«Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. […] Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, (…) et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.» Aimé Césaire, (Discours sur le colonialisme, 1950)
La dignité humaine est, une fois de plus, bafouée, mais, cette fois, la coupe est pleine. C’est ainsi que l’on peut expliquer cette insurrection des consciences suite à la mort de George Floyd, une affaire de violence policière américaine d’un homme afro-américain, lors de son interpellation par le policier blanc Derek Chauvin, le 25 mai 2020, à Minneapolis. La vague d’indignation qui secoue les États-Unis s’exporte en Europe et principalement dans les pays anciennement esclavagistes comme le Royaume-Uni, l’Espagne, le Portugal et la France qui firent de l’esclavage une science exacte. Ainsi ressurgirent les vieux démons des affaires de meurtre étouffées comme l’affaire Adama Traoré en France et celle de Stephen Lawrence, adolescent noir britannique, tué le 22 avril 1993. À la base de tout cela, il est important de rappeler la tentation d’empire de l’Europe et la mise en esclavage des peuples entiers donnant ensuite libre cours à la colonisation, deuxième temps de l’asservissement de l’homme chez lui, avant d’arriver au néo-colonialisme.
S’il est vrai que le phénomène de l’esclavage au-delà la malédiction biblique de cham, est un phénomène consubstantiel de la nature humaine. « Lupus est homo homini » L’homme disait Plaute est un loup pour l’homme. Les civilisations se sont construites souvent sur la mise en esclavage des peuples vaincus. Cependant l’esclavage occidental après ce qu’il est communément admis d’admettre à en croire la doxa occidentale, : « Les grandes découvertes » inaugurées par le premier négrier occidental en l’occurrence Christofo Colombo, a gagné en cruauté et en professionnalisme avec « le commerce triangulaire » Naturellement tout ceci dans une atmosphère adoubée par l’Eglise du mythe des races supérieures. L’exemple suivant nous permettra de comprendre les fondements du racisme et de la genèse du phénomène colonial.
L’Europe et l’esclavage
Tout les pays européens, à des degrés divers, ont été esclavagistes après la conquête du «nouveau monde» en 1492. Par la suite, à la fin du XVIIIe siècle, la France est l’un des pays leaders dans «la traite des Noirs». Comme le souligne Nathalie Funès : «Louis XIII l’a autorisée en 1642. Louis XIV, son fils, l’a encouragée en 1672 en accordant une prime de treize livres par ‘’tête de nègre’’ aux négriers privés. Le Roi-Soleil a aussi édicté en 1685 le fameux Code noir sur le statut des esclaves dans les colonies, désormais officialisés comme des ‘’biens meubles’’, que l’on peut vendre ou échanger. Les navires du commerce triangulaire partent des ports français (Nantes, Bordeaux, La Rochelle…), chargés d’armes, d’alcool et de bijoux, s’arrêtent en Afrique pour embarquer des esclaves et repartent vers les îles d’Amérique pour rapporter sucre, cacao, tabac et pierres précieuses sur le Vieux Continent. Environ 2 300 voyages au cours du seul XVIIIe siècle. Tout au long de la traite négrière, la France aurait ainsi embarqué entre 1,5 et 2 millions d’Africains à destination des Caraïbes. Le premier décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises est voté par Robespierre le 4 février 1794 Il sera rapidement caduc. Le premier consul, Napoléon Bonaparte, réintroduit des esclaves en Martinique. L’esclavage ne sera finalement aboli qu’avec le décret du 27 avril 1848.»(1)
Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure émérite de l’université Paris-Diderot, nous explique comment l’esclavage, même interdit après qu’il eut été pratiqué d’une façon industrielle, on pense qu’il y eut plus de 15 millions d’esclaves déportés vers le nouveau monde, a continué de perdurer sous une autre forme :
«En Occident, l’héritage de la longue histoire de l’esclavage, c’est le racisme anti-Noirs et l’importance de la couleur de la peau.» Le mouvement commence, au début du XIXe siècle, par l’abolition, non de l’esclavage lui-même, mais du commerce des esclaves, c’est-à-dire de la traite négrière. Contrairement à ce que l’on enseigne dans les écoles, la fin de la traite n’intervient pas lors du Congrès de Vienne de 1815 : les grandes puissances occidentales se contentent, cette année-là, de s’engager à la supprimer dès qu’elles le pourront. L’abolition de l’esclavage n’intervient que dans un second temps, à partir des années 1830. La Grande-Bretagne le supprime en 1833, la France en 1848. Vient ensuite le tour des États-Unis en 1865, de Cuba en 1880 et du Brésil en 1888. Mais l’esclavage se poursuit, après l’abolition, sous une forme déguisée. À la fin du XIXe siècle, les Français et les Britanniques faisaient ainsi signer à des travailleurs analphabètes recrutés en Afrique des contrats de trois ans aux termes desquels ils s’engageaient à partir travailler dans les anciennes colonies esclavagistes et à payer eux-mêmes leur voyage retour : comme c’était quasiment impossible, la plupart ne revenaient jamais.»(2)
Le discours sur le colonialisme toujours d’actualité
On a tout dit d’Aimé Césaire le poète, et ses écrits ne lui ont pas attiré les sympathies de l’Académie française qui, globalement, est de cette droite revancharde forte de ses certitudes et qui ne renie pas la conception de la civilisation qu’elle a infligée aux colonies, et qu’Aimé Césaire n’a cessé de dénoncer avec élégance et pertinence.
