La stratégie Cendrillon

La stratégie Cendrillon

Comment relancer l’économie italienne en construisant un pont sur le détroit de Messine


Par Ugo Bardi – Le 23 juin 2020 – Source CassandraLegacy

L’ancien premier ministre italien, M. Silvio Berlusconi, évoquant le détroit de Messine par un sort magique dans une image prise probablement vers 2002. En tant que version moderne de Moïse, M. Berlusconi n’a pas réussi à faire beaucoup plus que de créer une maquette. Mais l’idée de construire ce monstre (ce serait le plus long pont suspendu jamais construit), est récurrente en Italie depuis des décennies. C’est un rêve qui refuse de se réaliser, peu importe combien les politiciens s’inspirent de Cendrillon.

L’histoire de l’épidémie de la Covid-19 ne cesse de me surprendre, pour une raison ou une autre. De mauvais modèles, des scientifiques superstar, des citoyens terrorisés, des vaccins inexistants vendus à des prix élevés, la police qui met à l’amende les gens qui se promènent, de la supercherie en veux-tu en voilà, et plus encore. Mais cela m’a vraiment frappé : que croyez-vous que le gouvernement italien envisage de faire maintenant ? Oui, afin de relancer l’économie après qu’elle ait été si durement touchée par le confinement, ils envisagent de construire un pont sur le détroit de Messine pour relier la Sicile à l’Italie. (vraiment !). Le plus long pont suspendu jamais construit, en supposant qu’il soit possible de le construire — ce qui n’est pas du tout évident. C’est un rêve à la Cendrillon qui, probablement, ne se réalisera jamais.

Il est peut-être vrai que certaines personnes ont dit que la Covid-19 peut parfois affecter le cerveau des gens, mais la véritable explication est autre : l’emprise inamovible d’idées obsolètes sur la façon dont les gens pensent. En temps de crise, les dirigeants ont simplement tendance à revenir aux solutions des vieux problèmes, sans se rendre compte que les temps ont changé. Il faut donc revenir à la croissance, il faut stimuler l’économie, il faut construire de grandes infrastructures, il faut (cela aussi est dit !) se débarrasser de ces stupides réglementations sur la pollution qui empêchent l’économie de reprendre sa croissance.

C’est ce qui explique le retour à l’idée récurrente de construire ce pont qui existe depuis des décennies. Probablement, les dirigeants sont sincères dans leur sentiment que s’il était possible de commencer à construire ce monstre, alors ce serait une bonne chose pour l’économie italienne (et, bien sûr, certains de leurs amis gagneraient beaucoup d’argent comme effet secondaire). L’idée que l’économie a besoin d’énergie et de ressources pour continuer à fonctionner (sans parler de l’expansion) est totalement étrangère aux responsables.

Alors, le pont sera-t-il construit ? Bien sûr que non (voir ci-dessous pour une explication). Mais nous en entendrons encore parler pendant un certain temps et il se peut que de l’argent soit gaspillé pour des études préliminaires. Ce qui est vraiment fascinant, c’est de voir comment la pensée économique n’a pas bougé d’un pouce après que Robert Solow ait proposé son modèle économique qui voyait la croissance comme générée par une entité appelée « productivité totale des facteurs » qui ne pouvait être définie ou mesurée, mais qui était censée croître de façon exponentielle pour toujours et pousser l’économie à croître de la même façon. Les ressources naturelles n’apparaissaient pas parmi les paramètres du modèle. Nous sommes donc condamnés à suivre nos rêves dans le monde de Cendrillon, en pensant toujours que, si l’on continue à y croire, le rêve que l’on souhaite se réalisera.

Ugo Bardi enseigne la chimie physique à l’Université de Florence, en Italie, et il est également membre du Club de Rome. Il s’intéresse à l’épuisement des ressources, à la modélisation de la dynamique des systèmes, aux sciences climatiques et aux énergies renouvelables.

Pourquoi le pont du détroit de Messine ne sera jamais construit. Une note sur l’économie basée sur l’énergie

Image de Tim Morgan, « Surplus Energy Economics« .

