* Le 6 juin, je faisais part à une trentaine de responsables écologistes (français et belges) de ma perplexité en apprenant que, dans leur guerre contre la Chine, des Verts allemands se retrouvaient dans le même camp que l’agitateur populiste Steve Bannon, aux côtés de gens peu recommandables comme, par exemple, Gerolf Annemans (du Vlaams Belang)… * Réaction immédiate et courroucée de Philippe Lamberts, premier vice-président du groupe écologiste au Parlement européen. * Vous trouverez ci-dessous : – 1) mon interpellation, – 2) la réaction de Philippe Lamberts, – 3) ma réponse, – 4) … un silence assourdissant – qui m’autorise à rendre public ce trop bref échange.
1) Mon interpellation à une trentaine de personnalités écologistes (6 juin, 9 h 02)
Chère Madame, cher Monsieur,
L’article ci-dessous, tiré de “german-foreign-policy” (*), traduit par un de mes amis, nous apprend que des Verts allemands seraient en train de flirter avec Steve Bannon jusqu’à partager avec lui une odieuse campagne de “China bashing”.
J’ose espérer qu’aucun(e) d’entre vous ne partage ce point de vue et que vous vous désolidariserez publiquement de cette dérive.
Sur Hong Kong, je me permets de vous recommander l’article ci-joint, dû à la plume de Lionel Vairon(**), sinologue et ancien diplomate français.
Avec l’expression de ma meilleure considération,
André Lacroix
auteur de la traduction Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering (éd. Golias, 2010) et de l’essai Dharamsalades. Les masques tombent (éd. Amalthée, 2019)
(*) document disponible sur demande
(**) idem
2) La réaction de Philippe Lamberts (6 juin, 12 h 30)
Cher Mr. Lacroix,
en politique comme dans la vie, je considère que l’amalgame est l’exact opposé du débat d’idées honnête.
Au sujet de la Chine, les verts européens
1. Considèrent que, dans la perspective d’une approche multi-latérale pour relever les défis de notre temps, comme par exemple celui du changement climatique, le dialogue diplomatique avec la Chine est indispensable.
2. Pour autant, nous considérons que le régime autoritaire, de plus en plus dictatorial, de Xi Jinping est aux antipodes des valeurs que nous défendons, à commencer par la centralité de la dignité humaine et de l’idéal démocratique qui est le nôtre. J’ajoute que, sous Xi Jinping, le PCC adopte une attitude nettement plus offensive à l’encontre des démocraties européennes. Il nous semble en effet essentiel que l’UE parle d’une voix et soit capable de tenir tête aux tentatives de Xi Jinping de nous diviser et d’affaiblir le modèle de démocratie pluraliste. Trop longtemps, les intérêts mercantiles souvent nationaux ont pris le dessus sur la défense de la démocratie et des droits fondamentaux.
Plaider pour que l’UE sorte de sa naïveté mercantiliste ne signifie pas pour autant que nous partagions le moins du monde la vision de l’agitateur d’extrême droite Steve Bannon, qui a fait de la Chine sa bête noire et voit l’affrontement – y compris militaire – entre la Chine et « l’Occident » comme à la fois souhaitable et inéluctable.
Rapprocher – voire assimiler – les Verts à l’extrême droite est un non-sens que d’aucuns aiment propager, comme ce fut le cas par exemple lors de notre vote contre le CETA (accord commercial UE-Canada) : celui-ci avait aussi été rejeté par une partie importante de l’extrême droite ce qui, selon ceux-là, aurait dû nous obliger à voter en faveur.
En bref, votre assertion relève d’un syllogisme totalement inepte : Steve Bannon est d’extrême droite ; il est opposé à la Chine ; si les Verts s’opposent à la Chine, ils sont donc (complices) d’extrême droite.
Sachez que les Verts ne définissent pas leurs positions politiques en fonction de celles d’autres forces politiques, mais bien en fonction de leurs propres valeurs et de notre projet de société.
Ph. Lamberts
3) Ma réponse (8 juin)
Cher Monsieur Lamberts,
Il n’a jamais été question pour moi, et il ne le sera jamais, de me laisser enfermer dans le faux syllogisme que vous dénoncez à juste titre. J’ai trop d’ami(e)s écolos pour être tenté par l’assimilation « Verts/Bruns ».
Mais force est de constater que si « amalgame » il y a, ce ne peut être que dans le chef des Grüne eux-mêmes qui se sont associés aux conservateurs et aux libéraux les plus atlantistes pour exiger des sanctions contre la Chine et jeter de l’huile sur le feu à une époque où l’administration américaine intensifie de plus en plus la propagande et les mesures antichinoises.
Les Verts allemands, jadis un parti pacifiste, sont depuis longtemps pro-OTAN ; ils ont joué un rôle déterminant dans la guerre d’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie (Joschka Fischer, grand ami de Madeleine Albright, vit depuis longtemps aux USA) ; ils sont des va-t-en-guerre en ce qui concerne la Russie et les sanctions antirusses, et ils soutiennent les nationalistes ukrainiens ouvertement fascistes et antisémites ; leurs dirigeants, par exemple Cem Özdemir, font partie des réseaux atlantistes comme l’ « Atlantik-Brücke ». Ils sont parmi les plus fervents adulateurs de « Sa Sainteté, le dalaï-lama », grand démocrate s’il en est, et grand ami de la droite républicaine aux É.-U. (Bush, MacCain…). Leur ancienne présidente Göring-Eckardt, avec beaucoup d’autres « Verts », a combattu les initiatives de légalisation de l’euthanasie (« Sterbehilfe »), adoptant une position à droite de celle du Vatican…
Il est par ailleurs très instructif de comparer ces prises de position ultra-droitières avec celles de Jill Stein, la candidate écologiste à la Présidence des États-Unis en 2006, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne partage pas l’alignement des Verts allemands, notamment sur la politique agressive de son pays, prônée par Hillary Clinton (1). Peut-on pour autant affirmer : « Jill Stein est contre l’interventionnisme US en Russie et en Chine ; or, elle est écologiste ; donc, tous les écologistes sont contre l’interventionnisme US » ? Hélas non, il s’agit là, pour reprendre vos termes, d’un « syllogisme totalement inepte », comme le montre l’article de german-foreign-policy.
Revenons-en aux faits : des écologistes européens, au nom d’un « idéal démocratique », s’inscrivent dans une vision de la Chine pour le moins unilatérale, sinon simpliste, façonnée par de puissants lobbies ne reculant devant aucun argument : demi-vérités, contre-vérités, canulars et même faux témoignages (2). Le climat antichinois est tellement pesant que des analystes rigoureux, comme par exemple, Bruno Guigue (3) ou Lionel Vairon (4), n’ont jamais accès à notre « grande presse » ou à nos plateaux de télévision où l’on préfère donner la parole à de soi-disant experts se contentant de répéter ce qui se dit outre Atlantique. Dès qu’on veut émettre sur la Chine une opinion équilibrée, on est taxé d’être « prochinois » et cela suffit à vous faire taire. La Chine ne peut donc apparaître que comme une menace aux yeux de nos opinions formatées.
Et voilà comment vous en arrivez à trouver « essentiel que l’UE parle d’une voix et soit capable de tenir tête aux tentatives de Xi Jinping de nous diviser et d’affaiblir le modèle de démocratie pluraliste », … comme si la Chine avait besoin de travailler à affaiblir le modèle européen ; il lui suffit d’observer, avec le recul de son histoire millénaire, ce qui se passe notamment en Hongrie, en Pologne, en République tchèque…(liste non exhaustive) où les « droits fondamentaux » en prennent un fameux coup…
Je termine ce message en vous interpellant sur un sujet qui devrait vous tenir particulièrement à cœur : la défense de l’environnement. Plutôt que de vous laisser aspirer par un courant antichinois venu des États-Unis (et pas seulement, hélas, des Républicains) supportant de plus en plus mal de perdre leur hégémonie et enclins à faire endosser à la Chine la responsabilité de leur incurie, ne feriez-vous pas mieux, vous les Verts, de saluer les efforts gigantesques de la Chine en faveur des « droits de la planète » ? Alors que les États-Unis se sont retirés de la COP21 et que le « Green Deal » européen en est encore à ses balbutiements, la Chine, elle, est devenue, comme l’écrivait Franceinfo, « championne du monde des énergies vertes ». La « civilisation écologique » annoncée par Xi Jinping est en train de se construire en Chine, avec des résultats d’autant plus remarquables qu’ils succèdent à quarante années de croissance accélérée et aveugle.
Comment nos démocraties, coincées dans les échéances à court terme et soumises aux intérêts privés, vont-elles relever le défi planétaire ? Cette question ne devrait-elle pas alimenter en priorité la réflexion des écologistes occidentaux ? Le respect de l’environnement ne serait-il pas à vos yeux la condition sine qua non du respect de la « centralité de la dignité humaine » ?
Au plaisir, si vous le désirez, de prolonger la discussion, je vous prie d’agréer, cher Monsieur Lamberts, l’expression de ma meilleure considération.
André Lacroix
(1) source : https://en.wikipedia.org/wiki/Jill_Stein ;
(2) voir : http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/532-la-chine-…;;
(3) voir, par exemple : https://www.legrandsoir.info/l-aigle-et-le-dragon.html ;
(4) voir, par exemple, sur Google : Taïwan, un instrument de pression entre les mains de Washington.
4) … Un silence assourdissant
Au lecteur de juger.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir