Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté vendredi sur la place de l’Indépendance, dans le centre de Bamako, la capitale malienne, pour exiger la démission immédiate du président soutenu par la France, Ibrahim Boubacar Keïta (connu sous le nom d’IBK). Il s’agissait de la deuxième manifestation de masse pour l’éviction de Keïta ce mois-ci, après que des dizaines de milliers de manifestants étaient descendus dans la rue le 5 juin.
Ces manifestations ont été convoquées par la coalition de l’opposition bourgeoise officielle, qui s’est donné le nom de Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques. Beaucoup de ses figures de proue sont d’anciens membres du gouvernement ou partisans de celui-ci. Mais la revendication, qui se généralise dans la population, pour le départ du gouvernement est motivée par la colère face aux inégalités croissantes, exacerbées par la pandémie de coronavirus, la pénurie de services sociaux et la corruption. Et par le rôle du gouvernement dans les assassinats sectaires et les exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité soutenues par l’occupant français. IBK est devenu président en 2013 et est étroitement associé à l’intervention française dans le pays.
Les manifestants portaient des pancartes où l‘on pouvait lire, « IBK dégage », « la dictature ne passera pas » ainsi que des pancartes exigeant la libération des prisoniers politiques, « plus d’argent pour l’éducation » et « la fin du coronavirus ». Un manifestant, Diawara Issaka, a dit au Monde « On ne devrait pas être là, parce qu’il y a le corona. Le président avait promis un masque à chaque Malien mais personne ici n’en a reçu, c’est un menteur. Donc on vient ici pour contester ce mensonge comme tous les autres. » Des manifestants autour de lui confirment ses propos, ajoutant : « On en a marre. Nous, chefs de famille, ça fait trois mois qu’on n’a pas de salaire. »
La manifestation de Bamako vendredi
Jusqu’à présent, 1 933 cas de coronavirus ont été enregistrés au Mali et 109 décès confirmés.
La police a tiré des gaz lacrymogène pour disperser les manifestants, qui ont répondu en érigeant des barricades pour empêcher les forces de sécurité d’avancer.
Le gouvernement avait ordonné la réouverture des écoles le 2 juin malgré la pandémie, mais des milliers d’enseignants ont boycotté l’école et refusé de se présenter. Ils ont exigé non seulement des mesures pour les protéger de la pandémie, mais également des augmentations de salaire, officiellement annoncées par le gouvernement il y a quatre ans mais qui n’ont jamais été données. Selon les syndicats d’enseignants, seulement 35 pour cent des écoles publiques ont ouvert le 2 juin.
Le président Keïta a proposé cette semaine de former un gouvernement d’unité nationale comprenant des membres éminents de l’opposition ; il s’est également engagé à fournir les augmentations de salaire promises aux enseignants, afin de désamorcer le mouvement croissant. L’opposition officielle a refusé l’offre de Keita et a réitéré vendredi son appel à sa démission.
Le figure de proue de l’opposition officielle est le religieux islamique Mahmoud Dicko. Dicko a été une figure de proue du régime pendant de nombreuses années. Entre 2008 et 2019, il a dirigé le Haut Conseil islamique malien et a soutenu l’élection de Keïta en 2013. En septembre 2019, il a créé un mouvement d’opposition sur fond d’opposition croissante dans la population à l’occupation française et au gouvernement de Keïta. Adepte de l’islam wahhabite conservateur, il avait également servi d’interlocuteur entre le gouvernement et les forces islamistes insurgées.
Le 9 juin, les médias français ont rapporté que Dicko avait rencontré un groupe de responsables internationaux non identifiés, notamment des représentants des Nations Unies au Mali (MINUSMA), de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et de l’Union africaine.
Le gouvernement français n’a fait aucune déclaration publique en soutien ou en opposition aux manifestations contre Keïta. Mais il ne fait aucun doute qu’elle intervient activement pour assurer la défense continue des intérêts impérialistes français dans cette région sahélienne géo-stratégiquement importante.
La France est intervenue au Mali en janvier 2013, contre les forces séparatistes et islamistes venues de Libye au lendemain de la guerre de changement de régime de l’OTAN dans ce pays, en 2011. Elle y a maintenu plus de 4 000 soldats, portés à plus de 5 100 depuis le début de l’année, dans le cadre d’une coalition internationale qui comprend l’Allemagne, le Canada, les États-Unis et la force dite G5, composée de troupes du Niger, du Tchad, de la Mauritanie, du Burkina Faso et du Mali.
Le Mali est le troisième plus important producteur d’or d’Afrique après le Ghana (situé au sud du Mali) et l’Afrique du Sud. Il borde également le Niger, où la France a stationné des forces militaires dont des bases de drones, et d’où elle puise la majorité de ses approvisionnements en uranium, nécessaires à la production d’énergie nucléaire en France.
En février, le gouvernement Macron annonça une escalade significative de son intervention, faisant passer le nombre de troupes françaises de son ‘Opération Barkhane’ de 4 500 à 5 100, certaines déployées pour combattre directement aux côtés des troupes du G5.
L’intensification de l’intervention française s’est accompagnée d’une hausse du nombre de massacres ethniques, d’exécutions extrajudiciaires et de crimes de guerre, signalés par des groupes de défense des droits de l’homme. Il est largement admis que les forces du G5 appuyées par la France soutiennent la milice ethnique Dogon dans les massacres de communautés musulmanes peules, au motif qu’on les soupçonne de soutenir les forces islamistes. Le 23 mars 2019, une milice Dogon a massacré 160 villageois peuls, ce qui a déclenché une attaque de représailles tuant au moins 95 personnes.
Un récent rapport d’Amnesty International apporte des preuves que les forces de sécurité du G5 opérant côte à côte avec des soldats français sont coupables d’exécutions extrajudiciaires et de crimes de guerre.
Intitulé «Violations des droits de l’homme par les forces de sécurité au Sahel», ce rapport signale au moins 199 incidents de ce type en seulement trois mois, entre février et avril 2020, immédiatement après l’extension de l’intervention dirigée par la France.
Il cite l’exemple d’une attaque de représailles des forces de sécurité contre toute une ville après le meurtre de 20 soldats par des groupes islamistes le 26 janvier. Des soldats maliens sont intervenus une semaine plus tard, le 3 février, dans la ville de Kogoni-Peuhl, en tuant un berger et en arrêtant deux autres. «Lorsque les soldats sont arrivés, ils ont commencé à tirer. Beaucoup de villageois ont fui, ceux près de la mosquée ont sonné l’alarme et beaucoup d’autres ont fui dans la brousse… » a déclaré un témoin.
Lors d’un autre incident, le 7 février, dans le village de Massabougou, les forces de sécurité ont fouillé des maisons, arrêté 22 personnes et en ont exécuté huit sur place. Selon un témoin, ils étaient « arrivés vers 17 heures, tirant en l’air et arrêtant des villageois. De nombreuses personnes ont fui ou sont restées dans leurs maisons après l’arrivée des soldats. Ils ont fouillé les maisons, exécuté huit villageois de manière extrajudiciaire et emporté les autres avec eux à leur départ. »
Will Morrow
Article paru en anglais, WSWS, le 22 juin 2020
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