L’idée que l’économie dépend de l’approvisionnement en énergie devrait être évidente pour tous ceux qui ont déjà possédé une voiture. Si vous enlevez l’essence, la voiture ne bouge pas, même si vous bricolez le carburateur. Et il n’y a pas que les voitures qui fonctionnent de cette façon. Tout ce qui bouge, bouge parce qu’il utilise de l’énergie pour se déplacer. Si vous voulez dire cela de manière fantaisiste, vous pouvez dire que les créatures vivantes, les moteurs, les ouragans, les rivières et autres se déplacent parce qu’ils dissipent des potentiels d’énergie. Pas de potentiel énergétique, pas de vie et pas de mouvement.

Il est difficile de penser que l’économie humaine ne dépend pas des mêmes facteurs. En effet, l’un des fondateurs de l’économie, William Stanley Jevons, avait déjà compris la question dans ses travaux sur le charbon au milieu du XIXe siècle. Mais en plus d’un siècle de travail, l’économie s’est éloignée des concepts liés aux facteurs physiques. Pour une raison quelconque, l’économie, telle qu’elle est aujourd’hui, reste liée à l’idée que des choses telles que l’approvisionnement en énergie ne sont pas fondamentales pour affecter la performance du système – si tant est qu’elles soient prises en compte.

L’idée que les choses sont différentes – très différentes – reste marginale et hérétique, mais elle persiste et, avec le temps, elle peut gagner un peu de place – même si cela demande énormément de temps et d’efforts. Pour connaître les bases de cette idée, vous pouvez consulter le blog de Tim Morgan, « Surplus Energy Economics« . Pour l’instant, il a un billet qui passe en revue l’ensemble du concept. C’est une lecture intéressante, fortement recommandée.

Une remarque sur la description de Morgan : Lorsqu’il parle de l’entité appelée « ECoE » (coût énergétique de l’énergie investie), il ne semble pas remarquer qu’elle peut être fixée comme étant égale à 1/EROEI, le rendement énergétique de l’énergie investie. Bien sûr, il faut mesurer le coût dans certaines unités, et l’énergie est la meilleure dans ce cas.

Le comportement de l’ECoE est décrit par Morgan en termes qualitatifs comme une courbe parabolique – passant par un minimum (prospérité maximale) puis remontant. Si nous assimilons l’ECoE à 1/EROI, ce n’est pas exactement le cas. Ce taux a tendance à s’effacer avec le temps, comme nous l’avons constaté dans une étude que nous préparons en ce moment avec ma collègue Ilaria Perissi. Voici comment notre modèle décrit le comportement de l’ECoE pour une source d’énergie non renouvelable, telle que le pétrole.

Vous voyez qu’il s’amenuise, plutôt que de croître de façon quadratique comme dans le modèle qualitatif de Morgan. Mais cela ne signifie pas que le modèle de Morgan est faux, il est à peu près correct et, dans tous les cas, notez comment le coût de l’énergie augmente d’un facteur cent au cours du cycle d’épuisement (dans les hypothèses de cette analyse spécifique). Cela signifie qu’une partie de l’énergie est encore produite à ce coût élevé uniquement parce que la quantité produite est réduite à une bagatelle. Notez également que la courbe de Morgan prend en compte les progrès technologiques et le saut d’une source à l’autre ; notre modèle ne le fait pas. Pour une analyse approfondie, attendez le document que nous avons en préparation

Mafia Inc PosterEn tout cas, quelle que soit la mesure que vous voulez utiliser, EROI ou ECoE, le résultat est le même : il n’y a aucun espoir de continuer éternellement avec une source d’énergie non renouvelable. Vous n’avez peut-être pas besoin de modèles pour comprendre ce point, mais prenez celui-ci comme une confirmation de ce que le bon sens nous dit.

h/t Rafal

Note du Saker Francophone
Le sujet doit être porteur car c'est le thème d'un film récent sur la mafia au Québec.

Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone

Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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