes biologiques.

Le New York Times a noté spécifiquement que les expériences sur l’anthrax génétiquement modifié menées par l’installation de Battelle à West Jefferson étaient une « raison importante » derrière la décision de l’administration Bush de rejeter le projet d’accord et le gouvernement américain avait alors fait valoir que « les visites illimitées d’inspecteurs étrangers dans les installations pharmaceutiques ou de défense pouvaient être utilisées pour recueillir des renseignements stratégiques ou commerciaux ». Bien sûr, l’une de ces « installations pharmaceutiques ou de défense » a finalement été la source de l’anthrax utilisé dans les attaques.

Le travail préparatoire

Robert Kadlec
Robert Kadlec

Au lendemain du chaos de la fin 2001, la vision de Kadlec pour la politique américaine de biodéfense se concrétisait rapidement sous ses yeux. La première loi effective du SNS a été la loi de 2002 sur la sécurité de la santé publique et la préparation au bioterrorisme, largement motivée par les attaques à l’anthrax, qui a ordonné au secrétaire du HHS de maintenir un « stock national stratégique (SNS) ». Cette loi était le résultat direct d’un processus entamé des années plus tôt, lorsque le Congrès a alloué des fonds au CDC pour le stockage de produits pharmaceutiques en 1998. Le programme était à l’origine appelé « National Pharmaceutical Stockpile (NPS) program ».

Le rôle de Kadlec dans la direction des développements ultérieurs du SNS et d’autres développements législatifs connexes a été considérable étant donné qu’en 2002, il est devenu directeur de la biodéfense au sein du Conseil de sécurité intérieure récemment créé. Son travail au sein de ce conseil, qu’il a quitté en 2005, a abouti à la « Politique nationale de biodéfense pour le 21e siècle » de l’administration Bush, qui fait sans surprise écho aux recommandations du document que Kadlec avait parrainé au National War College.

Le 1er mars 2003, le NPS est devenu le Programme du Stock National Stratégique (SNS) et a été géré conjointement par le DHS et le HHS après que George W. Bush ait publié la directive présidentielle sur la sécurité intérieure (HSPD-5). Deux jours auparavant, le secrétaire à la sécurité intérieure, Tom Ridge, et le secrétaire du HHS de l’époque, Tommy Thompson, avaient présenté le projet de loi BioShield au Congrès. Il s’agissait d’une loi de grande envergure qui établissait ce qui allait devenir un guichet de l’État pour les grandes entreprises pharmaceutiques, appelé Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), parmi d’autres entités et pouvoirs, dont le moindre n’était pas de déplacer le contrôle du SNS du DHS vers le HHS.

Peu après la promulgation de la loi sur le BioShield, BioPort/Emergent BioSolutions a cofondé un groupe de pression appelé Alliance for Biosecurity, dans le cadre de sa stratégie visant à obtenir facilement des contrats lucratifs pour le BioShield. Ce groupe de pression a vu Emergent BioSolutions s’associer au Centre pour la biosécurité de l’Université de Pittsburgh, qui était alors dirigé par Tara O’Toole et conseillé par Randall Larsen.

Une fois ce cadre en place, la politique nationale de biodéfense pour le 21e siècle, élaborée par Kadlec, a servi de cadre à la directive présidentielle 10 de Bush sur la sécurité intérieure (HSPD-10), qui a encore élargi le programme BioShield, le SNS et d’autres programmes controversés. Le projet BioShield est devenu une loi en 2004 et, un an plus tard, Kadlec a rejoint la sous-commission du sénateur Richard Burr sur le bioterrorisme et la santé publique. Kadlec y a occupé le poste de directeur du personnel au sein du comité qui a rédigé la loi sur la préparation à la pandémie et à tous les dangers (PAHPA), contenant les directives politiques spécifiques pour le déploiement du projet BioShield et créant le futur poste de Kadlec au sein du SNS.

La PAHPA a été adoptée l’année suivante au lendemain de l’ouragan Katrina et a établi la relation statutaire entre les différentes agences promulguées ou incluses dans la législation BioShield. Cela inclut la délégation au poste nouvellement créé de secrétaire adjoint du HHS pour la préparation et la réponse (ASPR) afin « d’exercer les responsabilités et les pouvoirs du secrétaire [du HHS] en ce qui concerne la coordination » du stock et de superviser la recherche et le développement avancés de contre-mesures médicales financées par BARDA, mais menées par Big Pharma. L’ASPR s’est également vu confier le rôle de chef de file pour diriger la réponse du HHS à une urgence sanitaire nationale.