«… La France moutonnière aura préféré Senghor et ses mots fleuris, sa poésie de garçon-coiffeur, ses ‘‘versets’’, sa sotte imitation, pâlotte et ringarde, de Claudel, ses génuflexions d’acculturés et son culte imbécile d’une tout aussi imbécile civilisation de l’universel et d’une bâtarde francophonie, au style de pur-sang, de révolté, d’écorché vif d’un Alioune Diop, d’un Gontran Damas, d’un Césaire… Aimé Césaire restera la mauvaise conscience de ce XXe siècle, de ces générations qui donnèrent au monde le contraire de ce qu’elles espéraient. Il aura été de toutes les luttes progressistes de son temps. Il aura écrit, avec son Discours sur le colonialisme, le livre le plus concis, le plus fort sur ce thème. Il aura bâti la réfutation la plus solide de ce système.
Il aura été un écrivain supérieurement doué, un humaniste sincère, généreux. (…) Césaire fut une leçon d’honnêteté, une leçon d’amour de la langue française, un maître en écriture, un traceur de route, une école de style — lui, si parfait pur-sang — un repère.»(3)
Césaire est l’homme qui a dressé le réquisitoire le plus pertinent, le plus juste et le plus complet contre le colonialisme et son «œuvre positive». Conséquent avec lui-même, il convoque les textes à charge :
«J’ai relevé dans l’histoire des expéditions coloniales quelques traits que j’ai cités ailleurs tout à loisir. Cela n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Il paraît que c’est tirer de vieux squelettes du placard. Voire ! Etait-il inutile de citer le colonel de Montagnac, un des conquérants de l’Algérie Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes. » Convenait-il de refuser la parole au comte d’Herisson : « Il est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis. » Fallait-il refuser à Saint-Arnaud le droit de faire sa profession de foi barbare : ‘’On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres.’’ Fallait-il empêcher le maréchal Bugeaud de systématiser tout cela dans une théorie audacieuse et de se revendiquer des grands ancêtres :
« Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths » (…) Pour ma part, si j’ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n’est point par délectation morose, c’est parce que je pense que ces têtes d’hommes, ces récoltes d’oreilles, ces maisons brûlées, ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s’évaporent au tranchant du glaive, on ne s’en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé.»(4)
Il est intéressant de remarquer que la lecture du «Discours sur le colonialisme est chaque fois une source de ressourcement et surtout de conviction que ce discours peut bien être celui sur le néo-colonialisme». Césaire met ainsi un parallèle explosif entre le colonialisme et la Shoah : «Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.»(5)
On pourrait croire que le colonialisme fut une faute assumée. Il n’en fut rien, il s’est trouvé un président de la République française en 2007 qui, du haut d’une tribune à Dakar, à quelques encablures de l’île de Gorée, Nicolas Sarkozy semblait vouloir légitimer le colonialisme en affirmant : «Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire.»(6)
Les zoos humains
Pendant 150 ans, des hommes ont exhibé d’autres hommes dans des zoos
Non contents d’asservir et de saigner à blanc les pays subjugués, les pays esclavagistes «importaient» des Noirs pour les exposer afin de distraire les autochtones. Geoffroy de Saint Hilaire à Paris en a fait une entreprise lucrative :
«Les zoos humains, considérés comme une attraction, à l’époque de la colonisation, nous dit Nathalie Funès, ont attiré 1,5 milliard de visiteurs en Europe et aux Etats-Unis entre le milieu du XIXe siècle et 1940. Au début du XIXe siècle, les exhibitions des ‘’sujets’’ des empires coloniaux en Afrique, en Asie, en Amérique et en Océanie commencent à se populariser. Les « indigènes » s’exhibent dans les foires et dans les cirques. Le cas le plus célèbre à l’époque est celui de Saartjie Baartman, la ‘’Vénus hottentote’’, née en Afrique du Sud et emmenée à Londres en 1810 exposée nue, derrière une cage. Son squelette ne sera restituée par la France qu’en 2002. À la fin des années 1870, le phénomène des zoos humains se développe et devient une attraction très prisée. La foule se presse pour voir des ‘’sauvages’’, des hommes, des femmes, des enfants, qui sont placés au même niveau que les animaux, L’exposition universelle de 1889, destinée à célébrer le centenaire de la Révolution française, vise aussi à montrer à la Métropole la réalité de l’empire et le bien-fondé de la colonisation. Les zoos humains viennent ‘’prouver’’ la supériorité des Blancs. Les ‘‘sauvages’’, amenés, souvent de force, par bateaux, directement des colonies mènent leurs activités quotidiennes, mangent, se lavent, dorment, sous le regard des curieux. En 1906, Marseille est la troisième ville à accueillir une exposition coloniale. La manifestation accueille 1,8 million de visiteurs. Après la guerre de 14-18, les zoos humains vont connaître une décennie d’apogée, avec des recruteurs locaux, spécialisés auparavant dans les animaux, et des troupes qui peuvent atteindre 200 ‘’figurants’’. Après l’apogée, viendra le déclin. C’est l’exposition coloniale internationale de 1931, à Paris, qui va déclencher la polémique et sonner le glas des zoos humains.»(7)
Comment se propage le racisme et comment l’éradiquer ?
Nous sommes au XXIe siècle dans le monde du corona, et faisant pour l’académicien Dany Laferrière, «le racisme est un virus». Cette analogie avec le coronavirus vient à point nommé avec une troublante analogie dans l’invasion et la létalité. Ecoutons-le :
«le racisme naît, vit et pourrait même mourir un jour. Il est contagieux et se transmet d’un être humain à un autre. Toutefois, sa rapidité de contagion varie selon le lieu ou la situation. On peut d’ailleurs créer de toutes pièces des situations qui augmenteraient sa vitesse et sa puissance, alors que d’autres la diminueraient. Si le chômage fait soudain rage, on pointe alors du doigt les nouveaux venus qui conservent en eux, semble-t-il, ce gène de la misère qui permet au racisme de féconder. C’est en voyant un malade qu’on apprend l’existence du virus, sinon il reste invisible. Ce qui fonde l’idée que le malade est responsable de la maladie. Si le Blanc pense que c’est avec le Noir que ce virus est arrivé en Amérique, le Noir croit, lui, que c’est la cupidité du Blanc à vouloir exploiter son énergie qui le garde encore vivant. Il n’y a pas de Noir sans Blanc, comme il n’y a pas de Blanc sans Noir.»(8)
«On se demande, poursuit-il, quand tout a commencé en Amérique ? Il y a 400 ans, avec le commerce d’esclaves. Les premiers bateaux négriers sont arrivés à ce moment-là sur les côtes d’Amérique. Cela peut sembler lointain, mais, sur le plan historique, c’était hier. Les petits-fils d’esclaves font tout pour se rappeler «ces siècles sanglants» tandis que les petits-fils de colons font tout pour les oublier. On ne pense pas toujours à la même chose au même moment. On peut faire remonter la conception du virus quand l’Europe s’est mise à fantasmer sur cette énergie gratuite et inépuisable : la force de travail de l’esclave. Le but c’est l’argent. Faire travailler les autres gratuitement, avec droit de vie et de mort sur eux. On trouve encore des gens aux États-Unis qui pensent avec nostalgie à cette époque. Je dis États-Unis parce que les derniers événements s’y sont déroulés, mais je souris de voir l’Europe s’étonner de la violence du racisme américain, oubliant qu’elle était à l’origine de toute cette histoire. C’était la première pandémie puisque au moins trois continents étaient impliqués : l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Il y a un point qui reste mystérieux : le racisme est capable d’apparaître dans les régions les plus reculées (…) Le virus peut-il passer de l’homme à l’animal ? On pourrait le croire en voyant dans le sud des États-Unis, il n’y a pas si longtemps, des endroits publics où c’est affiché : ‘‘Interdits aux nègres et aux chiens’’.»(8)
Convoquant l’Église qui légitime la condition biblique des Noirs, Dany Laferrière l’amalgame avec le pouvoir de Colbert :
«Pour que l’esclave puisse accepter sa condition de bête de somme cela requiert une participation de tous les corps de métier qui ont une certaine influence sur la société. L’Église lui fait comprendre que tant de souffrance sera récompensée par une place certaine au paradis. Un article du Code noir qui régit tous les aspects de la vie de l’esclave stipule que ‘’le nègre est un bien meuble’’. On est en plein siècle des Lumières. Pourtant, l’esclavage va fleurir durant cette époque de haute philosophie et de progrès scientifique. On se demande même si le Noir possède une âme. On remarque alors que plus le virus s’installe, plus la police se croit puissante. Une fois qu’il est là, c’est difficile de l’extirper du corps. On cherche ou on fait semblant de chercher un vaccin pour le tuer. Mais en fait, c’était sans compter sur la pièce maîtresse : l’argent. Car tout le monde cherche à s’enrichir par la traite négrière. Même les philosophes – Voltaire en tête – possédaient des actions à la Compagnie des Indes. C’est l’argent qui a permis au virus de se propager. Au point que le raciste se demande de quoi on l’accuse. Si l’Afrique du Sud l’a perfectionné avec l’apartheid, l’Amérique avait compris longtemps avant qu’il fallait une distance sociale. Étrangement cette fois, la distanciation sociale permet au virus de garder sa vigueur. Rapidement les États du Sud ont mis en place un système sanitaire qui écarte dans tous les actes de la vie quotidienne le Blanc du Noir. Il ne fallait pas qu’ils soient ensemble dans la même pièce. Il ne fallait pas qu’ils fréquentent les mêmes bars sauf s’il y a deux entrées. C’était aux Noirs de se tenir à distance.»(8)
«Je ne sais pas, conclut l’auteur, par quel étrange raisonnement on a conclu que le virus du racisme n’était pas chez le Blanc mais chez le Noir, qu’il n’était pas chez le maître mais chez l’esclave. C’est pour cela qu’on a mandaté la police pour protéger le Blanc du Noir. Car c’est de sa faute si le Blanc est raciste. On ne lui reproche rien d’autre que d’être Noir. Des penseurs ont affirmé que n’importe qui peut être raciste. N’importe qui peut être un salaud ou un tueur, mais le racisme est un virus particulier. Il a besoin d’un porteur qui se croit supérieur à tout autre individu différent de lui, tout en pensant que le Noir est au bas de l’échelle. Sait –il qu’il y a quelques siècles cet homme aurait été son ‘’bien meuble’’. Pendant longtemps on a cru que le raciste ressemblait à ces hommes qui portent des cagoules pointues et de longues robes blanches pour se réunir la nuit sous de grands arbres avec des torches et une croix en flammes. On sait aujourd’hui que le virus a atteint presque tout le monde après quatre siècles. Et que la plupart des porteurs sont sains, c’est-à-dire qu’ils l’ont mais n’en souffrent pas. Le pire c’est qu’ils peuvent le transmettre. Supposons que nous en sommes tous atteints : ceux qui subissent comme ceux qui infligent, et qu’il n’y a pas de guérison possible sans un effort collectif. Vous avez vu l’énergie et l’argent dépensés pour l’autre virus, et cela même sans espoir d’une éradication totale? Si nous mettons le même effort, même s’il faut bloquer un moment le système, pour éradiquer une fois pour toutes ce virus du corps humain. Juste un effort pour détruire le virus, sans le relier à une race, ou à un passé même sanglant, même injuste. Ce sera un très lent processus, mais si nous réussissons nous aurons l’impression d’être moins idiots.» (8)
Mohammed Ali et sa fameuse réplique
Il y eut quelques défenseurs de la cause des Noirs. Nous nous souvenons tous de Martin Luther King avec son fameux «I have a dream» de Malcom X, assassinés. Angela Davis, grande figure condamnée à mort en 1972 mais graciée après une mobilisation internationale. Mohammed Ali, à sa façon, lutta contre le racisme. Invité de Bernard Pivot dans l’émission «Apostrophes» en 1976 , à l’occasion de la sortie de son livre Le Plus Grand, il a vivement réagi aux propos d’un autre invité qui a qualifié ses discours de «fanfaronnades». :
«Le boxeur américain a répliqué avec force et panache. Un grand moment de télé qui résonne avec l’actualité. ‘’Un Noir qui ouvre sa gueule pour dire qu’il est le plus grand, ça, ça vous gêne ! Cette fanfaronnade gêne les Blancs plus que les Noirs. Parce que, pour les Noirs, je peux vous assurer que ça leur donne le sentiment de confiance. Parce que n’oubliez pas que nous sommes les inférieurs. Et eux sont fiers de voir un de leurs frères dire aux gens ce qu’il a à leur dire. Les Noirs ont l’impression d’être traités comme des animaux. Alors c’est une revanche pour eux quand ils me voient. C’est une inspiration pour eux. Vous, vous n’aimez pas beaucoup ce genre de fanfaronnades. Parce que vous vous dites : ‘’Quel est ce Noir qui ouvre sa grande gueule ? Nous ne lui avons jamais appris à se comporter de la sorte ! Les gens comme ça, nous en avons fait des esclaves. Nous n’avons jamais appris à ces gens-là d’être fiers (…) Quel est ce Noir qui subitement se permet d’ouvrir sa grande gueule pour dire qu’il est le plus grand ?’’ Alors ça, ça vous gêne !’’.» (9)
«Fin psychologue qui étudie bien l’adversaire avant de le mettre KO. Face à ce parterre de ‘’lumières’’ condescendantes, Mohammed Ali a fait mouche en disant la vérité. Cette vidéo mérite plusieurs lectures. Quelque part, elle rétablit l’équilibre du genre humain. C’est-à-dire l’égale dignité de la race humaine. Cette vidéo vient à point nommé pour déconstruire des stéréotypes. Ceux des races supérieures, de la destinée manifeste et autres ‘’certitudes’’ coloniales d’une doxa occidentale sur le déclin.»(10)
Les statues déboulonnées comme solde de tout compte ?
«Faut-il oui ou non déboulonner les statues des personnages historiques connus pour leur cruauté, leur racisme et leur violence ? Alors qu’ici et là, des bronzes sont jetés au sol par des manifestants antiracisme, le débat fait rage. Il divise non pas racistes d’un côté et non-racistes de l’autre, mais deux stratégies différentes. D’un côté, il y a ceux qui considèrent que la représentation de ces personnages doit disparaître du paysage commun. Histoire de ne pas perpétuer l’image du mal. Et, d’un autre côté, il y a ceux qui veulent les préserver pour que l’on puisse regarder notre histoire en face, la connaître, la juger… et éviter de la répéter. Conserver des monuments non plus pour honorer les personnes à qui ils sont dédiés mais pour ne pas oublier les crimes de l’histoire ? Pourquoi pas, à condition, comme le suggère l’écrivain belge Thomas Gunzig, de re-contextualiser ces monuments et de dire toute la vérité sur les personnages qu’ils représentent. Pourquoi cette position ? Il s’en est expliqué très clairement et avec beaucoup de panache : ‘’Non, il ne faut pas déboulonner les statues de Léopold II. ll ne faut pas parce que ce serait beaucoup trop gentil pour lui. Je ne veux plus le voir. Alors on enlève les statues. Alors je n’y pense plus. Alors j’oublie. Alors c’est comme si rien ne s’était passé. Et l’oubli, comme vous le savez, c’est l’autre nom du pardon.’’» https://positivr.fr/thomas-gunzig-deboulonner-statue-leopold-2-racisme/ 11 juin 2020
Conclusion
Le néocolonialisme est aussi brutal, mais, mondialisation oblige, on colonise à distance, on dépèce à distance, on tue même sans voir certaines fois, on décide du destin des hommes à partir d’une salle climatisée. La vigilance est de mise et le discours de Césaire n’a pas pris une ride. La prédation sous de nouveaux habits est toujours là. La mondialisation et le néolibéralisme qui laminent les faibles sont les nouvelles formes de colonisation, partis pour durer si on ne s’indigne pas constamment et ne déjouons pas les pièges multiples de la prédation du monde. Il ne peut pas y avoir un solde de tout compte envers un Occident, sûr de lui, dominateur. L’ensauvagement de l’Occident est là !
Nous prendrons à notre compte cette tirade de Gilles D’Elia sur l’obscène discours de Dakar de Nicolas Sarkozy et qui n’a pas pris une ride : «On a beaucoup commenté la tirade sur ‘’l’Homme africain’’ de Nicolas Sarkozy. Comme si une ligne rouge avait été franchie. Il n’est pas certain que ce soit le cas, ce verbiage décomplexé ayant tout d’une stratégie d’officialisation d’un discours dominant déjà installé depuis fort longtemps. ‘’L’Europe est indéfendable’’ : ces trois mots, qui ouvrent le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, sont un poison dangereux pour les scribes du pouvoir. Car nous savons maintenant que le dernier moment de la colonisation consiste à coloniser l’histoire du colonialisme. Même lorsque les colons seront partis, tout restera à faire. Car la colonisation n’est pas un phénomène singulier, un accident regrettable de la noble histoire occidentale, elle est la conséquence d’un régime politique précis : le capitalisme. Et tant que ce régime sera debout, jamais il ne pourra raconter la véritable histoire du colonialisme, car il se condamnerait du même coup.» (11)
Naturellement aussi, on invoquera l’esclavage pratiquée par les Arabes et les musulmans et on passera naturellement sous silence l’esclavage dont s’étaient rendus coupables les négriers européens juifs. Toutes ces pratiques honteuses sont condamnables. Cependant l’esclavage occidental perdure d’une façon ou d’une autre sous la forme d’un racisme qui peut être primaire ou mondain avec en toile de fond, l’impossibilité pour un allogène noir, arabe, musulman de prétendre au fameux triptyque Liberté, Egalité, Fraternité, pour cause entre autres, de plafond de verre. Nous ajoutons que les repentances hypocrites, les déboulonnages de statues ne sont que la partie visible du malentendu initial, celui de croire appartenir à une race supérieure. Le racisme est consubstantiel de la conviction de l’Homme blanc qu’il appartient à une race élue et qu’à ce titre Dieu lui a dit de gouverner le monde quitte à semer le chaos. Est-ce ainsi que les Hommes vivent ? disait Aragon. La question reste posée.
Professeur Chems Eddine Chitour
École polytechnique, Alger
Notes :
1. Nathalie Funès https:// www .nouvelobs. com/histoire/ 20190204.OBS9565/comment-la-france-a-aboli-une-premiere-fois-l-esclavage.html
2. Catherine Coquery-Vidrovitch https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/06/en-occident-l-heritage-de-la-longue-histoire-de-l-esclavage-c-est-le-racisme-anti-noirs-et-l-importance-de-la-couleur-de-la-peau_5294996_3232.html Interview par Anne Chemin
3.http://.blogs.nouvelobs.com/adieu-cesaire-ceux-qui-te-pleurent-te-saluent.html/ 2008/04/17
4. Écrits de Césaire dans C. E. Chitour http://www.alterinfo.net/Aime-Cesaire-Son-combat-pour-la-dignite-humaine-vaut-mieux-que-mille-titre-d-academicien_a19069.html
5. http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/aime-cesaire-le-plus-grand-137897
6. http://www.liberation.fr/contre-journal/ 010179178-sarkozy-l-anti-cesaire 21 avril 2008
7. Nathalie Funes https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20181128.OBS6158/pendant-150-ans-des-hommes-ont-exhibe-d-autres-hommes-dans-des-zoos.html
8. Dany Laferrière https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20200610.OBS29913/le-racisme-est-un-virus-par-dany-laferriere.html
9. Axel Leclercq https://positivr.fr/mohamed-ali-apostrophes-1976-fierte-noirs/? 16 juin 2020
10. www.facebook.com/watch/?v=335407247450945
11. https://www.liberation.fr/contre-journal/2008/04/21/sarkozy-l-anti-cesaire_70091
Article de référence https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/le-racisme-et-le-mythe-des-races-superieures-loccident-en-questionnement-44040
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca