Militant flamand de France investi dans des associations culturelles et de promotion de la langue néerlandaise, Grégoire Marteel évoque pour nous l’histoire te la situation du flamand.
Quelles sont les origines de l’identité flamande ?
L’identité flamande se caractérise de trois manières : par la géographie unique du pays flamand, par la langue de ses premiers habitants et par leur singularité politico-culturelle due à leur Histoire.
Les racines de l’identité flamande sont ancrées dans le sol sableux et argileux de la Plaine de Flandre, la plus occidentale de la plaine d’Europe du Nord. J’insiste sur la géographie car elle explique en grande partie ce qui a fondé la Flandre et son identité. Jusque dans son nom d’abord, puisque « Flandre » et « Flamand » proviendraient de l’anglo-frison flām qui veut dire « terre submergée ». Le fait d’être partie intégrante de la plaine d’Europe du Nord, qui va de la Mer Baltique à la Mer du Nord, explique également les différents mouvements de populations germaniques d’Est vers l’Ouest. Les Francs, puis les Frisons et les Saxons, s’installèrent parmi les premiers habitants que furent les Celtes. Il est d’ailleurs assez amusant d’observer ces différentes migrations en analysant la toponymie des noms de villages : les suffixes -zeele et -hem indiquent une influence franque alors que les -tun et -wic suggèrent une occupation saxonne. Enfin, l’influence des Celtes n’est pas en reste puisqu’ils nommèrent leurs rivières sacrées par des noms de divinités féminines telle que Legia (Lys), Isara (Yser) et Samara (Somme).
Tout ce beau monde a su cohabiter sous la loi romaine et sous la langue des Francs, du germanique occidental jusqu’au néerlandais de nos jours, en passant par le bas-francique, langue des premiers rois « français ». Il faut savoir que le terme Néerlandais désigne la langue usuelle des habitants des Pays-bas mais aussi, et surtout, un ensemble de dialectes dont font partie les différents dialectes flamands, de France ou de Belgique. Les populations parlant le thiois – donc le parler germanique – ont toujours vécu sur la frontière linguistique située entre l’Europe germanique et le monde latin. Elles ont donc, assez logiquement, cultivé une identité linguistique forte, exacerbée par une position stratégique favorable à de multiples invasions.
Car ce qui termine de caractériser l’identité flamande, c’est son exigence en matière de liberté et d’indépendance malgré les invasions. Les raids vikings ont favorisé la création du Comté de Flandre, avec une large autonomie politique et militaire, devant l’impuissance de l’empire carolingien. Souvent conquise, la Flandre fut également le théâtre des affrontements entre les grandes puissances européennes. Si les Flamands ont toujours su se montrer pragmatiques avec le suzerain du moment, ils ne manquaient pas de se révoltaient dès lors que l’on tentait de supprimer leurs libertés communales et leur langue. Quelques paroles de l’hymne flamand, De Vlaamse Leeuw (Le Lion flamand) résument assez bien cet état d’esprit : De tijd verslindt de steden, geen tronen blijven staan, De legerbendensneven, een volk zal nooit vergaan (Le temps abat les villes, nul trône ne tient debout, Les bandes armées périssent, un peuple ne mourra point).
Comment se forme le mouvement flamand ? Il semble avoir été, à l’origine, très implanter chez les artisans et les classes populaires ( la bourgeoisie flamande étant associer à la bourgeoisie francophone dans la création de l’état Belge) ?
Le mouvement flamand se forme d’abord dans l’élite intellectuelle et artistique flamande. Hendrick Conscience, écrivain, donnera au peuple flamand sa mystique nationale avec « Le lion de Flandre », roman historique autours de la bataille de Courtrai – ou bataille des éperons d’or – au cours de laquelle les laborieux de Flandre furent victorieux face à la fine fleure de la chevalerie française. Il ressuscitera également le héros national Jacob van Artevelde. Il y eu également les poètes Albrecht Rodenbach et Guido Gezelle qui ont œuvré à redonner aux Flamands la fierté d’une langue cultivée face à un jeune état belge qui avait fait du français l’unique langue officielle. En réponse, les Flamands se sont dotés du Néerlandais comme langue nationale qui opère la fusion des parlers flamands du Brabant, du Limbourg et de la Flandre occidentale. Si les élites littéraires ont préparé le terrain culturel, ce sont les étudiants flamands qui se sont approprié la cause avant de la diffuser partout dans la population. Du gramscisme avant l’heure en somme.
Quant à la bourgeoisie flamande, francophile voire même complètement francophone, elle fut en effet acquise au tout jeune état belge, pour des raisons culturelles – la puissance culturelle française – mais aussi économiques. La colonisation du Congo, d’abord propriété privée du roi Léopold II, puis colonie de l’état belge au début du XXe siècle, a favorisé l’intégration de la bourgeoisie flamande dans les desseins coloniaux de la Belgique. A ce titre, Anvers devient un port colonial important. Il est donc compréhensible qu’une certaine partie de la population flamande, celle qui profite des échanges internationaux et de l’industrialisation, soit acquise à l’Etat belge.
La deux guerres mondiales furent des ruptures violentes pour les flamands. Comment ses traumatismes de l’Histoire ont radicalisés les militants de la cause flamande ?
La Première Guerre mondiale fut en effet un choc pour les Flamands, comme pour l’ensemble des Européens. Une fois encore, la Flandre fut le théâtre d’affrontement entre les blocs occidentaux et orientaux de l’Europe. Quasiment l’ensemble du territoire belge fut sous occupation allemande et seulement une petite partie de la Flandre, le Westhoek à proximité de la frontière française proche de Dunkerque, fut considérée comme territoire souverain tout au long du conflit. L’armée belge participa modestement mais symboliquement à cette résistance sur le front de l’Yser. La mystique du mouvement flamand veut que les soldats néerlandophones de la troupe furent mal dirigés par des officiers francophones même si, en vérité, c’est un peu plus compliqué car la troupe fut aussi en partie francophone. Toujours est-il que 70% des pertes furent néerlandophones et que la législation linguistique n’a pas été appliquée sur le front. Se crée spontanément un « Mouvement du Front » – Frontbeweging – composés de soldats flamands qui ont exprimé au roi Albert I, dans une lettre ouverte, le testament de l’Yser, leurs revendications politiques et linguistiques. Cette doléance eut pour résultat davantage de répression au sein de l’armée belge quand au même moment, l’armée allemande permettait une université flamande à Gand … C’est le premier acte du Flamenpolitik mené par les allemands dans un contexte de pangermanisme déchaîné qui prendra fin en 1945. Cette politique des Allemands vise à rattacher les Flamands à la Magna Germanica et, en conséquence, à provoquer l’éclatement de la Belgique. La tentation fut grande pour les militants flamands et une partie d’entre eux estimeront que l’indépendance de la Flandre est étroitement liée à la victoire du grand frère allemand. Une autre estimera qu’elle peut être acquise dans cadre belge. Ces deux jambes d’un même tronc politique cohabiteront jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale entre les collaborationnistes et les attentistes. Comme pour les Wallons, les collaborateurs actifs furent minoritaires coté flamand, quoi qu’on en dise. Quant aux collaborationnistes, ils furent plus acquis à la croisade contre le bolchevisme – le catholicisme est très présent en Flandre – qu’aux idées national-socialistes. La victoire des alliés en 1945 aurait pu sonner le glas du mouvement flamand. Mais une nouvelle fois, l’Etat belge pêchera de brutalité dans un esprit de règlement de compte. On est loin de la réconciliation nationale en France. Et c’est ce sentiment d’injustice, devant la surreprésentation des Flamands dans les dossiers judiciaires qui donnera du carburant au mouvement flamand pour les dizaines d’années suivantes. Il faudra attendre les différentes réformes constitutionnelles des années 60 à nos jours pour figer les questions communautaires. Je précise qu’elles furent obtenues par l’initiative des deux parties et non pas l’une contre l’autre ; La Wallonie industrielle et socialiste, de plus en plus minoritaire, exigeant un fédéralisme pour des raisons économiques alors que la Flandre rurale et catholique reste dans une dynamique culturo-linguistique.
Comment s’organise politiquement le mouvement flamand actuellement ?
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement flamand se cristallise politiquement sous la Volksunie – Union populaire. C’est un cartel des chapelles nationalistes, des fédéralistes aux séparatistes, en passant par les confédéralistes, de gauche comme de droite. Cette union sacrée vole en éclat en 1977 avec l’échec du Pacte d’Egmont. Ce pacte devait accentuer la régionalisation de la Belgique mais le statut de Bruxelles fut considéré comme un casus belli par une part du mouvement flamand. Il faut préciser que Bruxelles se situe en Brabant flamand, en plein cœur de la Flandre belge et que l’accord prévoyait l’octroi des mêmes droits aux francophones de la périphérie bruxelloise qu’aux Flamands de la région bruxelloise. L’année suivante, la Volksunie se désintègre et un bloc nationaliste flamand de droite emmené par karel Dillen se crée : le Vlaams Blok. Ce dernier sera le navire amiral du mouvement flamand jusqu’au début des années 2000 où il devra se réformer, notamment à cause de son programme anti-immigrés jugé illégal par la Cour de cassation de Belgique. Dans le même temps, un nouveau parti nationaliste fait son apparition : la Nieuw-Vlaams Alliantie. Grossièrement, l’on peut dire que la NVA et le VB sont l’équivalent aujourd’hui des Républicains et du Rassemblement National en France. Les deux formations se partagent quasiment la moitié de l’électorat flamand.
La Belgique travers des crises gouvernementales graves depuis une dizaine d’années. Pensez-vous que sont éclatement est possible ? Comment l’UE » voit la revendication sécessionniste de la Flandre ?
La Belgique traverse en effet des crises gouvernementales mais sa nature fédérale lui permet d’y survivre. Les affaires courantes sont assurées par les régions – Flandre,Wallonie et Bruxelles. Je ne crois pas à l’éclatement de la Belgique dans un avenir proche car un point l’en empêche : Bruxelles. Les indépendantistes la considèrent comme la capitale de la Flandre et conditionnent leur indépendance par le rattachement de la ville à la nouvelle Flandre indépendante. Pour compliquer les choses, qui sont déjà extrêmement complexes dans ce petit pays, Bruxelles est composée essentiellement de francophones. On dit que le jour on y parle en néerlandais – les Flamands s’y rendent en nombre pour travailler – et en français le soir. Et pour aggraver la migraine, Bruxelles est de facto la capitale de l’Union européenne. L’UE est restée passive devant les atteintes aux Droits de l’homme en Catalogne par le pouvoir central espagnol, à plusieurs centaines de kilomètres de son Parlement. Alors vous pensez bien qu’elle n’acceptera pas l’éclatement de la Belgique où elle y a installé ses principaux sièges. Bruxelles flamande est donc la chimère du mouvement nationaliste qui l’empêche de concrétiser ses rêves d’indépendance. Certains évoquent une scission au profit des Pays-Bas et de la France, les Flamands vers le Nord et les Wallons vers le Sud, mais là aussi c’est de l’ordre du fantasme. Bien qu’ils partagent la même langue, même si des spécificités persistent, les Flamands sont catholiques de culture et les Néerlandais protestants. Les premiers restent des libéraux-conservateurs, les seconds des libéraux-libertaires. Quant au rattachement de la Wallonie à la France, je ne suis pas sur que les Wallons soient prêts à faire le deuil de la Belgique.
Quelle est la situation culturelle et politique de la Flandre « française » ? La langue flamande existe t-elle encore dans le Nord ?
Il est vrai que lorsque l’on parle du nationalisme flamand, l’on évoque la problématique belge. Mais il y a aussi un bout de Flandre en France suite à l’annexion de cette région par Louis XIV avec le traité de Nimègue à la fin du 17ème siècle. La Flandre française est un couloir qui court de Dunkerque jusqu’à Douai, coincé entre les collines d’Artois et la frontière franco-belge. Le mouvement flamand en France n’a jamais concrétisé d’initiative politique à cause de l’environnement politique à la française. Trop petite, divisée en circonscriptions électorales et avachie par une politique de francisation à marche forcée au début du XXème siècle, la Flandre française n’a jamais connu un véritable mouvement politique et populaire d’ampleur. Les militants flamands en France, il y en a eu, n’ont jamais réussi également à se définir une identité propre à leur situation française. La partie méridionale de la Flandre française a toujours été historiquement et linguistiquement romane. C’est au Nord de Lille que l’on peut véritablement parler de Flandre flamingante. Quelques initiatives ont bien existé, à travers un courant catholique conservateur animé par des curés jusque les années 60 ; le plus charismatique d’entre eux étant l’abbé Jean-Marie Gantois. Ensuite il faudra compter sur une génération 68 biberonnée à l’altermondialisme et à l’enracinement populaire, comme ce fut le cas dans les régions à forte identité régionale. Je pense à la Bretagne par exemple. Soutenu provisoirement par le courant socialiste, ce sursaut régionaliste ne survivra pas à l’arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981. Le PS aura vite faite d’abandonner ses cocons régionalistes locaux. A droite, une génération venue du GRECE tentera également une percée régionaliste avec le fédéralisme des peuples européens comme étendard. Mais là aussi les initiatives n’ont pas su s’adapter au nouveau monde qui découle de la chute du Mur de Berlin. Le monde évolue trop vite pour un peuple encore sonné par 300 ans d’acculturation et par deux guerres mondiales sur son territoire.
Dans les deux cas, les sursauts régionalistes n’ont pas profité de la dynamique flamande côté belge pour diverses raisons. La principale étant la peur d’être taxés d’irrédentistes liés à l’étranger. Les Flamands de Belgique ont de leur côté oublié pour la plupart qu’une Flandre existe aussi côté français.
Mais les peuples sont comme la mauvaise herbe, ils repoussent encore et toujours. La culture flamande est devenue une originalité, assumée par les habitants et les acteurs économiques. Un territoire qui a une identité se « vend » bien. Et étonnement, les fêtes locales comme le carnaval sont l’occasion d’afficher un particularisme populaire. Vous verrez plus de drapeaux flamands au carnaval de Dunkerque qu’en Flandre belge. Ce qui étonne toujours les Flamands belges pour qui arborer le Lion flamand est un acte politique. Ici, c’est un geste culturel sans arrière pensée politique. C’est un réflexe naturel, ce qui le rend encore plus profond. Aujourd’hui les Flamands de France s’identifient moins à la langue flamande, qui a presque disparu, qu’à la fierté de ne pas être comme tous les autres Français. Ni Français, ni Belges, un peu des deux, mais Flamands. C’est ce qui pourrait définir aujourd’hui l’inconscient collectif des Flamands de France.
Comme je le disais précédemment, la langue flamande a disparu en France. Certes, on le parle encore dans les maisons de retraite. En 2000, vivaient encore 20 000 locuteurs selon l’INSEE. Aujourd’hui nous n’en sommes même plus aux soins palliatifs, mais à la phase terminale. Certaines associations tentent un acharnement thérapeutique en créant de toute pièce une langue artificielle à partir de collectes ici et là pour ensuite l’enseigner dans les écoles. Mais la démarche est malhonnête car elle repose sur la distinction entre le flamand d’une part et la langue des « Belges », le néerlandais d’autre part. Ce qui est absurde car le flamand de France est un dialecte, sans jugement péjoratif aucun. Le dialecte est une langue populaire du quotidien qui peut se transmettre dans l’environnement d’une langue académique dont il est issu. Pour le flamand c’est le néerlandais. Comme l’est l’alsacien pour l’allemand. C’est pour cette raison que les dialectes flamands survivent en Belgique, contrairement en France où le néerlandais n’est pas enseigné. Ce défaut d’enseignement du néerlandais dans un territoire frontalier pousse certains parents à scolariser leurs enfants en Flandre belge. C’est assez logique car un territoire frontalier doit être bilingue s’il veut être un pont entre deux pays et non pas un cul-de-sac enfermé dans l’hexagone franco-français.
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