Un texte de Mgr. Thomas Dowd, évêque auxiliaire de Montréal.
Je pense mieux quand j’écris, et la mort récente de mon frère cadet Chris a suscité plusieurs pensées. Sa vie était pleine de sens… Et sa mort aussi. J’ai écrit ce texte pour partager quelques réflexions à propos de ce sens.
Pour ceux qui ne connaissent pas le fond de l’histoire, on a diagnostiqué à Chris, il y a trois ans, une sclérose latérale amyotrophique (SLA). Cette maladie entraine la mort des neurones moteurs du système nerveux, provoquant graduellement une paralysie généralisée. La SLA est 100 % fatale. On ignorait combien d’années Chris pouvait vivre quand il a eu son diagnostic. Finalement, il a vécu presque trois ans.
Dès le début, Chris avait décidé qu’il voulait voir du bien sortir de cette maladie. Il s’est donc inscrit dans toutes les recherches médicales possibles. Il avait aussi décidé que même si la SLA provoquait sa mort, elle ne définirait pas sa vie. Même quand ses jambes ont commençé à ne plus être capables de le supporter, il a voyagé en Allemagne pour y visiter notre famille.
Quand ses doigts et sa voix ont cessé de fonctionner, il communiquait par son ordinateur et un appareil qui lui permettait d’écrire avec ses yeux. Quand son souffle a commencé à manquer, il continuait à donner un signe de tête, de partager un sourire et de parler avec ses sourcils.
Une vie pleine de sens
Je me souviens d’une conversation avec ma sœur Miriam il y a quelques mois. J’étais étonné de voir comment notre frère vivait avec tellement de courage. Elle m’a répondu ceci: « Chris a plein de raisons de vivre ».
Il faut comprendre qu’à cette époque, notre frère était pris dans un fauteuil roulant et nourri par un tube. Pourtant, il avait effectivement plein de raisons de vivre : sa plus grande joie était les autres, surtout sa famille et ses amis. Il vivait pour eux.
Mais Chris était réaliste. Il savait que la mort était inévitable. Nous le savons tous, bien sûr, mais c’est toute autre chose quand on peut en nommer la cause et le moment approximatif.
Peu après son diagnostic, Chris a communiqué qu’il n’avait aucune intention de demander l’euthanasie, qui est une option offerte par la société, mais rejetée par notre foi catholique.
Habituellement, les gens choisissent l’euthanasie pour être épargnés de la souffrance associée à une maladie grave. La SLA était d’ailleurs l’une des maladies dont on parlait quand le Canada était en train de réfléchir sur la légalisation de cette possibilité.
Dans le cas de mon frère, cette souffrance était plus théorique au début, mais, avec le temps, elle est devenue de plus en plus réelle. Je suis fier du courage de mon frère qui a persévéré dans son intention initiale, mais je vois maintenant quel en était le prix.
Il ne s’agit pas de le célébrer avec triomphalisme, mais d’avoir compassion pour ceux qui font un choix cohérent avec les principes d’éthique catholique — et pour ceux qui, face à une souffrance qu’ils trouvent dénuée de sens, choisissent autrement.
Petite leçon d’éthique
La maladie affectait graduellement la respiration de Chris : la faiblesse de son diaphragme faisait qu’il avait enfin besoin d’un appareil respiratoire pour dormir. Plus tard, il en avait besoin tout le temps. Quand il toussait, le manque de force signifiait que ses poumons commenceraient éventuellement à ne plus rejeter les déchets.
Le pauvre Chris avait des quintes de toux qui duraient des heures et des heures. On pouvait les calmer avec de la morphine, mais elle ne réglait pas le problème sous-jacent.
Enfin, Chris avait besoin d’une pompe à morphine qui lui administrait une dose assez régulière. Elle lui permettait de se reposer, mais le rendait plutôt somnolent. Mon expérience comme aumônier dans un centre de soins palliatifs m’avait appris que la morphine a aussi des effets secondaires qui peuvent abréger la vie.
On peut se demander si cette pratique représente une forme d’euthanasie, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit du principe du double effet, selon l’éthique catholique, qui veut dire qu’on peut poser une action qui est moralement bonne (ou au moins moralement neutre) ayant un effet secondaire négatif si notre intention est uniquement pour la partie bonne de l’action et qu’elle surpasse le côté négatif.
Dans le cas de Chris, l’action était l’administration d’un sédatif (la morphine). L’avantage était la réduction de la souffrance et le résultat négatif était une réduction dans son espérance de vie — mais seulement par quelques jours, ou même quelques heures. Donc le bien surpassait le mal et, bien sûr, notre intention était de diminuer la souffrance et non pas d’accélérer la mort.
Du médical au spirituel
Le déclin de Chris au cours des jours suivants était évident. Sa respiration était moins profonde et son cœur battait plus rapidement. Il était de moins en moins lucide et on pouvait voir sur son visage qu’il luttait pour son souffle, même avec l’appareil respiratoire. Le jour de sa mort, sa fréquence cardiaque était tellement élevée qu’il était en danger de faire un infarctus. Le moment était arrivé de dire au revoir.
Je me rappelle, lorsque j’étais aumônier d’hôpital, je suis entré dans une chambre au moment où un médecin essayait d’expliquer à une femme la situation critique de son mari. Je l’ai entendu dire : « Je regrette, mais nous ne pouvons rien faire de plus ». Il m’a regardé et s’est ensuite tourné vers elle à nouveau en disant : « C’est maintenant son tour ». La famille et moi faisions maintenant face à la même chose : un passage des soins médicaux aux soins spirituels de mon frère.
Chris a toujours voulu rester à la maison et il y est resté durant toute sa maladie. La famille se réunissait donc chez lui : sa femme et ses trois filles avec notre mère, notre sœur et moi-même. Deux amis des filles étaient aussi présents pour offrir leur soutien.
Nous avons commencé par donner l’opportunité à chacun d’avoir un moment individuel avec Chris. Il n’y avait pas de formule précise : chaque personne pouvait dire ce qu’elle voulait dire ou pouvait tout simplement être présente avec lui. On pouvait y aller individuellement ou accompagné par un autre. Il n’y avait pas d’ordre particulier : on y allait quand on se sentait prêt.
Ce processus très naturel a pris à peu près une heure.
Prière et pardon
Entre temps, les médecins sont arrivés et l’infirmière a préparé des doses supplémentaires de sédatif pour que Chris soit confortable. Ensuite, nous nous sommes réunis pour un temps de prière. J’ai donné l’onction des malades à Chris et j’ai prié le Pardon Apostolique.
Pour ceux qui sont moins familiers avec ces rituels, ils existent pour fortifier l’âme de la personne malade et pour enlever tout effet du péché qui demeure afin d’aider la personne à passer dans la vie éternelle en évitant le purgatoire. Les paroles du Pardon Apostolique sont particulièrement touchantes :
Par les très saints mystères de la Rédemption des hommes, que Dieu tout-puissant vous accorde la remise de toutes vos peines dans la vie présente et dans la vie future, qu’Il vous ouvre les portes du paradis et vous conduise aux joies éternelles.
Quant à moi, suivant le pouvoir que m’a concédé le Saint-Siège, je vous accorde l’indulgence plénière et je vous pardonne tous vos péchés, au nom du Père, + du Fils, et du Saint-Esprit.
Ce temps de prière a duré environ dix minutes. Après, les médecins ont enlevé le masque que Chris utilisait pour respirer. La mort était maintenant inévitable. Encore ici, des gens peuvent se demander s’il s’agit d’une forme d’euthanasie. Toutefois, selon l’approche catholique, ce ne l’était pas.
Le corps est fait pour se garder en vie selon ses capacités humaines naturelles. La technologie peut augmenter ses capacités, mais si elle est retirée, c’est la nature qui suit son cours. Malgré son opposition à l’euthanasie, Chris était d’accord avec cette approche. Il comprenait la différence.
Frère très cher
J’ai expliqué à ma famille que les premières prières étaient pour le renforcer, comme malade, et le préparer à son voyage ultime. Nous étions maintenant dans un espace sacré partagé.
J’ai ensuite passé aux prières connues sous le nom de « recommandation des morts » pour accompagner le mourant dans cette dernière étape de sa vie. Il s’agit de passages bibliques présentés de manière poétique avec quelques autres prières. J’ai lu les mots à haute voix, mais je dois admettre que j’ai hésité quand je suis arrivé à cette prière :
Frère très cher,
je te recommande à Dieu tout-puissant,
je te confie à celui dont tu es la créature,
afin que tu retournes à ton créateur,
lui qui t’a formé du limon de la terre.
À l’heure où tu quitteras cette vie,
que la Vierge Marie, les Anges et tous les Saints
viennent au-devant de toi.
Que Jésus Christ te délivre,
lui qui a bien voulu mourir en croix pour toi.
Que Jésus Christ, le Fils du Dieu vivant,
t’accorde le bonheur sans fin du Paradis.
Que ce vrai Pasteur te reconnaisse
comme une de ses brebis.
Qu’il te pardonne tous tes péchés
et te place parmi ses élus.
Puisses-tu voir ainsi face à face ton Rédempteur
et trouver dans la contemplation de Dieu
la plénitude du bonheur
pour les siècles des siècles.
C’était les premières paroles, « Frère très cher, je te recommande à Dieu » qui m’ont fait hésiter. Les prières catholiques utilisent souvent l’expression « frères et sœurs », mais, dans ce cas, c’était mon vrai frère. J’étais pris par surprise et j’avais besoin de prendre une pause. Ma nièce Maya a pris la relève en récitant un psaume. Et pourquoi pas ? Ces prières sont ouvertes à tous.
Un temple de l’Esprit saint
La recommandation des morts a continué pendant 15 à 20 minutes, comme une berceuse pour l’aider à s’endormir pour l’éternité.
La Bible, en effet, dit que la mort d’un chrétien est comme un sommeil et nous pouvions le constater : Chris a continué à respirer doucement pendant quelques minutes après que la machine ait été enlevée. Tranquillement, sa respiration a ralenti, elle est même devenue imperceptible et, peu après, le médecin a constaté que son cœur ne battait plus.
Il est mort vers 17 h 15. Ou, plutôt, il est entré à 17h15 dans la vie éternelle.
Nous avons commencé à appeler nos proches pour leur faire savoir la nouvelle et nous avons continué à veiller avec le corps de Chris jusqu’à l’arrivée du personnel funéraire. J’ai fait un signe de croix sur son front : c’était ma manière d’honorer son corps, qui a été un temple de l’Esprit Saint pendant 48 ans.
Peinés, mais consolés
Nous avons bien sûr d’autres choses à vivre: recevoir des gens au salon funéraire et à l’église pour la messe des défunts et se réunir au cimetière où Chris sera enterré à côté de notre père. Nous savons que beaucoup de gens prient pour nous et qu’ils offrent des messes pour le repos de son âme. Mais je m’émerveille des choses que nous avons déjà reçues.
« Chris avait plein de raisons de vivre », disait ma soeur. Sa mort aussi était pleine de sens. Quelques jours plus tard, je regarde ma famille et je constate que, malgré notre peine, nous sommes consolés.
Je partage cette histoire parce que je sais que ce n’est pas tout le monde qui a la chance de vivre et de mourir de cette manière. Nous avons eu la chance d’accompagner Chris et de lui dire au revoir dans sa dernière épreuve. Oui, nous sommes bénis. Merci, Seigneur, pour cette bénédiction, même si elle est dure. Prends soin de Chris et de nous tous. Que nous puissions nous retrouver dans ton royaume !
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Ce texte est d’abord paru en anglais sous le titre The story of my brother’s death, il a été traduit par l’auteur et bonifié par James Langlois.
Source: Lire l'article complet de Le Verbe