Dans une interview parue le 23 juin, Noam Chomsky parle de « l’ampleur et de la portée absolument sans précédent » des protestations contre les meurtres par la police de George Floyd et Breonna Taylor, de l’importance de la présidence de Lula au Brésil, et désigne Donald Trump comme « le pire criminel de l’histoire de l’humanité ».
Source : Jacobin Mag
Traduction : lecridespeuples.fr
Michael Brooks : Bienvenue au Michael Brooks Show. Nous sommes très heureux et honorés de recevoir le professeur Noam Chomsky, qui est un intellectuel, linguiste et activiste de premier plan depuis des décennies. Il est l’auteur de nombreux livres [dénonçant l’impérialisme américain, le colonialisme israélien, les ravages du libéralisme et la désinformation, entre autres], dont La Fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, qui a eu une grande influence sur moi. Plus récemment, il est l’auteur de Internationalisme ou extinction : pour une résistance universelle. Professeur Chomsky je vous remercie beaucoup d’être avec nous. Que vous inspire le mouvement qui a éclaté après la mort de George Floyd et de Breonna Taylor entre les mains de la police ?
Noam Chomsky : La première chose qui me vient à l’esprit est la portée et l’ampleur absolument sans précédent de la participation, de l’engagement et du soutien du public. Si vous regardez les sondages, c’est étonnant. Le soutien du public à la fois pour Black Lives Matter et pour les manifestations est bien au-delà de ce qu’il était, disons, pour Martin Luther King au sommet de sa popularité, au moment du discours « I Have a Dream ». C’est aussi bien au-delà du niveau de réaction du public aux occurrences précédentes de meurtres par la police.
(Cette réaction populaire massive) peut être le plus similaire à la réaction au passage à tabac de Rodney King à Los Angeles. Ils l’ont presque battu à mort. La plupart des assaillants ont été libérés sans inculpation par les tribunaux. Il y a eu une semaine de manifestations ; soixante personnes ont été tuées, et ils ont dû faire appel aux troupes fédérales pour réprimer les manifestations. Mais c’était limité à Los Angeles. Aujourd’hui, les manifestations éclatent partout.
Et ce n’est pas seulement (un mouvement contre) le meurtre (d’un citoyen Noir) par la police : (c’est un mouvement contre) des problèmes de fond. Cela commence à susciter des inquiétudes, des enquêtes et des manifestations sur les faits qui conduisent à des événements comme celui-ci. Cette montée de la prise de conscience est facilitée par la montée de la prise de conscience de quatre cents ans de répression brutale (contre les Noirs).
Poutine & Chomsky se rejoignent
Michael Brooks : Selon vous, qu’est-ce qui explique la nature sans précédent de ce mouvement ?
Noam Chomsky : Je pense que c’est le résultat de nombreuses années d’activisme intensif. Par exemple, l’année dernière, le New York Times a mis en évidence une importante série d’articles, « 1619 », sur l’histoire du racisme aux États-Unis — « 1619 » parce que c’est l’année où les esclaves noirs ont commencé à arriver en nombre important. Vous ne pouviez pas imaginer une telle chose il y a quelques années. C’est l’un des nombreux signes de ce que j’espère être des changements vraiment importants, et semble être un hommage à des groupes comme Black Lives Matter et à d’autres qui ont porté ces questions à l’attention du public et ont incité les gens à y réfléchir. Et la réaction en ce moment est assez importante. [C’est différent de] l’époque de Ronald Reagan, qui a commencé sa campagne électorale à Philadelphie, au Mississippi, le site du meurtre de trois défenseurs des droits civiques —le message était assez clair, mais il y avait eu très peu de réactions.
Michael Brooks : Il y a beaucoup plus de réaction maintenant, et les parallèles sont assez clairs à cet égard. Il est très difficile de comprendre [et de prendre position] face à une telle situation, du fait des différents types de reportages, de la désinformation, etc. Nous devons l’aborder avec précaution, mais en tant que personne qui a un enracinement (à certains égards) dans la tradition anarchiste, que pensez-vous de cette zone autonome née à Seattle ?
Noam Chomsky : C’est l’une des nombreuses évolutions très intéressantes —c’est en partie en réaction à la pandémie, en partie en réaction au [meurtre de George Floyd]. Créer des structures de soutien mutuel et de coopération qui extraient les gens de la dépendance aux structures gouvernementales, qui se sont révélées tout à fait inadéquates pour faire face à des problèmes particuliers, comme fournir de l’eau aux gens —des problèmes plus fondamentaux que la raison de notre impréparation désespérée à la crise. La zone autonome en est un cas intéressant.
Il est également frappant de voir le soutien [de personnes comme] le maire de Seattle [pour les manifestants], et beaucoup de soutien populaire, ce qui rend Trump et Fox News fous de rage. C’est un signe positif, quelque chose d’important. Je pense que c’est une manifestation importante du sentiment que nous devons prendre le contrôle de nos vies et que nous ne pouvons pas les laisser entre les mains des autorités qui se sont déclarées nos maîtres. Nous devons nous prendre en charge.
Michael Brooks : Pouvez-vous repréciser un peu un point important, à savoir que quelque chose peut survenir et finir par un « échec », mais que si cela met en lumière des vérités importantes et exprime une certaine impulsion vers la justice, il n’est pas nécessaire de le mesurer linéairement comme un succès ou un échec ?
Noam Chomsky : Le succès et l’échec sont des choses compliquées. Toute lutte sérieuse va connaitre des moments de régression. Les choses ne se passent pas comme prévu, alors vous recommencez, vous continuez à partir de l’endroit où vous vous êtes arrêtés, etc. Tous les combats auxquels vous pouvez penser —pour les droits civils, pour les droits des femmes, pour l’abolition (de l’esclavage), tous— (ont toujours été) un processus (long et difficile, avec des hauts et des bas).
Prenons, disons, la campagne de Bernie Sanders. Je reçois des lettres tout le temps, ou je lis des articles ou messages qui disent : « Nous avons essayé, nous avons perdu, c’est terminé, alors on abandonne. » Ce n’est pas ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé a été un énorme succès, un succès sans précédent. Rien de tel ne s’est produit dans l’histoire politique des États-Unis —en fait, presque jamais, depuis que le véritable mouvement populiste, le mouvement des agriculteurs radicaux, a été écrasé par la force [à la fin du 19e siècle]. Le spectre des discussions a été considérablement déplacé. Des choses qui n’étaient pas à l’ordre du jour il y a peu sont maintenant au premier plan : les soins de santé universels, réclamés et amplifiés par l’impact désastreux de la pandémie ; un Green New Deal (Pacte Vert), résultat du militantisme sérieux d’un petit groupe de jeunes qui occupaient des bureaux du Congrès ; et l’arrière-plan de tout cela était le succès de Sanders et de jeunes membres du Congrès qui ont pris le pouvoir pour les soutenir.
Sanders a pris la décision tactique, que certains critiquent mais que je pense correcte, de rejoindre la campagne de Joe Biden et de la pousser vers la gauche. Ses associés travaillent sur des commissions de planification, et en fait, si vous regardez le programme qui a vu le jour, il est plus à gauche que tout ce qu’on a pu voir depuis Roosevelt. Il offre de nombreuses opportunités.
Maintenant, cela ne s’est pas produit par magie. C’est arrivé un peu comme le Green New Deal. Cela s’est produit par une pression et un activisme constants. C’est ainsi que la gauche devrait concevoir les élections. Appuyer sur le bouton [pour un candidat] n’est pas le problème. (Ce qui compte et fait la différence), c’est l’activisme constant qui remodèle l’éventail des choix, des problèmes et des politiques. Vous ne gagnez pas en claquant des doigts. Certaines choses fonctionnent, certaines échouent, et vous reprenez et continuez à partir de là.
Michael Brooks : Je veux vous poser une question sur la liberté d’expression. Il me semble qu’elle est tombé en disgrâce parmi certaines personne à gauche. Quel rapport avez-vous avec la question de la liberté d’expression ?
Noam Chomsky : Tout d’abord, nous devons penser un peu à l’histoire. Pourquoi ce problème se pose-t-il maintenant ? Est-il nouveau ? Non. [Les attaques contre la liberté d’expression] sont la norme depuis des décennies, mais elles visaient toujours la gauche, donc personne n’y a prêté attention. [Les choses allaient] bien au-delà de tout ce qui se passe actuellement : des réunions étaient interrompues et violemment perturbées ; des discours étaient annulés ; des livres étaient détruits. Ainsi, par exemple, le premier livre que vous avez mentionné, La fabrication du consentement, le premier livre sur lequel Ed Herman et moi avons travaillé ensemble, est paru au début des années 70. Le livre a été publié par un éditeur très en vue ; vingt mille exemplaires ont été imprimés. L’éditeur appartenait à une grande société, et l’un des dirigeants de la société a vu le livre, a été horrifié et a exigé que l’éditeur le retire de la publication. Quand l’éditeur refusé, il a détruit toute la maison d’édition. Tout son stock a été détruit, pour l’empêcher de distribuer ce livre.
Quelqu’un s’en est-il soucié ? Par curiosité, j’ai porté l’affaire à l’attention des principaux libertariens civils, comme Nat Hentoff et l’ACLU (Association de défense des libertés civiles), mais ils n’ont vu aucun mal à ça. (A leurs yeux), qu’une entreprise décide de détruire un éditeur et de détruire la totalité de son stock pour empêcher la publication d’un livre n’est pas de la censure d’État (et ne mérite pas d’être condamné). En fait, il était difficile de trouver qui que ce soit qui pour (condamner cette censure).
Mais ce n’est pas le seul cas. Je pourrais vous citer d’autres cas où certains de mes livres ont été retirés de la publication, et on m’a demandé de rembourser l’avance, car ils avaient un contenu politique que l’éditeur n’aimait pas. D’autres personnes ont été licenciées et des postes de professeurs supprimés, etc. (Tout le monde) s’en fichait. Ce n’était pas de la censure, car elle était dirigée contre la gauche, et allait bien au-delà de tout ce qui se passe aujourd’hui.
Maintenant, cela ne justifie pas ce qui se passe aujourd’hui (la censure contre les propos jugés trop droitiers). Tout d’abord, je ne dirais pas vraiment qu’il s’agit de la gauche —lorsque le New York Times retire un éditorial, ce que je ne pense pas qu’il aurait dû faire, il est assez difficile d’appeler cela la gauche. [Le NYT a publié une lettre d’opinion du sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton, qui déclarait que l’armée devrait être déployée pour faire face aux manifestations à travers le pays. Suite à la controverse, l’article a été rétracté et l’éditorialiste en chef du NYT a démissionné.]
Quand beaucoup de jeunes décident de déprogrammer un conférencier, je pense qu’ils font une erreur, même d’un point de vue tactique. Il existe de bien meilleures façons de s’y opposer : vous pouvez faire une contre-conférence, dans laquelle vous exposez ce qui se passe et faire de cette intervention honnie une opportunité pédagogique. Je pense que c’est une erreur de principe et une erreur tactique. C’est un cadeau pour l’extrême droite ; ils adorent (ce type de censure).
Michael Brooks : L’un des nombreux éléments d’activisme que j’ai énormément appréciés et auxquels vous avez participé était votre défense du Président brésilien Lula da Silva alors qu’il était prisonnier politique. Vous lui avez rendu visite alors qu’il était en prison à Curitiba. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous pensez que le Président Lula est un dirigeant si important ?
Noam Chomsky : Le Président Lula est issu de la classe ouvrière, c’était un activiste : à l’époque de la dictature, il a réussi à organiser une opposition importante et s’est présenté aux élections présidentielles. Il s’est fait voler la victoire à plusieurs reprises, mais il a finalement remporté la présidence et inauguré une nouvelle ère dans l’histoire du Brésil.
Ne me croyez pas sur parole ; prenez la Banque mondiale, qui n’est pas une institution radicale. En 2016, quelques années après la fin de son mandat, la Banque mondiale a publié une longue étude de l’histoire économique brésilienne récente. Elle a qualifié le mandat de Lula de « décennie d’or » de l’histoire économique brésilienne, qui a vu une énorme réduction de la pauvreté, et une augmentation considérable de l’inclusion : une grande partie de la population, des Noirs et des personnes totalement marginalisées et opprimées auparavant, ont été incluses dans les politiques visant à donner aux gens un certain contrôle sur leur vie. Ce fut un énorme succès.
Le Brésil est alors devenu l’un des pays les plus respectés au monde, sinon le plus respecté. Mais jetez-y un œil aujourd’hui. [Le Brésil de Bolsonaro] est un paria absolu, l’un des pays les plus ridiculisés et les plus condamnés du monde.
Il y avait beaucoup de problèmes sous les mandats de Lula. L’un d’eux était qu’il tolérait la corruption, il n’y prêtait pas attention. Il y en avait beaucoup au Parti des travailleurs (PT) —la corruption est endémique au Brésil, et dans toute la région. Ce que son administration n’a vraiment pas réussi à faire, c’est de faire comprendre au peuple qu’il était partie prenante du système en développement (et qu’il en tirait les bénéfices). Alors maintenant, il est assez étrange que lorsque l’on demande aux Brésiliens qui ont grandement bénéficié des programmes de Lula —quand vous leur demandez « Comment (cette période glorieuse) est-elle arrivée ? », ils répondent : « C’est venu de Dieu », comme si c’était un accident. Ils ne savent pas que (les mesures économiques et sociales) faisaient partie des programmes du PT. Ce fut un véritable échec du gouvernement : les Brésiliens ont l’impression que cela « est venu à eux » d’une manière ou d’une autre et qu’ils n’en faisaient pas partie. Ce fut un gros échec.
Il y a d’autres choses que vous pouvez critiquer. Le jugement (positif) sur la « décennie d’or », je pense, est tout à fait juste, et le fait que le Brésil s’est élevé à un statut de pays grandement respecté au niveau international, en tant que voix du Sud global, était extrêmement significative, et explique en partie la raison de sa chute. Les systèmes politiques n’aiment pas les parvenus. Ils ne sont pas censés faire ça. Les élites au Brésil sont extrêmement racistes et ont une grande conscience de classe. Voici un type (Lula) qui vient de la classe ouvrière, qui ne parle même pas le portugais « correct » ; il n’est pas allé aux « bonnes » écoles. Il est censé être humble, reconnaissant pour ce que les possédants ont fait pour lui, et pas au pouvoir en train d’établir les politiques. En parlant (aux classes aisées), vous pouvez ressentir l’amertume et la colère, rien que pour ces raisons (raciales et sociales), encore plus que pour les raisons politiques.
Quelques années après le départ de Lula, un coup d’État silencieux a été lancé [contre le successeur de Lula, Dilma Rousseff]. Il a finalement conduit aux élections d’octobre 2018. Lula a été emprisonné ; il était le candidat le plus populaire, très susceptible de gagner. Il a été emprisonné sur des accusations très douteuses, mais il a également été réduit au silence. Contrairement à un meurtrier de masse dans le couloir de la mort, il n’a pas été autorisé à faire la moindre déclaration. C’était très important. Il est resté silencieux pendant la campagne électorale. Il est maintenant en liberté partielle pendant la procédure d’appel. Mais avant les élections, ils l’ont maintenu à l’écart. Ce qui est arrivé (au pouvoir), c’est un fanatique d’ultra-droite [Jair Bolsonaro] qui est en train de détruire le pays. Le Brésil est actuellement au bord d’un coup d’État militaire.
Je ne sais pas si vous avez vu les images d’il y a quelques jours, où des gangs de Bolsonaro attaquaient les édifices parlementaires, la Cour suprême, et disaient : « Débarrassez-nous de ça ». Bolsonaro a licencié les chefs des divisions exécutives qui enquêtaient sur sa famille. Sa déclaration d’entrée en fonction était « Personne ne va déconner avec ma famille », ce qui est assez similaire à ce qui vient de se passer ici. Bolsonaro se considère comme une sorte de clone de [Donald] Trump. Tragédie et farce.
Trump est très similaire. Il vient de licencier tous les inspecteurs généraux qui ont été mis en place pour surveiller la corruption et les malversations dans les bureaux exécutifs. Ils commençaient à enquêter sur ce marécage fétide qu’il a créé à Washington, alors il les a tous virés. Et comme tout dictateur de pacotille, Trump a fait tout son possible pour humilier le sénateur républicain senior, Charles Grassley, qui avait passé sa carrière à mettre ce système en place. Le Parti républicain n’a pas pipé mot. Il a disparu en tant que parti politique. C’est pire que l’ancien Parti communiste. Le chef donne un ordre, nous tombons à genoux et nous nous exécutons.
Michael Brooks : Pourriez-vous expliquer pourquoi ce que fait Donald Trump sur le plan institutionnel est réellement unique ?
Noam Chomsky : Cette déclaration semble forte, mais elle est vraie : Trump est indéniablement le plus grand criminel de l’histoire. Il n’y a jamais eu de figure de l’histoire politique qui se soit tant efforcée de détruire les perspectives de vie humaine organisée sur terre dans un avenir proche.
Ce n’est pas une exagération. Toute l’attention est maintenant concentrée sur les manifestations ; la pandémie est suffisamment grave pour que nous n’en sortions qu’à un coût terrible. Le coût est considérablement amplifié par le gangster de la Maison Blanche, qui a tué des dizaines de milliers d’Américains [par son incompétence et sa négligence face au COVID-19], ce qui fait des Etats-Unis le pire endroit au monde [en ce qui concerne la lutte face au coronavirus]. Nous sortirons [de la pandémie, mais] nous n’allons pas sortir d’un autre crime que Trump a commis, le réchauffement du globe. Le pire est à venir, et nous n’en sortirons pas.
Les calottes glaciaires fondent ; elles ne vont pas se reformer. Cela conduit à une augmentation exponentielle du réchauffement climatique. Les glaciers de l’Arctique, par exemple, pourraient inonder le monde. Des études récentes indiquent que dans la situation actuelle, dans une cinquantaine d’années, une grande partie des zones habitables du monde seront invivables. Vous ne pourrez pas vivre dans certaines parties de l’Asie du Sud, certaines régions du Moyen-Orient et certaines parties des États-Unis. Nous approchons du point d’il y a 125 000 ans, lorsque le niveau de la mer était environ 7.5 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Et c’est pire que ça. L’Institut Océanographique Scripps vient de publier une étude qui estime que nous approchons de façon inquiétante d’un point [similaire à] il y a 3 millions d’années, lorsque le niveau de la mer était de quinze à vingt-quatre mètres plus haut qu’aujourd’hui.
Partout dans le monde, les pays essaient de faire quelque chose. Mais il y a un pays dirigé par un Président qui veut aggraver la crise, courir vers l’abîme, maximiser l’utilisation des énergies fossiles, y compris les plus dangereuses d’entre elles [comme le gaz de schiste], et démanteler l’appareil réglementaire qui limite leur impact. Il n’y a pas de crime comme celui-là dans l’histoire humaine. Aucun. Il s’agit d’un individu unique. Et ce n’est pas comme s’il ne savait pas ce qu’il faisait. Bien sûr qu’il le sait. C’est comme s’il s’en fichait. S’il peut déverser plus de profits dans ses poches et dans les poches de ses riches électeurs demain, qui se soucie si le monde disparaît dans quelques générations ?
En ce qui concerne le gouvernement, nous voyons quelque chose d’assez intéressant. La démocratie parlementaire existe depuis 350 ans. Elle a commencé en Angleterre en 1689 avec la soi-disant Révolution glorieuse, lorsque la souveraineté a été transférée de la royauté au Parlement. Les débuts de la démocratie parlementaire aux États-Unis sont arrivés environ un siècle plus tard. La démocratie parlementaire n’est pas seulement basée sur des lois et des constitutions. En fait, la constitution britannique comporte peut-être une douzaine de mots. Elle est basée sur la confiance et la bonne foi, le postulat que les gens agiront comme des êtres humains.
Prenez Richard Nixon. Un type assez pourri, mais quand le moment est venu de quitter son bureau, il a quitté le bureau tranquillement. Personne ne s’y attend avec Trump. Il n’agit pas comme un être humain. Il vient d’ailleurs.
Nasrallah et Chomsky se rejoignent
Trump ne fait même pas de nominations qui peuvent être confirmées par le Sénat. Pourquoi s’embêter ? Je n’aime pas quelqu’un, je le jette dehors. Une républicaine, Lisa Murkowski, ose poser une petite question sur sa noblesse [en se demandant si elle va le soutenir aux élections de 2020], [et il] lui tombe dessus comme un pachyderme —« Je vais te détruire. »
« Peu de gens savent où ils seront dans deux ans, mais moi, je le sais : dans le Grand État de l’Alaska (que j’adore) en campagne contre la sénatrice Lisa Murkowski. Elle a voté contre HealthCare, contre le juge Kavanaugh et bien d’autres choses… Par ailleurs, j’ai beaucoup fait pour l’Alaska : ANWR, autoroutes majeures, etc. Préparez n’importe quel candidat, bon ou mauvais, je m’en fiche, je le soutiendrai. Quiconque a un pouls [et veut se présenter contre Lisa Murkowski], je suis avec lui ! » (Tweet de Donald Trump)
Ce n’est pas du fascisme. C’est ce que j’ai dit auparavant : c’est le dictateur de pacotille d’un petit pays où il y a un coup d’État tous les deux ans. Telle est sa mentalité.
Le Congrès, le Sénat, se trouvent être entre les mains de son âme sœur, Mitch McConnell —à bien des égards, la véritable éminence grise de cette administration, vouée à la destruction de la démocratie bien avant Trump. Lorsque [Barack] Obama a été élu, McConnell a déclaré ouvertement au public : « Mon objectif principal est de faire en sorte qu’Obama ne puisse rien faire ». D’accord. Cela veut dire : « Je veux détruire la démocratie parlementaire », qui est basée, comme je l’ai dit, sur la bonne foi et la confiance dans l’alternance (du pouvoir).
Le Sénat, le soi-disant plus grand organe délibérant du monde, est réduit à (un seul rôle) : adopter une législation qui enrichira les très riches, donner tous les passe-droits aux grandes entreprises et procéder à des nominations pour gorger le pouvoir judiciaire de jeunes juges ultra-droitiers, pour la plupart incompétents, qui peuvent garantir pour une génération que quoi que ce soit que demande le peuple, ils pourront le bloquer. C’est une profonde haine de la démocratie et une peur de la démocratie. Ce n’est pas inhabituel parmi les élites, qui n’aiment pas la démocratie pour des raisons évidentes. Mais c’est quelque chose de spécial.
En plus de la pandémie, en plus de la crise du réchauffement climatique, il y a encore la crise des armes nucléaires, qui est tout aussi grave. Trump démantèle l’intégralité du régime de contrôle des armements, augmentant considérablement le risque de destruction, invitant virtuellement tous les ennemis à développer des armes que nous [ne serons pas en mesure] d’arrêter pour nous détruire.
http://www.youtube.com/watch?v=Rl4uNkOyDzw
Le risque nucléaire est bien plus sérieux que le risque climatique
Trump prend les pires aspects du capitalisme, en particulier la version néolibérale du capitalisme, et les amplifie. Prenons simplement la pandémie. Pourquoi y a-t-il une pandémie ? En 2003, après l’épidémie de SRAS, qui était un coronavirus, les scientifiques l’ont bien compris, ils disaient : « Un autre coronavirus, beaucoup plus grave que cela, est très probable. Maintenant, voici les mesures que nous devons prendre pour nous y préparer. » Quelqu’un doit mettre en oeuvre ces mesures. Eh bien, il existe une industrie pharmaceutique, mais les laboratoires immenses et extraordinairement riches ne peuvent pas le faire. On ne dépense pas d’argent pour quelque chose qui pourrait être important dans dix ans : arrêter une future catastrophe n’est pas rentable. C’est une crise capitaliste.
Le gouvernement a les ressources ; il a de grands laboratoires. Mais nous avons eu quelque chose appelé Ronald Reagan, au début de l’assaut néolibéral contre le peuple, faisant valoir que le gouvernement est le problème, pas la solution —ce qui signifie que nous devons prendre des décisions loin du gouvernement. Le gouvernement est influencé par le peuple. Nous devons maintenant remettre [les décisions] entre les mains d’institutions privées qui n’ont pas de comptes à rendre et qui ne subissent aucune influence du public. Aux États-Unis, cela s’appelle parfois le libertarisme. C’est le début de l’assaut néolibéral.
George H. W. Bush (le père) a établi un conseil présidentiel de conseil scientifique consultatif. Obama l’a judicieusement convoqué le premier jour de son administration et lui a demandé de préparer un système de réaction à une pandémie. Quelques semaines plus tard, ils sont revenus avec un système qui a été mis en place. En janvier 2017, le démolisseur est entré en fonctions. Les premiers jours de son administration, [Trump] a démantelé tout le système de réponse à une pandémie ; année après année, il a dé-financé le Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies (CDC) et toutes les instances du gouvernement liées à la santé. Il a supprimé les programmes de scientifiques américains en Chine travaillant avec des scientifiques chinois pour identifier les menaces potentielles de coronavirus et les éliminer. Ainsi, lorsque [le coronavirus] a frappé, les États-Unis étaient exceptionnellement mal préparés, grâce au démolisseur-en-chef.
L’année dernière, 37 000 Américains sont morts de la grippe normale. Le nombre de décès se situe en moyenne entre 27 000 et 70 000 par an. Rien n’est fermé, la vie et l’économie continuent. Il existe actuellement 546 cas confirmés de CoronaVirus, avec seulement 22 décès. Pensez-y ! (Tweet de Donald Trump, 9 mars 2020)
Et puis ça a empiré. Il a refusé de réagir. D’autres pays y ont répondu, certains très bien et très rapidement. Le virus y a presque disparu, il est essentiellement sous contrôle. Pas aux États-Unis. Il s’en fichait. Pendant des mois, les services de renseignement américains n’ont pas pu faire dire à la Maison Blanche : « Il y a une crise grave ». Enfin, selon certains rapports, il a remarqué que le marché boursier baissait, et c’est ce qui l’aurait fait déclarer : « Nous devons faire quelque chose. » Ce qu’il a fait, c’est juste du chaos.
Mais une grande partie du problème est antérieure à Trump. Pourquoi les hôpitaux ne sont-ils pas prêts ? Eh bien, ils fonctionnent sur un modèle commercial. C’est le néolibéralisme. Tout est conçu pour n’être prêt que quand ce sera requis. Ils ne veulent pas perdre un centime. Nous n’avons donc pas le moindre lit d’hôpital supplémentaire ; nous devons nous assurer que les PDG des hôpitaux privés reçoivent des millions de dollars de rémunération par an. On ne peut donc pas avoir de lit supplémentaire, on coupe ce budget. Donc tout ce processus est mécaniquement imposé d’en haut. Les EHPAD, qui sont privés, sont réduits à un fonctionnement minimal, car nous pouvons gagner plus d’argent de cette façon, si nous sommes une société de capital-investissement qui en est propriétaire. Maintenant, nous pouvons contribuer à la campagne de Trump afin qu’il puisse prendre des photos avec nous, nous disant à quel point nous sommes merveilleux de détruire les EHPAD, tuant toutes les personnes âgées.
Tout cela est profondément enraciné dans des problèmes qui précèdent largement Trump, mais il est un phénomène unique —encore une fois, le pire criminel de l’histoire humaine, dont les moindres crimes sont de détruire la démocratie américaine et d’amplifier une pandémie qui a tué plus de cent mille personnes. Mais ce sont des crimes mineurs selon ses normes.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples