L’antiracisme et l’«antipolice» : fourvoiement dans le bourbier communautariste

L’antiracisme et l’«antipolice» : fourvoiement dans le bourbier communautariste

Par Khider Mesloub.

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29.06.2020-antiracism-English-Italiano-Spanish

Paradoxalement, au moment où la classe dominante américaine avait absolument besoin de la confiance du peuple en « Sa » police pour assurer le maintien de l’ordre contre les inévitables révoltes sociales provoquées par la crise économique et sanitaire, Trump a brisé cette confiance. Au moment où le capital américain avait absolument besoin de l’union nationale pour pouvoir livrer sa guerre à la puissance économique rivale chinoise, Trump a torpillé cette union militarisée. Au moment où l’économie nationale avait absolument besoin de la soumission des travailleurs pour leur faire accepter les inévitables sacrifices, Trump a excité le tempérament subversif des travailleurs par sa politique répressive policière. Une chose est sûre : Trump, par son irresponsable persévérance à s’aliéner, et sa population meurtrie par la détérioration de ses conditions sociales et ses alliés du pouvoir, notamment ses fidèles du Parti républicain et une grande partie de l’État-major de l’armée, encourt le risque d’être, ou destitué ou tué. À moins que ces protestations identitaires cornaquées par Black Lives Matter  (BLM : « les vies noires comptent »), instrumentalisées par la classe dominante, arrangent politiquement le gouvernement Trump par leur pouvoir de dévoiement et de corruption de la colère sociale, ou la faction de la bourgeoisie américaine affiliée au Parti démocrate, intéressée, elle, par la perspective d’embrigadement électoraliste des afro-américains dans la prochaine bataille électorale présidentielle prévue au mois de novembre 2020 ?

Aujourd’hui, depuis le meurtre de George Floyd par un policier, aux États-Unis comme en France, on assiste à des manifestations contre les violences policières exprimées sur fond d’antiracisme. Tout se passe comme si l’antiracisme sert d’instrument de diversion politique tendu par les classes dirigeantes pour dévoyer les luttes sociales sur des revendications stériles racialistes. Au final, au lieu de dénoncer les violences sociales infligées à des centaines de millions d’individus, réduits au chômage ou mis en faillite, les « citoyens » sont invités à vitupérer contre les violences policières assénées à quelques dizaines de personnes. Bien loin de condamner l’ « assassinat sanitaire » de plus de 500 000 personnes tuées par le coronavirus du fait de l’incurie criminelle des États, les « peuples », aujourd’hui précipités pourtant dans la misère sociale, préfèrent participer aux festivités processionnelles communautaristes organisées pacifiquement dans la rue pour blâmer la brutalité et la discrimination policières. Au lieu de lutter contre la menace réelle de la mise au chômage de plus d’un Milliard de travailleurs, aujourd’hui réduits déjà à la misère faute de revenus réguliers, la population laborieuse se complait dans la bataille menée contre le fantasmagorique racisme.

Certes, les manifestations n’ont pas été initialement déclenchées par la classe dominante. Mais celle-ci est parvenue rapidement à procéder à la récupération du mouvement de protestation en le confinant dans le combat interclassiste de l’antiracisme. Depuis lors, on assiste à la récupération bourgeoise de la colère légitime des opprimés. Aussi ce mouvement de protestation mondiale ne peut-il a priori emprunter la voie de l’émancipation sociale du fait de son dévoiement par la classe dominante vers les sentiers fangeux de l’antiracisme, cet avatar immortel de l’antifascisme. Les mobilisations actuelles ne préfigurent nullement l’amorcement de l’affrontement de classes. Bien au contraire : ces mobilisations racialistes constituent un frein à la maturation de la conscience de classe, une entrave au projet d’émancipation révolutionnaire prolétarien.

“Aujourd’hui, ce n’est plus que le combat de la famille Traoré, c’est votre combat à vous tous (…). Aujourd’hui, quand on se bat pour George Floyd, on se bat pour Adama Traoré”, avait lancé Assa Traoré, sœur aînée d’Adama, face à des manifestants qui scandaient “Révolte” ou “Tout le monde déteste la police”. En pleine période d’état d’urgence, plus de 20 000 personnes ont pu manifester en dépit de l’interdiction ordonnée par la préfecture. De même aux États-Unis, des milliers de personnes ont pu manifester dans plus de 140 villes sans rencontrer aucune répression. Tout s’est passé comme si le pouvoir avait délibérément laissé les manifestations antiracistes se dérouler librement en dépit des risques de transmission du Covid-9 et des pillages occasionnés par certains protestataires. Les saccages de magasins et d’infrastructures publiques sont l’œuvre de  la petite-bourgeoisie paupérisée désenchantée et du lumpenprolétariat gangrené par la délinquance et la criminalité. Les pillages et destructions desservent les intérêts du prolétariat. Aussi, faut-il condamner avec fermeté ces mœurs de voyous, étrangères à la « morale » du mouvement ouvrier, pour qui chaque Bien et Produit est l’œuvre de son travail, et doit donc être préservé des nuisances prédatrices  et destructrices du lumpenprolétariat parasitaire, surtout doit  être protégé pour pouvoir être potentiellement réapproprié par le prolétariat lors de sa lutte émancipatrice.

Depuis la mort de George Floyd, tout ce que compte la société américaine d’organisations associatives et politiques s’est mise à enfourcher son canasson de combat antiraciste. Ironie de l’histoire, tous les Américains ont adopté le symbole de la génuflexion (signe religieux de soumission) pour exprimer leur solidarité à George Floyd. Or, cette posture rappelle étrangement la position adoptée par le flic tueur quand il a écrasé son genou sur la tête de George Floyd pour l’étouffer. Cela expliquerait la promptitude avec laquelle de nombreux policiers et politiciens américains (et du monde) ont adopté ce geste d’écrasement du genou sur le sol en guise d’hommage (rendu probablement, par une forme de pied de nez, à Derek Chauvin, le policier meurtrier).

De manière générale, si, initialement, les protestations de colère étaient légitimement justifiées pour dénoncer le meurtre de George Floyd, la suite des manifestations ponctuées de pillages, actionnées sur fond d’antiracisme de couleur politique interclassiste, ne pouvait que nuire à l’action collective du prolétariat mondial sans couleur ethnique, en proie actuellement à une dégradation dramatique de ses conditions de vie.

À évidence, cette explosion spontanée de la colère n’a pas été provoquée uniquement par le nouveau meurtre d’un noir. Cette explosion sociale est l’expression de la dramatique dégradation des conditions de vie du prolétariat américain. Aujourd’hui, plus de 40 millions de travailleurs américains sont au chômage, sans revenus, ni protection sociale et médicale.

Une chose est sûre : la focalisation sur les brutalités de la police ne perturbe aucunement le système capitaliste. Au contraire, elle lui sert d’exutoire coléreux, de divertissement populaire, de diversion politique. En effet, dans ces manifestations « anti-flics », ce n’est pas la fonction foncièrement répressive de la police de classe qui est incriminée et fustigée, mais uniquement les dérapages racistes de quelques policiers. Or, ironie du sort, il est fort à parier que le policier américain, responsable de la mort de George Floyd, n’est pas plus raciste qu’un autre fonctionnaire de l’État américain, mais un dévoué flic zélé qui a accompli sa mission avec les mêmes techniques militaires de neutralisation enseignées dans toutes les écoles de police des pays du monde capitaliste, notamment la technique meurtrière de plaquage ventral ou la technique dite de la « clé d’étranglement ». Aujourd’hui, la police est devenue le bouc émissaire opportunément providentiel pour détourner la colère sociale. Cette fixation colérique obsessionnelle sur la police a pour dessein de dédouaner les véritables coupables des mesures répressives sociales et politiques : les juges qui embastillent de manière discrétionnaire et discriminatoire, les politiciens et dirigeants gouvernementaux, responsables de la misère sociale, les patrons, ces négriers des temps modernes, exploiteurs des travailleurs, qui ont droit de mort sociale sur l’ensemble des salariés, les bureaucrates syndicalistes, ces agents du capital chargés d’encadrer les travailleurs pour les maintenir dans l’asservissement salarial.

En réalité, on focalise sur la brutalité de la répression policière pour mieux escamoter les répressions sociales, professionnelles, patronales, médiatiques, scolaires, etc. Cette polarisation idéologique sur l’institution policière contribue à la stratégie de dévoiement et d’escamotage de la réflexion politique sur les fondements spoliateurs et oppressifs du système capitaliste, sur la fonction dominatrice despotique des classes dirigeantes. L’institution policière, bras armé de l’État des riches, est rendue responsable de toute la misère sociale. La police est fasciste, violente, scandent les manifestants (feignant oublier de préciser que cette institution de protection des riches est l’organe de la violence légale de l’État, comme s’il pouvait exister dans notre société de classe une police humaniste et pacifique au service des intérêts du peuple).  Bien évidemment, toutes les autres institutions de classe, notamment l’État, le Parlement, le Patronat, la Justice, la Prison, les Partis politiques mafieux, la Classe politique, les Organisations syndicales (véritable police salariale au service du patronat), sont « démocratiques », « humanistes », « antiracistes ». De là s’explique  que ces institutions soient épargnées par les réquisitoires des protestataires respectueux des institutions bourgeoises. Seule la police est ciblée par les manifestants, ces pudiques vierges effarouchées scandalisées par la brutalité policière, mais jamais révoltées contre la dictature tentaculaire du système global capitaliste.

Fréquemment, on parle de police raciste, pour éluder délibérément de préciser que la police est bourgeoise (classe pour la défense de laquelle elle œuvre). Or, il serait plus juste de rappeler que la bourgeoisie, elle, a toujours été foncièrement raciste. Le racisme est consubstantiellement inscrit dans le programme économique et politique de la bourgeoisie. Il est gravé dans ses gènes. Dès sa naissance, la bourgeoisie européenne, cette « race patronale », a pratiqué le « racisme social » contre ses populations autochtones réduites à l’esclavage salarial dans ses nouvelles manufactures. On l’oublie souvent : les premiers « immigrés » à subir le racisme de classe ont été les paysans indigènes (français, anglais), contraints d’abandonner leur terre pour se faire exploiter dans les fabriques des bourgeois. Plus globalement, le capitalisme n’aurait jamais pu se développer, croître, se mondialiser, sans la traite des esclaves noirs et l’assujettissement colonial des peuples indigènes d’Afrique, d’Asie et des Amériques. Le racisme (de classe) est l’ADN du capitalisme. Depuis ses origines, il vit de l’asservissement salarial de la majorité de la population laborieuse. Depuis toujours, il a instrumentalisé les différences raciales pour diviser les exploités, les dresser les uns contre les autres. Depuis quatre siècles, la « race » des capitalistes exerce sa suprématie économique et sociale sur l’immense majorité de la population laborieuse mondiale, réduite à l’esclavage salarial, contrainte de vendre sa force de travail afin de survivre.

C’est contre ce racisme structurel social et économique qu’il faut lutter. C’est contre cette « race » des négriers des temps modernes, qui exerce un droit de vie et de mort sociale sur l’ensemble de la population laborieuse mondiale, qu’il faut se battre. Ironie de l’histoire, le racisme structurel de la bourgeoisie est avalisé par le Code du travail (véritable « Code noir »), ce code esclavagiste salarial de l’époque moderne « démocratique », qui permet à la « race » des exploiteurs capitalistes d’asservir « légalement » l’immense majorité du prolétariat international et de la population mondiale.

Quoi qu’il en soit, les gesticulations antiracistes ne contribuent nullement à la maturation de la réflexion politique, à l’affermissement de la lutte de classe. L’antiracisme, comme son prédécesseur l’antifascisme, demeure une idéologie bourgeoise interclassiste, ce salmigondis de classes censé humaniser le capitalisme, moraliser l’État par essence despotique. Par ailleurs, l’antiracisme est l’arme opportune pour diviser le prolétariat par la victimisation raciale, autrement dit par l’invention permanente de victimes encore plus victimes que d’autres. Cette surenchère à la victimisation raciale n’a d’autre justification que l’avidité d’obtenir quelques dédommagements financiers ou quelques lucratives sinécures au sein de la société de l’ancien maître, notamment pour ces activistes antiracistes en quête d’ascension sociale dans le giron du système capitaliste, jamais dénoncé, encore moins combattu par les antiracistes.

Fondamentalement, c’est sur le terrain social et non racial qu’il faut inscrire la lutte contre le système capitaliste, par essence raciste. Comme s’il pouvait exister un capitalisme propre, dépourvu de pollution raciste et de politique répressive. L’idéologie de l’antiracisme a toujours placée la lutte sur le registre racial. Elle inscrit la lutte non pas autour de la classe sociale majoritaire opprimée par le capitalisme, le prolétariat mondial, mais autour d’une communauté ostracisée (hier la juive, aujourd’hui l’arabe et la « noire », demain le « peuple » inuit). Or, pour anéantir le racisme, consubstantiellement inhérent à la « race » de la classe bourgeoise dominante, il est fondamentalement indispensable d’éradiquer le mode de production capitaliste sur lequel prolifèrent toutes les pestilentielles formes d’oppressions : sociales, salariales, économiques, politiques, raciales, etc.

Enfin, depuis quelques jours, la mode est au déboulonnage des statues de vestiges symbolisant les anciens négriers. C’est plus audacieusement commode, pour ces téméraires révolutionnaires d’un soir, de déboulonner à la sauvette des statues inoffensives que de démanteler au grand jour les Statuts dominants de la classe exploiteuse et despotique contemporaine, toujours aux commandes de la société d’exploitation capitaliste actuelle !

Mesloub Khider

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