Le Conseil d’Etat turc a révoqué le statut de musée de l’ancienne mosquée d’Hagia Sophia, permettant ainsi au président turc Tayep Reçep Erdogan de décider de sa reconversion en mosquée 86 ans après la décision de Mustafa Kemal Atatürk de la transformer en musée et le léguer à l’humanité.
La mosquée Sainte-Sophie est devenue ainsi la 3272ème mosquée d’Istanbul, l’ancienne Constantinople.
Cette décision conforte la stratégie secrète d’Erdogan et renforce sa popularité aussi bien au sein de son parti qu’au sein de certaines classes de la société turque qui rêvent désormais du retour de l’âge d’or impérial.
La montée en puissance turque est passée presque inaperçue en dépit d’un profond changement culturel initié par une nostalgie relative à l’époque où les janissaires de l’empire Osmanli out Ottoman constituaient la première et la plus redoutable armée professionnelle au monde au 15ème siècle.
Ce mouvement puissant imprègne désormais la politique étrangère de la Turquie mais également la production culturelle turque.
Le nationalisme turc est devenu, en moins d’une décennie, un nationalisme néo-ottoman sans complexes où l’esprit du Ghazi, le Conquérant de la guerre sainte, est plus que jamais sublimé dans l’imaginaire collectif et la vision stratégique de la Turquie d’Erdogan.
Cette tendance lourde est un élément à ne pas sous-estimer dans l’élaboration de la politique étrangère de la Turquie.
La Turquie est l’un des pays membres les plus importants de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et un allié majeur des États-Unis. Les forces terrestres turques représentent a elles seules le véritable noyau dur des forces terrestres de l’OTAN.
La Turquie joue un rôle stratégique de plus en plus important au Levant (Syrie), au Moyen-Orient (Iraq), en péninsule arabique (alliance stratégique avec le Qatar), en Méditerranée (Chypre), en Afrique du Nord (Libye) et dans la Corne de l’Afrique (Djibouti et Somalie).
La Turquie est en train d’édifier une grande base militaire au Qatar (+5000 hommes), affermir ses positions en Tripolitaine et au centre de la Libye, installer des postes militaires avancés en Irak et renforcer son protectorat sur la province syrienne d’Idleb. Ankara entend également s’accaparer des bassins est-méditerranéens riches en Gaz et mettre à jour ses plans d’invasion de la Grèce (depuis 1953). Elle se heurte dans sa volonté de puissance à la Russie, la France, les Emirats Arabes Unis et l’Égypte.
Indubitablement, la Turquie a utilisé l’OTAN moins comme un outil pour moderniser ses capacités défensives que pour avancer un agenda typiquement turc dont les réminiscences remontent à la symbolique du bélier noir et du loup gris. Le président Erdogan n’a plus besoin de l’Union européenne du moment qu’il soumet ses principaux membres à un chantage assez rentable en termes financiers et de ce fait, la Turquie n’est plus du tout intéressée de joindre un Union qu’elle considère en état de mort clinique. La poursuite d’une stratégie néo-ottomane au sein de l’Otan explique le mouvement en spirale des postures turques à l’égard de son environnement géopolitique immédiat et intermédiaire. Erdogan joue avec ses alliés et ses ennemis sans se soucier de cohérence puisqu’il poursuit un agenda propre. D’où son rapprochement et sa défiance à la fois de la Russie de Vladimir Poutine ou encore son attitude ambivalente a l’égard de l’Iran. Au final, la seule voie droite d’Erdogan est son très profond mépris des principaux pays de l’Union européenne et plus particulièrement la France, les Pays-Bas et le Danemark, pourtant ses alliés au sein de l’OTAN.
La Turquie poursuit son objectif de devenir l’une des principales puissances de la seconde moitié du 21ème siècle et n’hésitera devant aucun expédient pour y parvenir. Son expérience de principal allié des États-Unis dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak lui a conféré un immense potentiel qu’elle compte bien utiliser pour renforcer sa position et son influence régionales.
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