Ni le réchauffement climatique, ni la hausse des droits de scolarité, ni l’invasion de l’Irak par les États-Unis ne les avait poussées à manifester dans la rue. Les mesures ordonnées par le gouvernement pour freiner la propagation de la COVID-19 y sont toutefois parvenues.
Nicole, Geneviève et Guylaine ont pris part à une manifestation d’« antimasques » et « d’antivaccins » mardi dernier devant le théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme, où le premier ministre François Legault avait donné rendez-vous à des élus de la région des Laurentides.
Les trois femmes ont épousé le point de vue de conspirationnistes durant la période de confinement, et ce, après avoir lu des articles et visionné des vidéos sur la « vérité » du nouveau coronavirus.
« J’ai lu toutes sortes de choses. J’avais juste ça à faire durant le confinement, chez moi », explique Nicole, dans un échange avec Le Devoir. Des fleurdelisés, la plupart à l’envers, flottent derrière elle.
La résidente des Basses-Laurentides précise avoir « donné le bénéfice du doute » au directeur national de santé publique, Horacio Arruda, durant « les deux premières semaines » de la pandémie. « Je lavais ma livre de beurre tellement j’avais peur », relate-t-elle.
Puis, un message mis en ligne sur le réseau social Facebook par sa professeure de Batchata a ébranlé ses certitudes. « C’est elle qui dénonçait des choses sur les vaccins, la distanciation [et décrivait] ce qui se faisait ailleurs. Ces posts ont allumé des lumières chez moi. J’ai dit : “Ah, ouin ! Ah, oui !” »
J’ai lu toutes sortes de choses. J’avais juste ça à faire durant le confinement, chez moi.
Nicole a vadrouillé sur le Web, cliquant sur les hyperliens sur son chemin. Elle a parcouru les sites Web de médias traditionnels comme Radio-Canada et TVA avant de s’arrêter sur des vidéos d’Alexis Cossette-Trudel — dont la chaîne YouTube est suivie par plus de 85 000 personnes — notamment. « J’ai regardé partout. À l’université, on fait la thèse, l’antithèse et la synthèse : j’ai fait ça, Monsieur ! » souligne-t-elle sous un soleil de plomb.
Elle reproche aujourd’hui aux décideurs politiques de « détrui[re] la vie sociale » en interdisant « tout ce qui est beau dans la vie : rire, s’amuser, danser, se coller, se câliner ».
Nicole est aujourd’hui persuadée qu’ils préparent le terrain à l’administration d’un vaccin servant non pas à immuniser la population contre la « vulgaire grippe » de la COVID-19 « fabriquée en laboratoire », mais à insérer une puce sous la peau de chaque individu, puce contrôlée par le fondateur de Microsoft, Bill Gates, au moyen des tours cellulaires 5G.
Lorsqu’elle en a l’occasion, elle manifeste avec d’autres « antimasques » et « antivaccins » qu’elle a rencontrés sur les réseaux sociaux. « Je n’ai jamais fait de politique avant. Je vous le jure ! Jamais je n’ai participé à des manifestations [dans le passé]. Jamais. Je ne suis pas une fille comme ça », spécifie Nicole, tout en se décrivant comme « bio, grano, naturelle ».
« Savez-vous que, dans les rituels de magie noire, il y a trois étapes : premièrement, on lave la victime — Purell, Purell tout le temps —, ensuite, on masque la victime — masque obligatoire partout —, ensuite, on exécute la victime. Ici, c’est la même chose », ajoute-t-elle.
« C’est prouvé », acquiesce Guylaine, qui se tient à ses côtés. Quelles sont vos sources d’information ? « Tout Internet. Partout ! » répond-elle.
La femme travaillait, s’entraînait, dormait et ainsi de suite jusqu’à ce que la fibromyalgie la terrasse en 2012. « Depuis le début de mon arrêt de travail, je me suis mise à regarder, à étudier, à aller voir du monde, plein de choses, et à suivre mon intuition. Ça fait huit ans que je suis dans la vérité, que je sais qu’il y a quelque chose de pas correct qui se passe », mentionne-t-elle, y voyant « un bon côté » de la maladie.
Guylaine milite aujourd’hui contre toute obligation de distanciation, de masque, de vaccin, demandant le respect de son « libre arbitre ».
En évoquant la possibilité d’imiter la mairesse de Montréal, Valérie Plante, en obligeant le port du masque dans les lieux publics fermés, le premier ministre François Legault a, malgré lui, échauffé les esprits des « antimasques » et « antivaccins » et leurs alliés conspirationnistes.
« Après Montréal, le masque bientôt obligatoire partout au Québec. La tyrannie techno-sanitaire s’installe tranquillement avec l’assentiment des moutons, qui craignent la grippe », s’est indigné Alexis Cossette-Trudel. La figure de proue du mouvement conspirationniste québécois trouve « raisonnable de penser que “porter le masque” va nous mener à “prenez le vaccin et acceptez la puce ID numérique” ».
Geneviève a rejoint le mouvement lors de la « mise sur pause » de l’activité économique du Québec, à la mi-mars, et l’imposition de mesures strictes de distanciation sociale. Elle manifeste aujourd’hui son désarroi en raison du fait « qu’on [la] brime dans [ses] droits et libertés ».
L’enseignante au secondaire reproche aux élus de chercher à imposer le masque et le vaccin après avoir obligé le confinement. « Ça a causé beaucoup de détresse chez mes élèves », signale-t-elle.
La confiance de Geneviève à l’égard de l’État québécois est au plus bas. Elle l’accuse d’ailleurs de surestimer le nombre de décès liés à la COVID-19. Elle soumet comme preuve le cas de sa grand-tante qui est décédée au printemps officiellement en raison du coronavirus, et ce, même si elle avait été déclarée négative après deux tests de dépistage.
Tantôt amères, tantôt violents
Devant la porte principale du théâtre, une femme brandissait une affiche sur laquelle apparaissait la formule « J’en ai ma claque de la CAQ », juxtaposée aux inscriptions « masques », « distanciation », « Loi 61 », toutes biffées. À ses côtés, une autre frappait une casserole au moyen d’une cuillère en bois.
À la vue des caméras de télévision, un protestataire lance : « Les fake news sont icitte ! » Des voix s’élèvent derrière lui : « menteurs », « pourritures », « charognes », « traîtres ». Des protestataires leur faisaient un doigt d’honneur, tandis que d’autres formaient un V de la victoire avec leur index et leur majeur en signe d’apaisement.
Les reporters et les caméramans partis, plusieurs manifestants se plaignent que les médias traditionnels ne couvrent pas leurs sorties contre le gouvernement. « La liberté de presse, ça n’existe plus », a lancé une dame, tout en serrant les coudes avec des dizaines d’individus de tous âges.
Ils crient des hypothèses érigées en vérités, enrobées de formules souvent importées des États-Unis de Donald Trump.
Un homme montre un montage des responsables les plus en vue de la première vague de COVID-19 — « Dr Q. Clown » (Horacio Arruda), « Franky The Traitor » (François Legault), « Trudeau must go » (Justin Trudeau) et « Madame Don’t care » (Danielle McCann) — enfoncés dans l’eau boueuse d’un marais.
« On est intelligents. On n’est pas des cons », martèlent les protestataires.
La critique envers le gouvernement est tantôt amère, tantôt violente. En effet, plusieurs veulent voir le chef du gouvernement être mis sous écrou, ou encore envoyé à la guillotine.
François Legault entre dans le bâtiment sous les quolibets des protestataires.
Devant la presse, le premier ministre a un air sérieux. « Qu’il y ait 15 personnes qui disent “c’est pas vrai cette affaire-là de virus”, au début, on trouve cela drôle. Après, peut-être qu’on trouve cela un peu moins drôle », fait-il remarquer.