Aux côtés de Kadlec à la Maison Blanche tout au long de ce processus, Tevi Troy, assistant spécial du président pour la politique intérieure, a joué un rôle qui en a fait le principal conseiller de la Maison Blanche en matière de soins de santé, de travail, d’éducation et d’autres questions, avec un accent particulier sur la gestion des crises. Troy, qui était passé par le ministère du travail en tant qu’assistant adjoint pour la politique, était déjà Senior fellow à l’Institut Hudson et à son groupe de réflexion satellite, le Potomac Institute for Policy Studies (PIPS), où le véritable travail d’élaboration des politiques était entrepris.

Troy et Kadlec quitteront tous deux l’administration à la fin du premier mandat de Bush et ne reviendront pas avant la seconde moitié de son second mandat. Entre-temps, les roues avaient été mises en mouvement avec le passage du projet BioShield et du PAHPA et, peu après leur passage, la panique a commencé à propos d’une épidémie de « grippe aviaire », qui s’était d’abord répandue dans 33 villes du Vietnam, puis avait conduit à une épidémie de la maladie tueuse de volailles qui a touché toute l’Eurasie, l’Afrique et le Moyen-Orient. L’épidémie a déclenché la panique aux États-Unis à la fin de 2005, en grande partie grâce aux avertissements exagérés lancés par Michael Leavitt, successeur de Tommy Thompson à la tête du ministère américain de la santé.

Bien que les affirmations de M. Leavitt aient été extrêmement inexactes, certains fonctionnaires ont profité financièrement de cette campagne de peur, comme Donald Rumsfeld, dont les actions de la société pharmaceutique Gilead lui ont rapporté 5 millions de dollars une fois la peur passée. Le bond de rentabilité de Gilead s’explique en partie par la décision du Pentagone et d’autres agences gouvernementales américaines de stocker 80 millions de doses de Tamiflu, un médicament promu pour traiter la grippe aviaire et développé à l’origine par Gilead. Rumsfeld avait été le cadre supérieur de Gilead avant de rejoindre l’administration de George W. Bush. Outre ceux qui en ont bénéficié financièrement, la peur de la grippe aviaire a également donné une impulsion considérable au programme de « stock » de biodéfense que Kadlec et d’autres initiés ont soutenu.

Kadlec reviendra à la Maison Blanche en 2007 en tant qu’assistant spécial pour la sécurité intérieure et directeur principal pour la politique de défense biologique, afin de consolider sa prise éventuelle sur le stock national stratégique et le bureau de l’ASPR, avec son acolyte de l’Institut Hudson/PIPS, Tevi Troy, simultanément nommé directeur adjoint du HHS. Troy a ainsi été chargé de mettre en œuvre les politiques inscrites dans la PAHPA et les changements ministériels adoptés dans le cadre du projet BioShield.

L’administration Bush est arrivée à sa conclusion inévitable lorsque Barack Obama a été élu et assermenté, début 2009. Kadlec et Troy, une fois de plus, ont quitté leur poste au gouvernement et ont disparu dans leurs repaires du secteur privé. Mais, cette même année, le premier exercice du SNS fraîchement modernisé de Kadlec a eu lieu lorsque la pandémie de grippe porcine (H1N1) a déclenché le « plus grand déploiement » jamais réalisé, avec la distribution de près de 13 millions de traitements antiviraux, ainsi que d’équipements médicaux et d’autres médicaments au niveau national et international, en collaboration avec BARDA. Gilead (et Rumsfeld) en ont encore largement profité, tout comme d’autres grandes entreprises pharmaceutiques, qui étaient impatientes de réapprovisionner le SNS après son déploiement à grande échelle.

Les origines du virus ont fait l’objet d’une controverse pendant plusieurs années, identifié alternativement comme provenant de porcs du Mexique ou d’Asie. L’une des dernières études menées en 2016 affirme avoir établi de façon définitive que la source du virus était des porcs au Mexique. Indépendamment de ses véritables origines, les observateurs intéressés ont pu glaner des données essentielles à partir de cet exercice pour préparer le « prochain ».

Les chevaux de Troy

Tevi Troy
Tevi Troy

Tevi Troy, directeur adjoint de HHS, a rapidement accepté un poste de lobbyiste de haut niveau pour la société de cigarettes électroniques JUUL, qui s’était heurtée à des obstacles réglementaires en raison du Tobacco Control Act, qui venait d’être signé par le président Obama. Margaret Hamburg, membre fondateur du NTI, était alors commissaire de la FDA et a bloqué l’application de la nouvelle réglementation ; une politique tacite de non-application avait persisté à la FDA jusqu’à la récente interdiction des arômes de vaporisation, qui faisait suite aux nouvelles préoccupations sanitaires soulevées par un rapport du NIH de 2018.

Les liens étroits du Dr Troy avec le PIPS et l’Hudson Institute permettent de comprendre pourquoi un ancien responsable du HHS a voulu promouvoir l’utilisation d’un produit connu pour être nocif pour la santé. Dans une rhétorique de marché libre, ces institutions sont les véhicules des initiatives politiques que leurs bailleurs de fonds milliardaires veulent voir mises en œuvre, avec ses groupes de réflexion subsidiaires, comme le PIPS, qui servent de satellites en orbite plus près du centre du pouvoir.

En tant que chercheur associé de l’Institut Hudson et chercheur principal du PIPS, Tevi Troy semble jouer un rôle central de coordination entre les deux. L’Hudson Institute a été fondé en 1961 par Herman Kahn, ancien stratège militaire de la RAND, théoricien des systèmes et inspirateur du Dr Folamour [Film de Stanley Kubrick, NdT]. Après la mort de Kahn en 1983, l’Institut a été « fortement approché » par la Lilly Endowment – la plus grande fondation privée des États-Unis, de loin – et est devenu un aimant pour les mêmes réseaux de milliardaires conservateurs radicaux qui le fréquentent aujourd’hui.

Parmi ses plus grands donateurs figurent des noms connus comme Microsoft, Lockheed Martin Corporation, la Fondation Charles Koch, Boeing et Emergent BioSolutions. En 2004, Lilly Endowment est retournée à Washington D.C., annonçant qu’elle allait « revenir à ses racines de sécurité nationale et de politique étrangère », la guerre contre le terrorisme étant devenue une « préoccupation nationale primordiale ».

Le PIPS et l’Hudson Institute allaient jouer un rôle central dans les efforts à venir de Kadlec pour faire de la biodéfense une priorité nationale, avec lui à la tête d’un bureau de l’ASPR considérablement élargi. Mais, il faudra encore quelques années. En attendant, il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de la législation, sans parler de l’entreprise privée.

S’appuyant sur toutes les versions précédentes de la loi originale de Kadlec, la loi de 2013 sur la réactivation de la préparation à la pandémie et à tous les dangers (PAHPRA) a établi deux autres instruments qui ont renforcé son objectif ultime. Premièrement, la stratégie et le plan de mise en œuvre (SIP) de PHEMCE ont été codifiés en loi, ce qui a officialisé les liens de la législation originale avec le bureau du budget et, deuxièmement, elle a rationalisé la facilité d’autorisation d’utilisation d’urgence (EUA) pour la FDA afin d’accélérer les approbations de médicaments.

Montrez-moi l’argent

Peu après son retour dans le secteur privé, Robert Kadlec a participé à la création d’une nouvelle société en 2012, appelée « East West Protection », qui développe et fournit « des systèmes intégrés de préparation et de réponse à tous les risques pour les communautés et les nations souveraines ». La société « conseille également les communautés et les pays sur les questions liées à la menace des armes de destruction massive et des pandémies naturelles ».

Kadlec a créé la société avec W. Craig Vanderwagen, le premier ASPR HHS après que la création du poste ait été largement orchestrée par Kadlec. L’autre co-fondateur de East West Protection était Fuad El-Hibri, le fondateur de BioPort/Emergent Biosolutions, qui venait de quitter son poste de PDG d’Emergent au début de l’année.

M. El-Hibri a de nombreuses relations d’affaires avec le Royaume d’Arabie Saoudite, où lui et son père, Ibrahim El-Hibri, avaient autrefois vendu des stocks de vaccins contre l’anthrax au gouvernement saoudien pour un prix exorbitant par dose. East West Protection a cherché à équiper le royaume d’un système de biodéfense sur mesure, mais n’a finalement pas réussi à finaliser l’accord malgré les relations d’El-Hibri. Au lieu de cela, East West Protection a vendu ses produits à une poignée d’États américains.

Kadlec a été le directeur de la société depuis sa fondation jusqu’en 2015 au moins, puis a vendu sa participation dans la société à El-Hibri. Lors de sa nomination au poste d’ASPR au sein de l’administration Trump, Kadlec a omis de révéler ses liens avec East West Protection et El-Hibri et il a depuis lors prétendu n’avoir participé qu’à la fondation de l’entreprise, malgré les preuves du contraire.

