Le seul événement marquant du sommet G5 Sahel de Nouakchott a été la participation de Guiseppe Conté et Pedro Sanchez ainsi que celle d’Angela Merkel. Pour une fois, le Sahel a mis l’UE au diapason. Pour le reste, ce fut une simple mise à jour des décisions prises à Pau en janvier dernier.
Malgré la frilosité des présidents du G5 Sahel qui auraient préféré une visioconférence pour cause de pandémie, Emmanuel Macron souhaitait que ce sommet ait lieu en présentiel. Ce premier déplacement à l’étranger en dehors du continent européen depuis le coronavirus, ce mardi 30 juin, lui a permis de sortir de deux séquences douloureuses pour son gouvernement et sa majorité : la gestion de la crise sanitaire et les élections municipales. Lors de sa première déclaration devant la presse à Nouakchott, le Président français a réitéré les propos optimistes tenus le 11 juin dernier : « Nous avons, ces six derniers mois, connu de vrais succès. » Mais après tout, lorsqu’un État est engagé dans un conflit, il est de bonne guerre d’affirmer qu’il le gagne…
Agenda européen
Dans cette même déclaration, il n’a ni masqué son contentement quant à la participation des trois Européens Guiseppe Conté, Pedro Sanchez et Angela Merkel, ni manqué de rappeler que c’est la volonté qu’il porte depuis un peu plus de trois ans. « Quand la France s’engage, c’est l’Europe qui s’engage avec elle », a-t-il formulé, ajoutant : « C’est une volonté d’européaniser la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. »
Sur ce dossier, Emmanuel Macron bénéficie d’un très bon alignement des planètes. L’Allemagne vient de prendre la présidence tournante de la Commission européenne et ne veut apparaître en retrait ni sur le Sahel ni sur les questions de sécurité en général. En outre, la chancelière –profondément agacée par les décisions, sans préavis, de l’allié américain de transférer ses troupes stationnées en Allemagne vers la Pologne, et par les nouvelles sanctions des États-Unis concernant le gazoduc North Stream 2– semble commencer à trouver ne serait-ce qu’un peu de mérite à l’idée (toujours défendue par la France) de pouvoir opérer sérieusement entre États de l’Union européenne (UE) sans la participation de l’OTAN. Lors d’un entretien au groupe de réflexion du Conseil de l’Atlantique, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a déclaré que l’UE pourrait soutenir de nouvelles initiatives de lutte contre le terrorisme en Afrique soi-disant pour « diminuer le besoin d’une présence américaine », ce qui en dit long sur la dépendance du monde politique allemand à la drogue douce du parapluie militaire américain !
Après avoir croisé le fer avec la France sur la question libyenne, Rome et Paris ont trouvé un terrain d’entente. L’Italie, déjà présente au Sahel par le biais d’un accord bilatéral avec le Niger et des programmes européens, semble aussi avoir envie de prendre plus de place dans le dispositif. Pour ce pays, la région est stratégique en raison du contrôle des flux migratoires et de sa proximité avec la Libye, où l’ancienne puissance coloniale a encore beaucoup d’intérêts. Cela explique la présence de Guiseppe Conté à Nouakchott. Par ailleurs, il ne déplaît pas au président du Conseil des ministres italien de faire plaisir à Emmanuel Macron puisqu’il aura besoin du soutien de la France lors des négociations sur le plan de relance de 750 milliards d’euros porté par l’exécutif européen.
Quant à la présence de Pedro Sanchez à Nouakchott, elle correspond à son agenda africain. Il joue la carte de son pays qui est très actif dans le contrôle des flux migratoires au travers de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), en Mauritanie notamment, et sait bien que ces flux sont aussi ceux du terrorisme et de la drogue. En Espagne, ce voyage a été perçu comme une tentative de peser dans cette partie de l’Afrique.
