Par Scott Ritter
Source : RT, 10 juillet 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Des explosions ont secoué deux usines iraniennes impliquées dans la fabrication de centrifugeuses pour son programme nucléaire et le développement de missiles balistiques avancés. L’Iran soupçonne une cyberattaque par les États-Unis, Israël ou les deux.
Fin juin et début juillet, une série d’explosions a frappé divers endroits de l’Iran, tuant des dizaines de personnes [notamment dans un hôpital civil à Téhéran, où il faudrait plutôt parler de terrorisme que de cyberguerre s’il ne s’agit pas d’un accident] et causant d’importants dégâts. Deux de ces sites se distinguent en particulier en raison de leur importance pour la sécurité nationale de l’Iran et de leur implication dans la technologie liée aux programmes d’enrichissement nucléaire et à la production de missiles balistiques, qui ont été identifiés par les États-Unis et Israël comme représentant une menace pour la paix et la sécurité régionales et internationales.
Tôt vendredi, une série d’explosions aurait frappé la périphérie de Téhéran, ainsi que les villes de Garmdareh et Qods, avec des spéculations selon lesquelles des dépôts de missiles étaient la cible prévue des explosions.
La cause précise des deux explosions n’a pas encore été déterminée. L’une, dans un hall de production de centrifugeuses situé dans l’usine d’enrichissement de carburant de Natanz, fait toujours l’objet d’une enquête. L’autre, au complexe Hemma Missile Industries, a été liée à une explosion dans un réservoir de gaz.
L’installation de Natanz, qui aurait participé à l’assemblage de centrifugeuses avancées utilisées pour l’enrichissement du combustible nucléaire, a été lourdement endommagée, ce qui aurait retardé les efforts de plusieurs mois, voire plus. L’installation Hemmat, qui serait impliquée dans la production de missiles balistiques avancés Shahib-3, a également subi de graves dommages, mais son ampleur exacte reste inconnue.
Non-déni d’Israël
De manière typique, Israël a nié toute implication dans les explosions iraniennes, tout en indiquant qu’il était préoccupé par les activités de la République Islamique. Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a noté que « tous les incidents qui se produisent en Iran n’ont pas nécessairement quelque chose à voir avec nous ».
Gantz a ensuite ajouté un « indice » sur ce qui aurait pu se produire. « Tous ces systèmes », a-t-il dit, se référant aux activités nucléaires et de missiles de l’Iran, « sont complexes. Ils ont des contraintes de sécurité très élevées, et je ne suis pas sûr que [les Iraniens] sachent toujours comment les maintenir [lol]. »
Le ministre israélien des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, qui lui-même était autrefois chef des Forces de défense israéliennes, a été plus circonspect. « Notre politique à long terme au cours de nombreuses administrations est de ne pas permettre à l’Iran d’avoir des capacités nucléaires », a noté Ashkenazi. « Ce régime [iranien] doté de ces capacités est une menace existentielle pour Israël, et Israël ne peut pas lui permettre de s’établir à notre frontière nord. » Quant à ce qu’Israël a pu faire pour empêcher cela, il a déclaré : « Nous prenons des mesures qu’il vaut mieux ne pas révéler. » [Avigdor Lieberman a accusé le chef du Mossad d’avoir publiquement révélé l’implication d’Israël]
Une longue histoire de sabotages
Israël et les États-Unis ont tous deux une histoire de collaboration en ce qui concerne les actions secrètes conçues pour retarder les capacités nucléaires et balistiques de l’Iran. Le virus le plus connu est peut-être le virus Stuxnet, qui a frappé l’installation de Natanz à l’été 2010 et a été responsable de la destruction d’un grand nombre de centrifugeuses utilisées pour enrichir l’uranium. Moins connu, mais tout aussi efficace, voire davantage, est un programme à long terme de la CIA visant à saboter les missiles et les roquettes iraniens, y compris ceux impliqués dans le programme de lancement spatial iranien.
Le visage le plus public de ce programme est peut-être venu sous la forme d’un tweet du Président Trump en août 2019, à la suite de l’explosion d’un véhicule spatial iranien sur sa rampe de lancement lors des derniers préparatifs de décollage. « Les États-Unis d’Amérique », a tweeté Trump, « n’ont pas été impliqués dans l’accident catastrophique lors des préparatifs du lancement final du lancement de Safir SLV au site de lancement de Semnan 1 en Iran. Je souhaite à l’Iran mes meilleurs vœux et bonne chance pour déterminer ce qui s’est passé sur le site. » Ce non-déni (équivalant à un aveu à demi-mot), était grossier et transparent.
Le cœur de l’effort de sabotage de la CIA réside dans sa capacité à infiltrer les chaînes d’approvisionnement illicites du marché noir utilisées par l’Iran pour soutenir ses programmes, et à infiltrer les matériaux défectueux qui, une fois installés, entraîneraient une défaillance catastrophique. L’allusion de Gantz à la complexité des efforts nucléaires et balistiques de l’Iran, et aux problèmes de « sécurité » impliqués (et à l’incapacité présumée de l’Iran à maintenir ces systèmes), fournit des preuves circonstancielles solides qu’Israël, très probablement en collaboration avec la CIA, aurait pu accéder aux fournisseurs impliqués dans la construction des sites de Natanz et Hemmat. Cela impliquait probablement la distribution de gaz naturel à des fins industrielles. Des capteurs et / ou vannes défectueux peuvent entraîner une défaillance catastrophique et entraîner des événements massifs et hautement destructeurs.
Le silence de l’Iran comme preuve ?
La position officielle iranienne est que bien qu’il ait identifié la cause précise des explosions en question, il ne divulgue pas ces informations pour des raisons de sécurité nationale. Ce retard aurait du sens dans le cas de tout sabotage dérivé de capteurs et de vannes défectueux, auquel cas l’Iran devrait procéder à une rétro-ingénierie de ses efforts d’acquisition, identifier tous les matériaux acquis avec les composants défectueux et les retirer en toute sécurité de l’endroit où ils avaient été installés. L’Iran devra également essayer de découvrir comment et où leurs systèmes de contre-espionnage et de sécurité ont échoué, avant de mettre en œuvre de nouvelles procédures.
L’absence d’explication précise n’a cependant pas empêché les hauts responsables iraniens de spéculer sur la cause des explosions ou sur les auteurs. « Répondre aux cyberattaques fait partie de la puissance de défense du pays », a noté le chef de la défense civile iranienne, Gholamreza Jalili. « S’il est prouvé que notre pays a été ciblé par une cyberattaque, nous répondrons. » (Le porte-parole du ministère des affaires étrangères iraniennes a mis en garde contre les conclusions trop hâtives, rappelant qu’Israël était souvent présenté comme tout-puissant par des médias complaisants ; l’enquête est toujours en cours, et s’il s’avère que des agents étrangers sont impliqués, les ennemis en subiront les conséquences, a-t-il conclu.)
L’agence de presse iranienne, IRNA, a fait allusion au potentiel d’une crise plus grande émergeant au lendemain des explosions de Natanz et Hemmat. « Jusqu’à présent, l’Iran a essayé d’empêcher l’intensification des crises et la formation de conditions et de situations imprévisibles. Mais s’il s’avère que des pays hostiles violent les lignes rouges de la République islamique d’Iran, en particulier le régime sioniste et les États-Unis, cela signifiera que la stratégie… devrait être révisée. »
Chaos potentiel
Il est peu probable que l’Iran cherche à répondre à toute cyberattaque destructrice de manière disproportionnée ; ne vous attendez pas à ce que des missiles soient lancés contre Israël ou contre des bases américaines de la région. Au lieu de cela, l’Iran déploiera probablement ses propres cyber-armes offensives très capables en représailles ciblées, soit contre des installations en Israël et / ou aux États-Unis, soit contre des cibles régionales affiliées à l’un de ces pays. [La prétendue cyber-attaque iranienne contre le système de distribution d’eau israélien, largement reprise par la presse mainstream, est de la propagande visant à faire passer l’agression pour de la légitime défense.]
La cyberguerre est un phénomène nouveau, qui peut infliger d’importants dommages collatéraux aux infrastructures civiles à la fois dans le pays ciblé et aux tiers non directement impliqués dans le conflit en cours. S’il s’avérait qu’Israël et / ou les États-Unis avaient effectivement mené une cyberattaque destructrice contre l’Iran, il y aurait presque certainement des représailles. La fin de ce cycle de cyberguerre n’est cependant pas connue. Compte tenu des réalités complexes des opérations de cyberguerre, au cours desquelles les virus informatiques sont diffusés de manière à provoquer une cyberpandémie mondiale (c’est ce qui s’est passé avec Stuxnet), il faut se demander si les résultats obtenus à Natanz et Hemmat valaient le risque potentiel encouru. Si l’histoire est une leçon, la réponse est —et sera— un « non » retentissant.
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