Les incursions de Robert Kadlec dans le secteur privé durant cette période ont dépassé de loin la « East West Protection ». Le cabinet de conseil de Kadlec, RPK Consulting, lui a rapporté 451 000 dollars rien qu’en 2014, où il a directement conseillé Emergent Biosolutions ainsi que d’autres sociétés pharmaceutiques comme Bavarian Nordic. Kadlec a également été consultant pour des entreprises militaires et de renseignement, telles que la société Invincea, soutenue par la DARPA, et l’entreprise Scitor, soutenue par la NSA, qui a récemment été acquise par la SAIC.

Le travail de consultant de Kadlec pour des sociétés liées au renseignement lui a valu les éloges d’espions devenus entrepreneurs, dont Steve Cash – ancien officier de la CIA et fondateur de Deck Prism, elle-même une société de conseil qui a retenu Kadlec. Cash a récemment déclaré au Washington Post que « tout le monde aime le Dr Bob [Kadlec] », ajoutant qu’il était un « trésor national ».

À la veille de la guerre biologique

Kadlec avait certainement accumulé un trésor de pouvoir grâce à des relations très intimes dans le domaine du conseil et, à présent, le terrain était prêt pour une grande poussée visant à créer un organe officiel dans les couloirs du corps législatif ; une sorte de cabinet de conseil intégré pour promouvoir les conceptions de la clique de la guerre biologique.

Cette année-là, Robert Kadlec a mis sur pied un groupe d’étude parrainé conjointement par l’Institut Hudson et une filiale de l’IPPS, le Centre interuniversitaire d’études sur le terrorisme (IUCTS), dirigé par le Dr Yonah Alexander. Le Blue Ribbon Panel de Kadlec était présidé par le sénateur Joe Lieberman et comprenait la contribution indispensable de Tom Daschle, Donna Shalala et d’autres membres du club de politique de guerre biologique.

Le groupe d’étude a publié fin 2015 un rapport intitulé « A National Blueprint for Biodefense » appelant à 33 initiatives spécifiques, telles que la création d’un « système hospitalier de biodéfense » et la mise en place d’une « collaboration militaro-civile pour la biodéfense ». En outre, le panel a recommandé que le bureau du vice-président dirige un « Conseil de coordination » de la Maison Blanche pour superviser et guider la politique de biodéfense.

Un organisme officiel appelé la Commission bipartite sur la biodéfense serait formé peu après avec tous les membres du Blue Ribbon Panel et beaucoup d’autres comme le co-président de la Commission Tom Ridge et, sans surprise, Tevi Troy et Yonah Alexander, qui sont membres d’office. À leurs côtés se trouve Lewis « Scooter » Libby, ancien chef de cabinet de Dick Cheney et premier vice-président de l’Institut Hudson, qui se trouve être également le sponsor financier de la Commission.

Dans les remerciements, le rapport 2015 du panel comprend un hommage à Robert Kadlec, à qui ils attribuent le mérite de cette réalisation, qui n’existe que « grâce à la clairvoyance, à la tolérance et à l’optimisme perpétuel du Dr Robert Kadlec. Bob a compris qu’autant de progrès ont été réalisés dans l’effort national de prévention et de préparation aux menaces biologiques, mais qu’ils ne sont pas encore suffisants. Il savait qu’avec la bonne impulsion, nous pourrions faire beaucoup plus, et il a envisagé ce groupe comme un moyen d’atteindre cet objectif. Nous sommes heureux qu’il l’ait fait ».

Kadlec a monté cette dernière offensive alors qu’il était directeur adjoint de l’état-major de la commission du Sénat sur le renseignement du sénateur Richard Burr, un poste qu’il occupera jusqu’à la veille de l’élection de Donald Trump en 2016. Trump devait alors le désigner au poste d’ASPR et Kadlec serait confirmé au début du mois d’août de l’année suivante.

Il ne restait qu’une pièce du puzzle, mais il ne faudra pas longtemps avant que Robert Kadlec ne devienne le capo di tutti capi avec un subtil changement qui sera introduit dans l’ASPR de 2018 :

Titre III – Sec 301

1) DÉLÉGATION À L’ASPR – Le paragraphe (a)(1) de l’article 319F-2 de la loi sur le service de santé publique (42 U.S.C. 247d-6b) est modifié par la suppression de  » en collaboration avec le directeur des Centers for Disease Control and Prevention  » et l’insertion de  » agissant par l’intermédiaire du secrétaire adjoint à la préparation et à l’intervention « .

Remettez tout en question, tirez vos propres conclusions.

Whitney Webb & Raul Diego

Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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