par Vincent Boqueho.
Malgré leur diversité, les êtres humains vivant sur les terres qui s’étendent du Maroc jusqu’à l’Irak parlent des langues qui ont des liens très anciens. Au point qu’elles ont été regroupées sous l’appellation « afro-asiatiques ».
Cette unité étendue sur un si vaste territoire interpelle : la situation actuelle est-elle le résultat de vastes migrations survenues à une époque ancienne ? Où se trouve le berceau originel de tous ces peuples et à quelle époque faut-il remonter ? Y a-t-il eu un mouvement de l’Afrique vers le Proche-Orient ou bien l’inverse ? La réponse à ces questions n’est pas tranchée, mais les indices sont nombreux et permettent d’émettre quelques hypothèses.
Les langues afro-asiatiques se subdivisent en 5 sous-groupe. D’abord celui des langues sémites. Si elles occupent aujourd’hui l’essentiel de cet immense territoire, cette situation est récente puisqu’il date de l’expansion des Arabes musulmans auparavant cantonnés dans la péninsule arabique et le Proche-Orient.
Le second groupe regroupe les Égyptiens anciens dont la langue s’est transmise jusqu’à nos jours sous la forme du copte (langue liturgique).
Le troisième groupe inclut les Berbères et les Touaregs, présents sur un territoires allant de l’Afrique du nord jusqu’au Nil et de la Méditerranée jusqu’aux confins du Sahara.
Le quatrième sous-groupe de langues, appelées « tchadiques », se situe plus au Sud dans le Sahel, tandis que le cinquième, les « couchitiques », occupe la majeure partie de la corne de l’Afrique.
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L’apport des linguistes
On peut déjà mettre en avant une règle simple : en général, plus les langues se ressemblent, plus leur séparation est récente. Ainsi, on parle encore des variantes de l’arabe depuis le Maroc jusqu’à l’Irak. Dans quelques centaines d’années, ces dialectes se transformeront peut-être en des « langues arabiques » qui appartiendront au groupe linguistique de l’arabe. Il en fut ainsi des langues latines qui ont peu à peu dérivé du latin.
Les linguistes font remonter le point de séparation des langues sémitiques beaucoup plus loin, à au moins 6000 ans (note), ce qui correspond à l’optimum climatique chaud et humide. Quant au point de séparation du groupe afro-asiatique, il est encore plus ancien mais très incertain : entre 13000 et 18000 ans selon les linguistes, ce qui correspondrait à la fin de l’époque glaciaire (note).
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L’arbre des langues sémitiques
Que s’est-il passé à la fin de l’époque glaciaire ? Pour répondre à cette question, les linguistes ont su dégager les points de divergence successifs pour établir l’ordre des séparations. L’arbre des langues sémitiques donne des informations précieuses sur l’expansion géographique des langues sémitiques.
Tout d’abord, leur point de départ semble être situé plutôt au nord, au niveau du Croissant Fertile (sémitique occidental, éblaïte, akkadien). D’autre part, la plupart des langues ultérieures dérivent du sémitique occidental situé sur la branche méditerranéenne de ce Croissant Fertile.
On devine donc une diffusion en deux temps : la première a englobé l’ensemble du Croissant Fertile (à l’exception notable du pays sumérien), la deuxième est partie de la côte levantine pour gagner toute la péninsule arabique jusqu’à son extrémité méridionale. De là, elle a franchi la mer Rouge pour gagner les plateaux éthiopiens, profitant des liens économiques et culturels étroits de part et d’autre de la Mer Rouge.
Il serait utile de disposer d’un arbre similaire couvrant l’ensemble du groupe afro-asiatique, ce qui permettrait de remonter beaucoup plus haut dans le temps. Hélas les liens entre les différents groupes afro-asiatiques sont très ténus, ce qui rend la tâche ardue. Certains arbres ont été proposés, mais ils ne remportent pas l’unanimité. La plupart proposent une apparition ancienne des langues couchitiques, tchadiques, et de l’égyptien, suivie d’une naissance plus tardive des langues sémitiques et berbères (note).
Le proto-sémitique n’apparaît donc pas comme un bon candidat au poste de précurseur, ce qui laisse présager une migration de l’Afrique vers le Proche-Orient plutôt que dans le sens inverse. Cela peut sembler étonnant compte tenu de l’extrême vigueur du Croissant Fertile ; mais il ne faut pas oublier que les langues afro-asiatiques ont divergé dès la fin de l’époque glaciaire, donc avant la révolution néolithique.
En d’autres termes, la diffusion afro-asiatique serait la dernière des nombreuses « sorties d’Afrique » réalisées au Paléolithique, avant que le Proche-Orient ne prenne le relais en tant que nouveau pôle de dynamisme. Seule l’expansion des langues sémitiques, plus tardive, résulterait de la vigueur du Croissant Fertile.
Située plus ou moins à la charnière des groupes afro-asiatiques, l’Égypte semble être un point d’origine tout désigné. Il ne faut pas pour autant se laisser abuser par l’éclat ultérieur de la civilisation des pharaons : nous parlons d’une époque antérieure à l’introduction de l’agriculture, lorsque la densité de population était encore faible.
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