Par Eric Zuesse − Le 4 juin 2020 − Source Strategic Culture Foundation
Ce sera le tout premier récit crédible, ou « historique », mais bref, de la façon dont la guerre froide a réellement commencé, et des raisons pour lesquelles elle a commencé et continue aujourd’hui (même si elle a commencé sur la base de mensonges qui ont été découverts depuis longtemps mais dont la révélation reste cachée au public, pour des raisons qui deviendront évidentes, afin que « l’histoire » puisse être préservée, et que le public reste ainsi trompé).
Avant-propos
Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, il convient tout d’abord de résumer ce qu’a été la Seconde Guerre mondiale (qui a précédée la Guerre froide) en termes géostratégiques :
Les principaux décideurs qui ont coordonné leurs efforts pour vaincre les trois puissances fascistes qu’étaient l’Allemagne, le Japon et l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale étaient l’Américain Franklin Delano Roosevelt (FDR), le Britannique Winston Churchill et le Soviétique Joseph Staline. Si l’un de ces trois hommes abandonnait le camp allié, ou, comme FDR l’avait appelé en anticipation « les Nations unies », l’Axe remportait la guerre, puis une guerre entre les trois dirigeants de l’Axe – Hitler, Hirohito et Mussolini – s’ensuivrait, dans laquelle Hitler était généralement considéré comme le plus susceptible d’atteindre son « Reich de mille ans » : le contrôle mondial. Si c’était le cas, le résultat aurait été une planète contrôlée par les nazis. Mais chacun des trois dirigeants alliés avait des opinions et des priorités politiques différentes.
Franklin Delano Roosevelt était un anti-impérialiste convaincu : il pensait que la Seconde Guerre mondiale avait été déclenchée par les puissances fascistes, ou « Axe », parce que chacune d’elles voulait augmenter la superficie de la planète qu’elle contrôlait.
Winston Churchill était un impérialiste intense : il croyait, exactement comme le fondateur de l’impérialisme britannique moderne, Cecil Rhodes, à partir de 1877, que plus le pourcentage de la surface de la planète qui serait contrôlée par la « race » anglaise est grand, mieux c’est. La seule différence entre l’impérialisme rhodésien et l’impérialisme britannique antérieur est que le plan de Rhodes était basé sur la croyance géostratégique que la seule façon pour la Grande-Bretagne de poursuivre et d’étendre son empire serait de reprendre les États-Unis par la subversion (comme il l’avait prévu). Ainsi les dirigeants de l’Amérique seraient portés à croire que, dans la « relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni que Rhodes avait en tête, la Grande-Bretagne suivrait le chemin de l’Amérique, alors qu’en réalité, ces dirigeants américains suivraient la voie de la Grande-Bretagne et ne seraient pas conscients de la suprématie sous-jacente du Royaume-Uni. (Rhodes se faisait le champion d’un régime aristocratique subversif. La subversion est à la base de son plan).
Joseph Staline était un anti-impérialiste intense comme l’était FDR, surtout parce que le principal concurrent de Staline pour la direction de l’Union soviétique était Léon Trotsky [né Led Davidovitch Bronstein, NdT], le partisan le plus enthousiaste d’un impérialisme soviétique, le « trotskisme ». Wikipedia contient une description précise de ce phénomène sous forme de vignettes :
Le trotskisme est la théorie du marxisme telle que préconisée par le révolutionnaire russe Léon Trotski. Trotski a été identifié comme un marxiste orthodoxe et un bolchevik-léniniste. Il a soutenu la fondation d’un parti d’avant-garde du prolétariat, l’internationalisme prolétarien et une dictature du prolétariat basée sur l’auto-émancipation de la classe ouvrière et la démocratie de masse. Les trotskistes sont critiques à l’égard du stalinisme car ils s’opposent à la théorie du socialisme de Joseph Staline dans un seul pays en faveur de la théorie de la révolution permanente de Trotski. Les trotskistes critiquent également la bureaucratie qui s’est développée en Union soviétique sous Staline.
Pour que Staline puisse soutenir l’impérialisme soviétique, il aurait dû accepter le trotskisme, ce qu’il a refusé de faire. À Yalta (février 1945), FDR et Staline sont convenus que, bien que chaque grande puissance ait le droit d’intervenir dans les affaires intérieures des autres nations de son « voisinage » dans la mesure où cela est nécessaire pour bloquer l’alliance de cette nation voisine avec une grande puissance hostile (un exemple est la crise des missiles cubains de 1962, lorsque Kennedy avait le droit d’empêcher Cuba de recevoir des missiles soviétiques), il n’existe aucun droit d’intervention dans les affaires purement intérieures ou internes d’un pays étranger : c’est-à-dire que le droit d’intervention existe UNIQUEMENT pour protéger la sécurité nationale d’une grande puissance, mais pas pour intervenir dans les affaires intérieures d’un pays voisin pour une raison autre que celle-ci. C’était le point de vue de FDR et de Staline. Ils étaient tous les deux d’accord de ne pas être d’accord avec Churchill, selon lequel une grande puissance devrait être autorisée à intervenir en dehors de son propre voisinage ou à « avoir un empire ».
