par Damien Astier.
APPEL AUX ÉLUS
NE VENDEZ PAS VOTRE VILLE ! À LA PLACE, ENCADREZ LES LOYERS, BÂTISSEZ DES HLM, ET LUTTEZ CONTRE LA PROPRIÉTÉ DOMINANTE !
« À l’heure où l’austérité libérale oppresse les collectivités, les contraint à vendre leur patrimoine et marchandiser leur territoire pour survivre au détriment du bonheur de leurs habitants, les nouveaux élus peuvent agir autrement. Encadrer les loyers, bâtir des HLM, mais aussi lutter contre la propriété dominante ».
Dans certaines villes, on entend parfois élus et habitants s’insurger, à juste titre, contre la cherté des logements, les immeubles vacants, ou encore contre la disparition des commerces de proximité au profit d’agences bancaires ou d’assurance. Dans d’autres villes, on les voit lutter contre les marchands de sommeil, prédateurs de quartiers en perdition, et s’escrimer à redonner une vitalité à des rez-de-chaussée désaffectés.
Ces situations résultent d’une même logique qui sévit sur la ville, ou plus exactement qui produit la ville : une économie de marché malade. Malade de la spéculation, qui amène à considérer, en zones tendues, l’immobilier comme un placement financier, un « actif » offrant du rendement, comme une action en bourse crache des dividendes… ou s’écroule. Malade aussi d’être dépendante de la santé économique de « sa demande », constituée des habitants et usagers de la ville : trop pauvres, trop précaires, et c’est le parc immobilier qui se paupérise et se dévalue.
Face à ses situations, et plus particulièrement en matière de logement, l’action des pouvoirs publics a longtemps poursuivi deux grandes orientations :
– laisser faire le marché, fiévreux ou fébrile, en s’attachant à en récupérer les retombées financières lorsqu’il est spéculatif et haussier (DMTO, taxes d’aménagement) ou à le perfuser et tenter de l’orienter dans le cas contraire (TVA réduite, investissement locatif)
– faire de la ville en dehors du marché, notamment par la construction de logements locatifs conventionnés (sociaux et intermédiaires), financés par la collectivité et dont le prix d’usage échappe à la logique marchande.
Entre ces deux pôles opposés, de récentes expériences ont (re)vu le jour, qui visent à corriger des aspects spécifiques et déviants du marché :
– l’encadrement des loyers du parc privé, véritable offensive contre la dérive spéculative délétère qui asphyxie les habitants et gentrifie sans fin les centres urbains. La mesure reste limitée actuellement par la modestie du dispositif réintroduit par la loi ELAN, qui ne concerne que les nouveaux baux d’habitation.
– le contrôle des usages, à travers les clauses d’affectations et autres clauses constructives exigées par les collectivités « propriétaires » sur leur patrimoine cédé dans le cadre d’appels à projets urbains innovants, développés de manière massive depuis la première vague des « Réinventer » initiée par la Ville de Paris. Dans cette approche, la collectivité reprend une forme de souveraineté sur son territoire en contractualisant les engagements du porteur de projet, mais ces engagements restent provisoires et limités dans le temps (quelques années) en raison de la nature des droits cédés (pleine propriété).
– l’impulsion de formes d’accession sociale à la propriété, via le montage OFS-BRS [1] qui crée un statut de propriétaire d’usage à durée limitée. Toutefois, l’exclusion de recourir au marché pour en fixer le prix, d’une part, et les conditions strictes d’éligibilité des bénéficiaires, d’autre part, en font un produit nécessitant une administration assez lourde.
Ces 3 approches partagent néanmoins un objectif commun, bien qu’abordé sous des angles différents : en finir avec la propriété dominante, abusive, c’est-à-dire purger la propriété des composantes qui peuvent en faire un danger pour ville, un obstacle à la démocratie urbaine, un péril pour les habitants comme pour les usagers.
Aucune de ces approches n’est suffisante à rétablir, seule, le droit à la ville [2] : il faut donc s’attacher à les combiner pour conserver leurs atouts tout en dépassant leurs limites.
Cela peut s’obtenir immédiatement sur la foncier public, maîtrisé par la collectivité : à coté des logements sociaux cédés aux bailleurs publics (HLM ou institutionnels) peuvent émerger des logements – et plus largement de l’immobilier – en propriété à responsabilité partagée.
✔ Une modalité : la contractualisation à travers un bail long terme [3] au sein duquel la collectivité encadre ce qu’elle souhaite voir contrôlé (destination, rendement, charges d’entretien…) ;
✔ Un principe : le partage des responsabilités, qui implique que les clauses supportées par l’acquéreur s’accompagne d’une sécurité dont la collectivité reste garante (droit de délaissement) ;
✔ Un véhicule : une foncière publique [4], associant des fonds propres ou apports en nature de partenaires publics (collectivités, Action Logement, CDC), mais restant pilotée par la(les) collectivité(s) détentrice(s) du droit des sols ;
✔ Un horizon : municipaliser le sol, pour que le territoire urbain ne devienne plus jamais une marchandise, mais reste « res publica » sur lequel la démocratie puisse s’exprimer [5].
Il ne s’agit plus d’opposer le public au privé, le locataire au propriétaire, mais de réconcilier et coresponsabiliser le citoyen « propriétaire » d’un morceau de ville (l’usager de la ville, qu’il soit habitant, commerçant, travailleur, étudiant) et l’assemblée délibérante garante de la vitalité urbaine.
Mesdames et messieurs les élus, à l’aube de votre mandat, posez-vous la question : allez-vous vendre votre ville, et abdiquer petit à petit votre souveraineté, ou préférerez-vous la confier, et en conserver in fine la maîtrise ?
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[1] Bail réel solidaire (montage plus sophistiqué que le PSLA, par sanctuarisation de la subvention publique initiale)
[2] Clin d’oeil à Henri Lefebvre
[3] Droits réels immobiliers sur le principe de l’emphytéose
[4] On en voit fleurir ici ou là, pourquoi ne pas les réunir ou les mettre en réseau ?
[5] On découvre à quel point l’espace public, parce qu’il est public, est à la fois lieu de friction sociale et d’expression de la souveraineté municipale (voies sur berges à Paris, partage modal, terrasses…)https://www.salaireavie.fr/post/la-propriété-à-responsabilité-partagée-concilier-propriété-et-droit-à-la-ville
Source: Lire l'article complet de Réseau International