Le racisme soulève avec raison les indignations sociales actuelles. Mais la question est hautement passionnelle, donc volatile. Il n’est alors pas inutile de prendre du recul et de l’examiner sous l’angle, plus froid, de l’exclusion. Cette exclusion qui risque fort de mener à une contre-exclusion si l’on ignore que le combat contre la déshumanisation de l’autre passe d’abord par la lutte personnelle au plus intime du cœur de l’homme.
Le racisme, une question à refroidir
La question du racisme est brutalement revenue sur le devant de l’actualité, d’abord états-unienne, puis occidentale. Pas ailleurs, bizarrement : l’Occident qui naguère dominait le monde, trône désormais au palmarès de la culpabilité universelle.
Quoi qu’il en soit, le douloureux racisme plonge ses racines dans une histoire complexe. Il cristallise des tentations identitaires de part et d’autre, où la passion l’emporte souvent sur la raison. Et l’on peut comprendre que tant de souffrances et de rancœurs enfouies sous une dalle épaisse de silence puissent provoquer ce vomissement, amplifié par la plupart des médias, selon leur habituelle complaisance.
L’exclusion se fondait autrefois sur une supériorité technologique, économique ou militaire. Elle sera désormais fondée sur une supériorité morale, sur une pureté de victime incapable de faire le mal et qui projette sur l’ancien oppresseur le monopole du mal et de l’opprobre. Simple transfert, mais toujours le même niveau d’injustice.
Sauf qu’on ne réfléchit jamais aussi bien à une chose, a fortiori à la douleur, qu’en s’en distanciant : ce que l’on perdra forcément en intensité et en témoignage, on le gagnera en clarté. Essayons donc de transposer le problème du racisme au niveau, plus général, de l’exclusion.
L’exclusion et l’exil de Dieu
Exclure l’autre, quelle qu’en soit la raison, revient à l’expulser d’un ensemble de réseaux de sens, d’obligations et de bénéfices. L’autre n’est plus contenu dans un écosystème social, culturel, économique. Du coup, il se retrouve comme en apesanteur, privé de lest, de densité humaine, de capacité de donner et de recevoir. L’autre est un non-sens, au mieux un sens dégradé. Toute tentative de contact et de récupération de dignité se solde par une gifle, qui est la seule façon de traiter la dégradation. Dès lors, que vaut la vie du défiguré ?
La question de Dieu surgit alors en pleine face. Si ce qui fonde la dignité humaine est le fait d’être créé à l’image et à la ressemblance du créateur ; et si, en langage chrétien, ce créateur s’appelle amour et relation, alors celui qui est investi d’une indignité aura été créé à l’image et à la ressemblance d’un dieu pervers. Tout est alors possible. La bête de somme n’est pas loin, taillable et corvéable à merci en échange d’une gamelle quotidienne de nourriture et d’une paillasse qui restaureront cette masse brute de muscles. On s’en débarrassera quand elle ne sera plus utile.
La relation est radicalement faussée, à l’extrême limite au-delà de laquelle elle sera tout simplement supprimée.
L’exclusion et la contre-exclusion, un même problème
Cela dit, une fois mis au jour le scandale de l’humanité violée, comment faire marche arrière ? Comment rendre à celui qui est considéré comme un sous-homme son statut d’enfant de Dieu ?
Réparer ne suffit pas, car l’abîme créé par l’emmurement de l’âme ne peut plus être rempli. Tout au plus découvrira-t-on, au fond de l’impuissante rage ancestrale et de la douleur qui fuit toute parole, un sourd gémissement ou un grognement incompréhensible. Car trop d’exclusion atrophie l’âme au point d’en faire une étrangère à elle-même.
Pis même, si d’aventure cette âme avortée, d’où le reflet de Dieu est quasiment gommé, arrive à dominer et à prendre sa revanche, la question de l’exclusion ne sera qu’inversée et elle persistera toujours. On ne sera jamais trop prudent de se remémorer les jeux funèbres de Spartacus dans la vallée des Abruzzes, quand les Romains temporairement battus furent forcés à s’entretuer à leur tour dans des combats de gladiateurs.
L’exclusion se fondait autrefois sur une supériorité technologique, économique ou militaire. Elle sera désormais fondée sur une supériorité morale, sur une pureté de victime incapable de faire le mal et qui projette sur l’ancien oppresseur le monopole du mal et de l’opprobre. Simple transfert, mais toujours le même niveau d’injustice.
Pourtant, et aussi cruel que cela puisse sembler, une victime n’est pas pure ni innocente : le péché de l’oppresseur l’a souillée, car elle était souillable d’entrée de jeu. Une victime n’est pas l’agneau pascal et le christianisme ne connaît que deux êtres sans péché : Jésus-Christ et la Vierge Marie. Seul un être absolument innocent est capable de ne pas rendre le mal pour le mal. Il porte sur lui la souffrance. Il révélera simplement le péché sans transférer sur son ancien oppresseur l’horreur qu’il aura subie.
Aveuglement de la gauche diversitaire et de la contre-culture
On sait à cet égard l’irrémédiable tort qu’une certaine gauche justicière et agressivement angélique cause en glorifiant la victime (femme, homosexuel, noir, autochtone, transgenre, obèse, la liste est infinie du moment qu’elle exclut l’homme blanc hétérosexuel et chrétien), recyclant de la sorte une précédente mystique marxiste qui avait fait du prolétariat le nouvel agneau pascal immaculé.
Cette gauche obéit certes à une soif authentique de justice, mais la frontière avec un appétit de pouvoir nourri de ressentiment est dangereusement poreuse.
Il faut remettre Dieu à sa place et le laisser accomplir sa tâche. Le sortir de la relation abusive d’oppression pour qu’il constitue le troisième terme, celui qui restaurera le lien humain et social perverti, au-delà de l’injure la plus ulcérante et la plus déshumanisante.
Pour ce qui est du zèle inquisiteur, ce clergé autoproclamé n’a rien inventé. Torquemada est passé par là il y a quelques siècles, enrichissant la glorieuse cohorte des hystériques de la pureté. Que de gens injustement brûlés sous un crucifix menaçant de charité féroce !
On oublie que le combat contre l’exclusion et ses riches variantes commence nécessairement par un combat spirituel entre moi et moi. Ce qu’avait bien compris Gandhi, pour qui l’ahimsa, la non-violence, et le satyagraha, l’attachement à la vérité, étaient affaires à la fois personnelle et politique. Il concluait du reste son autobiographie, Mes Expériences de vérité, en soulignant que le plus grand combat n’est pas extérieur à soi-même. Il est au plus intime, contre les passions subtiles.
Le pardon et la croix, une question personnelle
C’est ce que proclame également le christianisme, pour qui le pardon n’est pas de l’homme, mais de Dieu. Je ne peux que recevoir et accepter le pardon divin. De même, l’exclu, le déshumanisé ne peut pardonner qu’en vertu de l’amour surnaturel.
L’amour humain tout seul, violé depuis des siècles, ne peut y parvenir. C’est l’erreur fondamentale, métaphysique, des gauches sociales, authentiquement indignées, mais qui ont aplati Dieu dans la justice et l’histoire humaines.
Il faut remettre Dieu à sa place et le laisser accomplir sa tâche. Le sortir de la relation abusive d’oppression pour qu’il constitue le troisième terme, celui qui restaurera le lien humain et social perverti, au-delà de l’injure la plus ulcérante et la plus déshumanisante. Autrement, si Dieu est pure immanence, la croix n’a aucun sens et ne peut qu’aboutir à une croix inversée. Ce n’est pas pour rien que Jésus, en croix, adresse cette supplique : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ». Ce n’est pas le Fils qui a pardonné, c’est le Père.
La croix seule permet d’aller au-delà du pire sadisme. Elle seule permet de réintégrer la plus profonde des douleurs et de résorber la plus mystérieuse malignité du cœur humain.
La croix et, son pendant inséparable, le pardon.
À ce niveau, que l’on soit de gauche ou de droite, noir ou blanc, chinois ou occidental importe peu.
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Source: Lire l'article complet de Le Verbe