(Dans la version actualisée et bien plus hypocrite de l’argument pro-impérialiste des milliardaires, comme celle de George Soros, l’argument en faveur de l’impérialisme est la « responsabilité de protéger » ou « les dirigeants d’un État souverain ont la responsabilité de protéger les citoyens de l’État ». S’ils ne le font pas, cette responsabilité est transférée à la communauté internationale », qui est alors autorisée à envahir. C’est l’argument « démocratique » pour envahir des pays étrangers que l’on veut conquérir et transformer en nation vassale. Les milliardaires du monde entier ont commencé à faire valoir cet argument au niveau international en 1994 [l’année du génocide rwandais, NdT] , car l’excuse « anticommuniste » de l’invasion venait juste de prendre fin, en 1991. Soros a formulé cet argument en 2009, après que George W. Bush ait, avec un effet désastreux, envahi l’Irak en 2003. Mais les mensonges de Bush pour « justifier » l’invasion avaient été principalement du type « sécurité nationale ». Il était conservateur, pas progressiste; ses mensonges étaient donc différents).
FDR a rejetté la dictature comme une question de politique intérieure et désapprouvait donc le communisme (parce qu’il est dictatorial à l’intérieur), mais il n’a pas eu de mal à négocier avec Staline, car cette relation ne concernait que des questions de politique internationale et jamais de politique intérieure (puisque Staline n’était pas un trotskiste).
Par conséquent, parmi les Alliés, seul Churchill – l’impérialiste britannique qui, conformément au plan de Cecil Rhodes, recherchait l’aide de l’Amérique pour conquérir d’autres impérialismes afin de « préserver » l’Empire britannique – approuvait l’impérialisme. Son but réel était finalement d’étendre cet Empire et d’utiliser la puissance américaine pour y parvenir, et sous couvert de la domination ou de « l’hégémonie » des États-Unis sur la planète entière, mais dont l’aristocratie britannique tirerait en fait les ficelles. Lorsque Churchill arriva au pouvoir au Royaume-Uni, le changement de direction représentait une victoire suprême de la branche de Rhodes du Parti Conservateur britannique, écartant les Tories d’avant Rhodes (comme Neville Chamberlain). Sous la direction du chef du Parti Travailliste, Tony Blair, à partir du 2 mai 1997, les deux principaux partis britanniques étaient rhodésiens, et (après la défaite du chef travailliste Jeremy Corbyn) ils sont toujours dans le moule de Rhodes.
L’aristocratie britannique était très divisée sur la question de savoir s’il fallait s’allier à Hitler ou plutôt à FDR et à Staline. (FDR lui-même n’a pas pu éviter d’avoir beaucoup de pro-Nazis même dans sa propre administration : par exemple, le responsable des renseignements américains Allen Dulles a secrètement déclaré fin 1942, « Nous combattons le mauvais ennemi », et le général George Patton a dit exactement la même chose à la fin de la guerre, en mai 1945. Les milliardaires américains ont énormément profité des invasions et parrainaient donc la carrière de nombreux hauts responsables politiques, (et ce même lorsque FDR était au pouvoir). Le prédécesseur immédiat de Churchill, Neville Chamberlain, représentait les aristocrates pro-Hitler d’Angleterre. Ils n’étaient pas des adeptes du plan de Rhodes. Ils étaient au contraire de purs anti-socialistes. (Ils étaient plus soucieux de protéger l’aristocratie que d’étendre leur empire). Il y avait en fait deux variétés de socialisme : l’un, dictatorial, qui était le marxisme, l’autre démocratique, qui était le principal et qui prévalait dans une grande partie de l’Europe. En revanche, il n’y avait qu’une forme dictatoriale de fascisme, car le fascisme était (et est) un capitalisme dictatorial, et toute forme de capitalisme démocratique était simplement appelée « démocratie ». Ainsi, il y avait la « social-démocratie » contre la « démocratie » contre le « fascisme » contre le « communisme ». Les puissances de l’Axe étaient toutes fascistes. (Hitler a qualifié son fascisme allemand de « national-socialisme » afin de pouvoir gagner le soutien des travailleurs, mais son « socialisme » « volkisch » était en fait très différent : pro-raciste, au lieu d’être anti-classe ou anti-aristocratique comme l’étaient presque tous les partis réellement « socialistes » en Europe).
Ces faits (y compris les conflits idéologiques internes au Royaume-Uni, et aussi à l’Union soviétique) sont fondamentaux, afin de pouvoir comprendre l’histoire mondiale récente, et les événements actuels.
Nous arrivons maintenant à la guerre froide :
FDR est mort le 12 avril 1945, et son naïf Vice-Président, Harry Truman, est devenu Président. Rapidement, Truman a été entouré par les Rhodésiens et il n’a pas compris ce qui se passait. Churchill lui a conseillé de ne pas accepter l’Union soviétique. Cependant, la personne clé qui l’a également fait est le général américain Dwight Eisenhower, qui semble avoir conclu l’affaire le 26 juillet 1945 en confirmant le point de vue de Churchill et en disant au Président que soit les États-Unis allaient conquérir l’Union soviétique, soit l’Union soviétique allait conquérir les États-Unis (en d’autres termes : Ike disait à Truman que Staline était un trotskiste, et Truman le croyait même s’il n’avait aucune idée de ce qu’était le stalinisme par rapport au trotskisme – Truman était tragiquement naïf). Bien que les scientifiques aient conseillé à Truman de ne pas bombarder le Japon, qui était de toute façon sur le point de tomber, les conseils d’Ike ont fait pencher la balance du côté de Truman, qui a décidé de bombarder le Japon pour empêcher l’Union soviétique de le conquérir, les Soviétiques étant sur le point de le faire. (Selon le plan de FDR, non seulement l’ONU aurait été beaucoup plus forte, mais Staline aurait pris le Japon, alors que tout l’hémisphère occidental plus l’Europe centrale et occidentale auraient été dans la sphère des États-Unis, et il y aurait eu des négociations à l’ONU pour internationaliser les armes nucléaires et le contrôle d’autres questions stratégiques entre l’Est et l’Ouest, afin d’empêcher, par des lois internationales claires soutenues par les mécanismes diplomatiques de l’ONU et le contrôle de toutes les forces stratégiques, tout impérialisme ou conflit militaire, entre les États-Unis et l’URSS. Les États-Unis et l’URSS auraient, dans un contexte de droit international efficace, pu exercer une certaine influence sur les relations internationales dans leur propre sphère d’influence respective. Il devait s’agir d’un monde bipolaire au sein d’un gouvernement fédéral unique, l’ONU, mais une ONU très différente de celle à laquelle Truman a participé. L’hégémonie, ou empire mondial, aurait été interdite et l’ONU aurait eu les forces militaires nécessaires pour soutenir son autorité à cet égard. Le gang international actuel n’existerait pas. Le droit international aurait été établi et appliqué au lieu d’être devenu la farce hypocrite qu’il est. Ce serait le monde de FDR, si la démocratie occidentale avait dépassé le communisme, ce qui – étant donné la théorie du travail paralysante de la valeur du marxisme – semble probable. L’économie marxiste était paralysante, mais l’abandonner signifie abandonner le marxisme).
Ici, en donnant un angle favorable (régime pro-Rhodésien, régime anti-soviétique) à la même réalité laide qui vient d’être documentée sur le Rhodésisme, est tiré du livre de Miles Copeland, retraité de la CIA, The Game of Nation : The Amorality of Power Politics, publié en 1969, introduction du chapitre 2 :
« Par un après-midi froid et pluvieux de février 1947 [21 février 1947], un an avant la création du Games Center, le premier secrétaire H. M. Sichel de l’ambassade britannique à Washington téléphona à Loy Henderson, Secrétaire d’État adjoint pour les affaires du Proche-Orient et de l’Afrique. Il avait deux messages du Ministère des Affaires Étrangères qui étaient « assez importants ». Ils étaient d’un genre qui devrait normalement être remis par l’ambassadeur britannique directement au Secrétaire d’État, George Marshall, mais comme le général Marshall avait déjà quitté le bureau pour le week-end peut-être, Sichel suggéra qu’il puisse déposer les notes, avoir une « brève » discussion à leur sujet, et accorder à M. Henderson un week-end de réflexion à leur sujet avant d’informer le Secrétaire et de rencontrer l’ambassadeur britannique lundi matin.
Sichel est arrivé alors que les employés du Département d’État, après une semaine relativement ennuyeuse, enfilaient leurs imperméables et leurs galoches pour partir en week-end. Loy Henderson, qui travaillait habituellement jusqu’à huit ou neuf heures même le vendredi, avait renvoyé toutes ses secrétaires et était seul au bureau. La scène était celle du calme absolu que les dramaturges habiles établissent souvent pour fournir le cadre psychologique d’une annonce bouleversante.
L’annonce, que M. Sichel avait faite au cours de sa « brève conversation », était certainement bouleversante. Les deux messages étaient une notification officielle de la fin de la Pax Britannica, qui avait maintenu l’ordre dans une grande partie du monde pendant plus d’un siècle. Plus précisément, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait plus se permettre les quelque 50 000 000 $ nécessaires pour soutenir la résistance des gouvernements grec et turc à l’agression communiste, soit, comme dans le premier cas, par la guérilla, soit, dans le second, par l’action militaire directe de l’Union soviétique. Soit le gouvernement des États-Unis comblait le vide, soit il ne le faisait pas – dans ce cas le vide profiterait aux Russes. M. Henderson, dont l’expérience diplomatique considérable comprenait des missions à Moscou et dans d’autres capitales de l’orbite soviétique, n’avait pas besoin d’un week-end de réflexion pour réaliser que bien davantage que la Grèce et la Turquie étaient en jeu. Le vide dont ces deux pays faisaient partie s’étendait à toute l’Europe du Sud qui n’était pas encore derrière le rideau de fer, ainsi qu’à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Avec l’annonce britannique, faite si calmement par M. Sichel, les États-Unis avaient le choix entre devenir une puissance mondiale active – une puissance mondiale « sur le terrain », comme le dira plus tard un conférencier de l’Institut du service extérieur du Département d’État – ou voir les Soviétiques devenir un élément plus menaçant de la politique mondiale que l’Allemagne nazie n’aurait jamais pu l’être ».
Puis page 38:
« il y a eu la nécessaire divergence entre l’attitude publiquement déclarée de notre gouvernement vis-à-vis des questions mondiales et les postures adoptées dans les sanctuaires du Département d’État et du Pentagone. Au début de 1946, George Kennan, au cours des dernières semaines de son affectation en tant que Chef de mission adjoint à Moscou, écrivit une lettre au Département d’État qui décrivait correctement la forme de la guerre froide à venir et qui fut immédiatement acceptée comme l’analyse définitive des intentions, des perspectives et du comportement soviétiques. Dans le même temps, M. Kennan a fait valoir avec conviction que si l’Europe devait être divisée, la responsabilité devait être attribuée aux Russes et non à nous-mêmes. Winston Churchill, dans un discours prononcé à Fulton, Missouri, a fait référence au « rideau de fer », et la présence du président Truman à ses côtés impliquait l’approbation officielle du gouvernement américain à une telle attitude. Cependant, hormis cette seule défaillance, la politique officielle consistait toujours à prétendre que « l’esprit de Yalta » guidait nos actions ».
Chapitre 1 – page 42 :
« Notre réponse officielle aux notes diplomatiques britanniques du 21 février 1947 fut la Doctrine Truman, annoncée le 12 mars, après trois semaines de travail intense au Département d’État et à la Maison Blanche. L’annonce du plan Marshall suivit peu après ; en juillet et à partir de ce moment, un flot de commentaires éditoriaux, semi-officiels et officiels (ces derniers principalement sous la forme de discours d’entrée en fonction dans les collèges prononcés par de hauts fonctionnaires) commença à traiter ouvertement de la guerre froide et de notre politique visant à « endiguer » l’expansion soviétique. »
Vous pouvez consulter ce lien à propos du plan Marshall, qui était une tactique extrêmement efficace de la guerre froide.
Et puis, il y a eu le double jeu américain au détriment de Mikhaïl Gorbatchev lorsqu’il a mis fin au communisme en 1991 et que les États-Unis ont néanmoins poursuivi secrètement la guerre froide, et des coups d’État américains après 1991, comme celui contre l’Ukraine neutre à la frontière russe en février 2014.
Un coup d’état typique pendant l’ère Truman a été le coup d’état de 1949 contre la Syrie, organisé par Miles-Copeland, dont il a parlé ici. Entre les lignes, il l’a décrit comme une opération de l’État Profond qui a mené à bien ce qui était tenu secret du Président mais qui a été tacitement approuvé par le Département d’État. Bien entendu, il n’a jamais révélé qui contrôlait réellement la CIA et le Département d’État. Mais il le savait probablement.
Et, comme on dit : « Le reste, c’est de l’histoire. » Et c’est cette « histoire » que nous avons réellement vécue et que nous vivons encore – et non le mythe que les médias « d’information » se contentent de véhiculer.
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Traduit par Michel, relu par Kira pour Le Saker Francophone
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