Les principaux pays européens présentent donc un front uni malgré leurs divergences. Mais si le Sahel semble mettre tout le monde d’accord, c’est seulement parce que les intérêts et les calendriers coïncident. Emmanuel Macron profite d’une conjonction d’égoïsmes nationaux pour tenter de donner corps à son rêve d’une Europe « unie et solidaire ». Cela ne signifie pas pour autant que l’Espagne et l’Allemagne s’engageront dans l’opération Takouba, ni à quel horizon, l’Italie, elle, hésite encore. La présence des Européens doit se lire aussi dans le cadre de la situation libyenne. La « syrianisation » de l’ancienne Jamahiriya crée un contexte chaotique et dangereux aux portes sud de l’Europe.
Le Sahel toujours aux Sahéliens ?
Le G5 Sahel a été créé à l’initiative de la Mauritanie en 2014, il comprenait comme aujourd’hui les cinq pays –Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad. Dès l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, la France a préempté cette organisation avec l’assentiment des chefs d’État africains qui voyaient là un moyen de faire payer leur guerre par des « partenaires » internationaux. Si les promesses de dons ont afflué, les résultats espérés sont restés lettre morte. Au passage, dans le communiqué final du sommet de Nouakchott, il est une nouvelle fois demandé que le G5 soit placé sous le chapitre VII des Nations unies. Cette supplique devient un marronnier. Elle est systématiquement reposée sur la table après chaque réunion. Cela n’a pourtant aucune chance d’aboutir, les États-Unis ayant toujours mis leur veto, il n’y a aucune raison pour que ce non ferme et définitif se transforme en un oui.
La Coalition pour le Sahel a, elle, été créée par la France en avril 2020. C’est une nouvelle structure qui élargit encore le champ de compétence du G5 dans l’espoir de recruter plus de parrains, si possible bienveillants et prêts à richement doter la mariée. Cette coalition repose sur quatre piliers : la lutte contre le terrorisme (un aspect particulier de la mission militaire du G5), le renforcement des capacités des forces armées et de sécurité du Sahel, la restauration de l’autorité des États et l’aide au développement. Avec un agenda aussi large, l’intérêt était acquis. De fait, cette nouvelle structure ressemble, pour l’instant, à une auberge espagnole, tous ceux qui veulent s’engager dans le Sahel y sont les bienvenus. La première rencontre, qui a eu lieu le 12 juin dernier, réunissait derrière les écrans de la visioconférence le G5, presque tous les pays européens, la Cedeao, les Nations unies, sans oublier l’Union africaine.
Questions : le G5 résistera-t-il à toutes ces injonctions contradictoires ? Est-il soluble dans cette coalition ? Ce qui reviendrait à dissoudre totalement cette force africaine dans un ensemble d’intérêts hétéroclites tout en internationalisant encore un peu plus ce conflit. Vu de l’Élysée, c’est une « internationalisation nécessaire de la crise ». Est-ce un non-dit pour mieux diluer sa responsabilité et faciliter son exfiltration ? Vu du Sénégal par le journaliste Yoro Dia, c’est « le confinement des souverainetés » qui survient lorsque les États « ont choisi de sous-traiter leur sécurité à la France et à l’ONU ».
Des présidences affaiblies
Lors de cette réunion, l’accent a également été mis pour organiser le redéploiement des administrations, des services publics, justice, police, dans les territoires « reconquis » par la force militaire, notamment dans les pays les plus fragiles : Mali et Burkina Faso. Ce retour de l’État sera sans aucun doute difficile, voire impossible, à mettre en œuvre dans la situation sécuritaire actuelle avec en prime des Présidents très affaiblis. En outre, les campagnes électorales pour les présidentielles qui s’ouvrent au Burkina Faso et au Niger risquent fort de les déstabiliser encore un peu plus car les promesses électorales et les surenchères vont pleuvoir.
Propos optimistes, discours volontaristes, méthode Coué ne suffisent pas toujours à gagner les guerres, le Sahel n’est pas sorti de l’auberge… espagnole !
Leslie Varenne
Cette note d’analyse a été publiée dans le journal en ligne Sputnik
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca