Un texte d’Isabelle Gagnon
George Floyd a été tué il y a un peu plus d’un mois. Peu après ont débuté des manifestations massives et parfois violentes, ainsi que des représailles souvent très sévères pour les réprimer. Si la question de la justice pour les personnes noires et les personnes de couleur aux États-Unis n’est pas nouvelle, elle n’avait pas suscité de mouvement de cette ampleur dans les dernières décennies. Comment faire sens de cette immense mobilisation à ce moment-ci de l’histoire ? Serait-il possible que la crise de la COVID-19 ait contribué à son déclenchement ?
Une partie de la réponse réside sans doute dans l’impression, plutôt répandue avant la pandémie, qu’il est impossible de mobiliser la société entière vers un but commun, plus particulièrement un but de protection de soi et de son prochain. Et en dépit de la mauvaise gestion de certains acteurs américains dans le contexte de la pandémie, l’expérience de cette crise a pu attiser le sentiment du commun et un désir d’unité pour la société américaine.
Ils auront pu trouver à même cette crise sanitaire le courage et l’empathie nécessaires pour affronter un autre problème, cette fois relatif au tissu identitaire et judiciaire de leur société.
Malgré tout, cette mobilisation est très différente de celle mise en place autour de la pandémie. Elle est extérieure, donc en opposition au confinement, et elle répond à une violence entre humains laissée sans conséquence. Elle a même l’allure, à certains égards, d’une réponse à la situation sociale créée par la pandémie.
Les statistiques dangereusement confortables
L’écrivain et philosophe français Fabrice Hadjadj, directeur de l’Institut Philanthropos en Suisse, a récemment diffusé sur YouTube une série de vidéos concernant la crise de la COVID-19. Parmi ces vidéos, présentées comme des cours, on retrouve « L’épidémie des chiffres : David et le corona ». Dans cette vidéo, le philosophe analyse le passage du deuxième livre de Samuel où David recense la population d’Israël (24, 1-25). Le roi David reçoit un châtiment en raison de ce recensement, car il a cherché à réduire à de simples chiffres les individus en Israël.
Hadjadj compare ce dénombrement à l’approche des scientifiques, des statisticiens et des médias à l’égard de la pandémie dans les derniers mois. Ils ont tous cherché à créer l’illusion de contrôle sur un phénomène jusqu’alors inconnu, inattendu, et qui s’avère encore loin d’être prévisible. Isolés dans la masse des nombres, de décès et de cas de COVID-19, les Américains se sont sentis « anonymisés » et contrôlés.
La soif d’individualité, mais surtout de charité, s’est alors agrandie.
Pour mettre fin au châtiment de David (qui est, de façon plutôt ironique, une peste), Yahvé lui intime de trouver un certain Arauna le Jébuzéen, et d’élever un autel au Seigneur sur sa terre. Or, les Jébuzéens ne font pas partie des peuples recensés par David. Hadjadj estime donc que pour remédier aux conséquences des efforts par trop statistiques et déshumanisants de David, il faut se tourner vers un homme avec un nom, une tribu et une famille, et que celui-ci ne peut qu’échapper à sa volonté de contrôle, et ainsi le rapprocher de Dieu.
Mettre un nom
Fabrice Hadjadj a réalisé cette vidéo avant le 25 mai, date de l’assassinat de George Floyd. Pourtant, la première personne qui m’est venue en tête en pensant à Arauna le Jébuzéen est justement George Floyd. Cet homme a mis un visage, un nom, une vie entière dans le cœur des gens pour accompagner leur quête de justice.
Combiné au courage nouvellement retrouvé et exercé dans la crise de la COVID-19, la soif de justice et de charité présente dans les manifestations, du moins dans ses meilleures formes et intentions, a pu souligner un fait de notre humanité : nous sommes destinés à reconnaître pleinement et charitablement l’humanité en l’autre.
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Source: Lire l'article complet de Le Verbe