Assange : il y a huit ans, le fondateur de Wikileaks demandait l’asile à l’Equateur

Assange : il y a huit ans, le fondateur de Wikileaks demandait l'asile à l'Equateur

Julian Assange, journaliste et fondateur de Wikileaks, organisation d’édition qui publie depuis 2006 des révélations obtenues par des lanceurs d’alerte à l’échelle internationale, est privé de sa liberté de mouvement depuis exactement huit ans. Ayant épuisé tous les recours juridiques en Grande-Bretagne pour échapper à une extradition qu’il jugeait dangereuse pour sa sécurité, le 19 juin 2012, l’Australien, âgé alors de 41 ans, décide d’entrer à l’ambassade d’Equateur à Londres où il demande dans la foulée l’asile politique à ce pays d’Amérique latine.

Cette requête qui a pris de court les autorités britanniques et suédoises, aux trousses de Julian Assange pour une affaire de délit sexuel classée sans suite cinq ans plus tard, intervenait après que la Cour suprême britannique avait rejeté cinq jours plus tôt la demande de réexamen de l’appel déposé par Assange de la décision de l’extrader en Suède. Un an et demi plus tôt, le 18 novembre 2010, la Suède lançait en effet un mandat d’arrêt à son encontre, dans le cadre d’une enquête préliminaire pour un délit sexuel présumé sur deux Suédoises, ce qu’Assange a toujours nié, assurant avoir eu des relations consenties avec les deux femmes. Hasard du calendrier, dix jours après les lancements des poursuites en Suède, le 28 novembre, les grands titres de la presse mondiale commençaient à publier le contenu de quelque 250 000 câbles diplomatiques dévoilés par WikiLeaks sur les activités militaires et diplomatiques américaines, dont des crimes de guerre, notamment en Irak et en Afghanistan. Furieux, les Etats-Unis parlent de «crime grave» et menacent Julian Assange de poursuites. Une enquête est ouverte à son encontre.

Durant cinq ans, j’ai été assigné à résidence dans cette ambassade, sans pouvoir voir la lumière du jour, pendant que mes enfants grandissaient sans moi. C’est quelque chose que je ne pourrai jamais pardonner, ni oublier, car j’ai subi une immense injustice

Le fondateur de Wikileaks qui n’a jamais refusé de répondre à la justice suédoise, craignait en revanche qu’une extradition vers la Suède n’en entraîne une autre… vers les Etats-Unis. Dans un communiqué publié le 19 juin 2012, jour de son entrée à l’ambassade équatorienne, il expliquait sa démarche par la «regrettable déclaration d’abandon», en allusion à la décision de la plus haute juridiction britannique après 18 mois de bataille juridique.

Julian Assange s’estime victime d’un complot. Les faits pour lesquels il faisait alors l’objet du mandat d’arrêt suédois se sont révélés être une coquille vide cinq ans plus tard, mais la justice suédoise a fait traîner l’affaire, ouvrant et refermant le dossier, jusqu’à abandonner toute poursuite le 19 mai 2017, avant de relancer l’affaire temporairement en mai 2019 et la refermer définitivement le 19 novembre de la même année, faute de preuves.

«Aujourd’hui est une immense victoire, non seulement pour moi, mais pour les droits de l’homme dans leur ensemble. Durant cinq ans, j’ai été assigné à résidence dans cette ambassade, sans pouvoir voir la lumière du jour, pendant que mes enfants grandissaient sans moi. C’est quelque chose que je ne pourrai jamais pardonner, ni oublier, car j’ai subi une immense injustice», avait déclaré le 19 mai 2017 Julian Assange depuis le balcon de l’ambassade d’Equateur.

Guillaume Long, qui a occupé différents postes au sein du gouvernement équatorien depuis 2013 et qui a été ministre des Affaires étrangères de Rafael Correa du 3 mars 2016 au 24 mai 2017, explique à RT France pourquoi son pays a décidé d’accepter d’accorder l’asile à Julian Assange, le 16 août 2012, soit deux mois après son entrée à l’ambassade : «Nous avons pris la décision de lui accorder l’asile sur la base d’une crainte de persécution politique et l’Histoire nous a donné raison. Notre stratégie juridique, politique et diplomatique était basée sur le droit d’asile, élément fondamental du droit international. Elle se voulait durable et rigoureuse et si l’Equateur l’avait maintenue, Assange ne serait pas en train de croupir dans une prison de haute sécurité.» Pour ce diplomate, «tout ce qui s’est passé après a prouvé que l’Equateur [de Correa] avait raison de miser sur le droit d’asile car il y avait un vrai risque d’extradition».

L’Equateur «paranoïaque», pour les Britanniques

Durant son mandat de chef de la diplomatie équatorienne, Guillaume Long s’entretenait régulièrement avec ses homologues britanniques : «Ils me regardaient droit dans les yeux me disant que l’Equateur était paranoïaque, que tout cela n’avait rien à voir avec la liberté d’expression, ni avec Wikileaks, que c’était simplement lié à l’affaire suédoise et au droit de ces femmes qui l’accusaient.»

L’ancien ministre équatorien explique qu’immédiatement après avoir accepté d’accorder l’asile à Assange, l’Equateur a offert qu’il soit interrogé par la justice suédoise à l’intérieur de l’ambassade de Londres ou même qu’il soit envoyé en Suède pour être interrogé mais avec des garanties de non-extradition vers les Etats-Unis, ce que les Suédois ont refusé. «Cela a confirmé nos craintes d’une persécution politique», ajoute-t-il. Les Suédois ont attendu quatre ans avant d’aller interroger Julian Assange à l’ambassade, en novembre 2016. Il a fallu ensuite attendre six mois pour qu’en mai 2017, ils décident d’abandonner les poursuites. «Pendant ce temps, j’ai insisté auprès des instances du ministère des Affaires étrangères suédois en leur demandant ce qui se passait et en leur disant : je sais que la justice est indépendante, mais l’instance qui doit garantir la protection des Droits de l’homme face aux instances de l’ONU, c’est l’Etat suédois», explique Guillaume Long.

On est donc passés du dossier suédois qu’on nous opposait depuis cinq ans à un retour à la case départ : l’affaire Assange en tant que journaliste et éditeur.

La décision d’abandonner les poursuites a été rendue cinq jours avant le départ du gouvernement auquel appartenait Guillaume Long. Il explique : «On a alors dit aux Britanniques qu’ils pouvaient donc libérer Assange et là, ils nous ont répondu non, car il avait violé sa liberté conditionnelle. On est donc passés du dossier suédois qu’on nous opposait depuis cinq ans à un retour à la case départ : l’affaire Assange en tant que journaliste et éditeur. Le temps a donc prouvé que l’Equateur [de Correa] avait raison et que sa crainte d’une persécution politique était absolument fondée.»

C’est ainsi qu’en février 2018, un tribunal londonien a refusé de lever le mandat d’arrêt contre Assange, au motif qu’il n’avait pas respecté les conditions de sa liberté sous caution. Lenin Moreno, successeur du président équatorien Rafael Correa, qui avait accordé l’asile d’Assange, fera mine de le soutenir quelques mois avant de le lâcher et d’autoriser son arrestation le 11 avril 2019 par la police britannique, date à laquelle Julian Assange a été transféré à la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres où sont détenus les plus grands criminels du pays. Il y a été condamné à 55 semaines de prison, la peine maximale pour l’infraction qu’il avait commise, souvent simplement sanctionnée d’une contravention. Julian Assange qui a purgé cette peine aujourd’hui, se trouve encore dans cette prison, en détention préventive désormais, dans l’attente de la suite de son procès en extradition vers les Etats-Unis en septembre. Ses demandes de libération conditionnelle ont toutes été refusées. Une audience administrative dans le cadre de la procédure d’extradition doit se tenir le 29 juin à Londres. Si la justice britannique se plie à la volonté des Etats-Unis, Julian Assange y risque jusqu’à 175 ans de prison.

Meriem Laribi

À propos de l'auteur RT France

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