Duterte joue une stratégie perdante en permettant aux POGO chinois [jeux en ligne] de rouvrir leurs portes en tant que services « essentiels » alors que les entreprises locales restent fermées
Par Richard Javad Heydarian − Le 14 mai 2020 − Source Asia Times
MANILLE – Alors que le Président philippin Rodrigo Duterte s’efforce d’atténuer progressivement les effets dévastateurs du confinement dû à la Covid-19, la décision du gouvernement de permettre aux casinos en ligne chinois de reprendre leurs activités a provoqué un tollé politique.
Les opérateurs philippins de jeux offshore, ou POGO [ acronyme pour Philippines Offshore Gaming Operators, NdT], sont en grande partie dirigés par des citoyens chinois et font l’objet d’une surveillance croissante pour avoir prétendument servi de refuge au crime organisé. Les POGO versent également d’importantes redevances de concession au gouvernement et, ces dernières années, ont contribué à la croissance économique rapide de la capitale économique Manille.
Le Groupe de Travail Inter-Agences [IATF, NdT] sur les maladies infectieuses émergentes a récemment autorisé les POGO à reprendre leurs activités dans de nouvelles « conditions strictes », notamment un plafond sur le nombre d’employés pouvant travailler par équipe et l’obligation de présenter un test négatif pour la Covid-19 avant d’être autorisés à accéder aux salles de jeu.
Au cours des deux derniers mois, alors que les Philippines étaient soumises à des mesures de confinement strictes relatives à la Covid-19, des industries essentielles telles que les usines de production alimentaire ainsi que le secteur économiquement crucial de l’externalisation des processus d’entreprise [BPO, acronyme de Business Outsourcing Process, NdT] ont été autorisés à fonctionner sous des restrictions aussi strictes.
En tant que tel, le gouvernement de Duterte a effectivement approuvé les POGO comme une entreprise « essentielle », une désignation implicite qui a provoqué une tempête politique étant donné que la grande majorité des entreprises gérées par les Philippins ont été fermées en vertu de mesures de « quarantaine communautaire renforcée » [Enhanced Community Quarantine, ou ECQ selon la terminologie officielle, NdT] qui ont duré des mois.
Certains signes indiquent cependant que les sentiments anti-Pékin gagnent en force politique. Des dizaines de législateurs, dont les principaux partisans de Duterte, ont canalisé la semaine dernière cette indignation publique pour déposer un nouveau projet de loi visant à interdire purement et simplement les POGO au motif qu’ils représentent une « menace sociale ».
Des sénateurs de premier plan, de tout l’éventail politique, ont critiqué le favoritisme apparent de l’administration Duterte pour les sites de jeu chinois, que certains ont perçu comme un os à ronger de Pékin.
Dirigé par le leader de la minorité à la Chambre, Bienvenido Abante Jr, le projet de loi s’en prend aux casinos chinois en ligne comme « source de corruption inimaginable ».
Il affirme que les opérations « ne peuvent être justifiées par le montant des recettes qui peuvent en être tirées, car ces recettes, quelle que soit leur importance, seraient totalement détruites par le préjudice irréparable qui en résulte pour les individus, les familles et la société en général ».
Baptisée « Loi anti-POGO de 2020 », elle accuse également les POGOs chinois de se moquer « de nos lois contre le blanchiment d’argent, l’immigration et la fiscalité ». Elle a été à l’origine d’innombrables infractions pénales et de crimes odieux liés à la conduite de ces opérations.
Au début de ce mois, le leader de la minorité au Sénat, Franklin Drilon, a promis de reprendre une enquête dite « de haute moralité » sur les POGOs et leur réouverture pendant le confinement du à la Covid-19.
Le législateur chevronné s’est engagé à enquêter sur l’identité des personnes qui ont « accordé des licences d’exploitation » lors des audiences, afin de mettre au jour les allégations de corruption et d’activités illicites. Le sénateur de l’opposition a également accusé le gouvernement de Duterte de favoritisme pro-chinois, en s’interrogeant, « pourquoi les aimons-nous tant ? »
C’est une question à laquelle beaucoup veulent que Duterte réponde. Le Président du Sénat Vicente Sotto III a ouvertement remis en question la désignation effective par son Administration des casinos chinois en ligne comme un secteur « essentiel ». « Si l’exécutif a une bonne raison, c’est à lui de décider », a déclaré M. Sotto.
L’industrie philippine du BPO, quant à elle, a contesté la classification des POGOs par le porte-parole présidentiel Harry Roque comme « une sorte de BPO ».
Rey Untal, président et directeur général de l’Association des technologies de l’information et des processus d’affaires des Philippines (Ibpap), a déclaré que les casinos gérés par les Chinois ne faisaient pas partie de son industrie.
[En] ce qui concerne l’industrie IT-BPM (technologies de l’information et gestion des processus d’affaires), les opérateurs de jeux offshore philippins, ou POGO, comme on les appelle communément, ne peuvent pas être considérés comme de l’externalisation de processus d’affaires.
« Alors que les BPO et les POGO partagent une similarité étrangère, à savoir leur statut offshore, les POGOs le font principalement parce qu’ils sont prétendument incapables de pratiquer leurs fonctions de paris ou de jeux d’argent sur leur territoire », a-t-il déclaré dans une déclaration début mai.
On s’interroge également sur l’importance des avantages économiques que procurent les POGOs. Selon le Bureau of Internal Revenue [BIR, le Trésor philippin, NdT], la quasi-totalité des POGOs gérés par des Chinois ont des retards dans le paiement de leurs impôts sur le revenu et de leurs franchises, qui s’élèvent à quelque 50 milliards de pesos (988 millions de dollars US).
Le secrétaire aux finances Carlos Dominguez a averti que « pour que les prestataires de services POGO soient autorisés à opérer, ils doivent payer leurs impôts sur le revenu de 2019 ».
De plus, le Conseil anti-blanchiment d’argent (AMLC) des Philippines, une agence gouvernementale qui traque les activités financières illicites, a affirmé que les casinos gérés par les Chinois pourraient s’être engagés dans au moins 14 milliards de pesos (276 millions de dollars) d’« activités suspectes », dont le trafic de drogue.
Ces dernières semaines, l’opinion publique s’est retournée contre la Chine elle-même, bien au-delà des casinos chinois en ligne qui sont illégaux sur le continent et ont même été critiqués par Pékin.
Au milieu de ces remous, l’ambassade de Chine à Manille a publié un clip vidéo, intitulé « Iisang Dagat » [une seule mer, NdT], qui dépeint Pékin comme un voisin bienveillant et une source d’assistance de lutte contre la Covid-19.
L’émission de radio « Wow China », animée par le Service Public de Radiodiffusion philippin (PBS), a été particulièrement critiquée ces derniers jours pour avoir diffusé le clip pro-Chine.
Les net-citoyens ont accusé le gouvernement philippin d’utiliser l’argent des contribuables pour diffuser de la propagande chinoise sur les ondes nationales. Le gouvernement a défendu le programme, qui célèbre la culture et l’histoire chinoises, comme étant « léger, informatif et divertissant ».
Pourtant, les efforts précédents pour réduire les POGOs ont été à maintes reprises rejetés par un Duterte pro-Pékin, qui a été un fervent partisan des établissements de jeux, souvent au mépris des évaluations et des avertissements de ses propres Services.
« Ce POGO [chinois]… il est propre. C’est le jeu d’un autre côté, mais il emploie quelque chose comme 20 000 personnes dans le Grand Manille »,
a déclaré Duterte en tagalog [tagal, langue officielle locale, NdT], soutenant fermement les opérateurs du POGO quelques jours avant de placer le Grand Manille et sa région en confinement à cause du Covid-19.
Traduit par Michel, relu par jj pour Le Saker Francophone
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