« Aux yeux de la philosophie dialectique, rien n’est établi pour toujours, rien n’est sacré » (Karl Marx).
La reconstruction, la refondation, la rénovation, la renaissance du Parti communiste est un thème, un objectif, un programme presque aussi vieux que le Parti communiste lui-même.
Programme toujours proclamé, annoncé, promis mais jamais réalisé. Tentons de voir pourquoi.
Faibles ou pesant sur la vie nationale de façon incontournable, les partis communistes, fondés sur l’élan de la Révolution d’Octobre et de la IIIe Internationale, confortés par la victoire soviétique durant la Deuxième Guerre mondiale et leur participation centrale aux Résistances patriotiques et anti-fascistes, ont connu depuis bien des vicissitudes.
Cela étant, ils ont marqué d’une forte empreinte le XXe siècle.
Depuis les années 1980 et surtout 1990 avec l’effondrement de l’Union Soviétique, du camp socialiste et de la mutation de la Chine en pays capitaliste, les PC sont, pour nombre d’entre eux, soit dissous, soit anémiés, soit dégénérés. Quelques uns résistent et gardent une base de masse significative mais même dans ce cas ils sont tendanciellement sur une pente déclinante. Les victoires ou du moins les résistances populaires actuelles s’expriment à travers des organisations de type nouveau. On se souvient que, déjà, la révolution cubaine à fin des années 1950 ne fut pas dirigée par le PC Cubain.
Que l’on regrette ou qu’on se réjouisse de ce constat, il est difficile de la contester.
Face à cette situation la thématique de la reconstruction du PC est mise encore à l’ordre du jour chez certains militants se réclamant du communisme.
Certes, nous le disions précédemment, le projet est ancien. Dès 1923, soit trois ans après la fondation en France du parti communiste, son ancien et premier secrétaire général, Ludovic-Oscar Frossard, fonde un éphémère Parti Socialiste Communiste (PSC) mais c’est pour, assez rapidement, rejoindre la SFIO et finalement sombrer dans le pétainisme.
Puis ce furent, au fil des décennies, les oppositions « de gauche et de droite » aux directions du PC qui se lancèrent dans l’aventure de la refondation du Parti communiste.
Les trotskistes furent sans doute les premiers à avoir espéré y parvenir et cela dès la fin des années 1920 et au début des années 1930. Le « redressement révolutionnaire » du PCF était leur slogan. 200 à 300 militants de la Ligue Communiste s’attaquèrent donc à la réalisation de ce projet grandiose. Cela l’amena à s’opposer à la ligne sectaire de l’IC ce qui ne manque pas d’humour involontaire. Le fiasco fut au rendez-vous. Après guerre,un autre courant du trotskisme, le PCI (parti communiste internationaliste) prit la relève avec toujours le même échec au bout.
Non seulement les lignes politiques de ces groupes trotskistes étaient discutables (refus du Front Populaire entre autres) mais de plus l’émiettement et l’éparpillement était la règle. Les groupes trotskystes faisaient concurrence aux poupées russes. Bégayant les orientations de Trotski, ils répétaient des années durant des mots d’ordre comme si ceux-ci étaient intemporels. Ainsi en 1946 il exigeaient un « gouvernement ouvrier PS/PC sans le MRP » et en 1981 « Un gouvernement PS/PC sans les Radicaux de gauche »….Il en va de même à l’international où en 1945 ils dénoncent Yalta » A bas le super-Versailles Roosevelt-Churchill-Staline ! Vive la révolution prolétarienne allemande ! » On le voit un grand sens de l’opportunité…et un grand divorce avec le réel. Quant à aujourd’hui, le mégaphone remplace la Faucille et le Marteau et l’anticapitalisme remplace le communisme dans le nom de l’une des organisations trotskystes…
Au sein du PCF lui-même, des opposants – divers – aux directions ont toujours existé. Certes de façon quasi clandestine dans les années 1950-1960 mais avec quelques moments forts et publics comme lors du XXe congrès du PCUS ou l’intervention soviétique à Budapest en 1956 ou Prague en 1968. Des bulletins internes circulaient. Comme « Unir pour le socialisme » ( de 1952 à 1975) qui était animé par de grands Résistants (Marcel Prenant, Maurice Gleize, Jean Chaintron, Roger Pannequin…) et dont l’objectif était déjà « un PCF révolutionnaire et démocratique ».
N’oublions pas la tentative maoïste avec le PCMLF qui, malgré le soutien chinois, fut un échec. Lui aussi fut l’objet de divisions et de scissions jusqu’à extinction, même si quelques petits débris virtuels subsistent.
Depuis les années 1980 et 1990 des oppositions « de droite et de gauche » se sont exprimées dans et hors du Parti. Ces qualifications de « droite et de gauche » sont d’ailleurs discutables. Elles correspondent à ce que les directions du PC voulaient faire croire : face aux « déviations » de droite et de gauche , elles étaient le centre, l’orthodoxie. Toujours est-il que face à la crise du communisme dont les directions elles-mêmes ont conscience dès les années 1960 *, des tentatives de redressement se succèdent comme les vagues sur le rivage. Avec le même résultat : les vagues érodent le sol qui finit par s’effondrer. Mais de reconstruction rien, des nèfles, nada.
Les critiques portées par ces oppositions aux directions du PCF ont un point commun : l’exigence de démocratie interne, une libre discussion dans le Parti et la fin du verrouillage du fonctionnement démocratique au prétexte du « centralisme démocratique ». Henri Lefebvre, Louis Althusser, Henri Fizbin, Lucien Sève et bien d’autres tenteront donc la renaissance du PC en interne et/ou hors du Parti. En vain. Sans doute parce que quelque chose dans la définition figée, dogmatisée de l’organisation ne permettait pas de satisfaire cette exigence pourtant élémentaire. Parce que mettre en cause une direction est difficile même dans une organisation communiste. Surtout parce que nous n’avons pas été capables d’une pensée dialectique : « Rester fidèle ou se renier » dit Waldeck Rochet (1). Ce choix est mortifère : ni fidélité, ni reniement, « analyse concrète de la situation concrète ».
De nos jours de nombreux groupes proclament lutter pour la reconstruction/ renaissance/refondation du PC : au moins deux tendances internes au Parti (Vive le PCF et Faire Vivre et Renforcer le PCF) et d’innombrables groupuscules en externe (RPCF, PCOF, RC, PRCF, ANC, PCRF, PRC et tous les autres qui voudront bien nous excuser). Si le ridicule ne tue pas, la vie s’en charge.
Cet émiettement est bien sûr l’expression d’une situation objective : les classes populaires n’ont pas confiance dans la possibilité d’un autre monde et depuis les années 1980 le rapport des forces international a basculé en faveur du capital. Mais cette situation est due aussi à l’incapacité pour les marxistes de mettre en synergie et d’unifier leurs analyses des contradictions sociales. On l’a vu plus haut. Au contraire de cette démarche nous assistons, dans la sphère militante comme dans la sphère intellectuelle à des oppositions dogmatiques, à des conflits byzantins au lieu d’un débat fructueux, d’autant que les différents « camps » auraient des choses à apporter à une éventuelle synthèse commune. Par exemple comment ne pas comprendre que l’universalisme républicain ne s’oppose pas à la prise en compte des effets du colonialisme ni aux mutations ethniques et culturelles de la classe ouvrière outre ses mutations structurelles dues au capitalisme contemporain. Comment des marxistes ne voient-ils pas le nécessaire dépassement dialectique de ces contradictions par la lutte de classe et non par des affrontements théoriques qui ne font qu’alimenter la division et l’impuissance de la gauche.
Loin des chimères des orphelins des certitudes du passé, ne devons-nous pas tenter au moins de rassembler, d’unifier, de confronter fraternellement les analyses progressistes et demain les forces populaires. Pendant que les « indigénistes communautaristes » combattent les « républicains esclavagistes » et réciproquement, que les dix sectes des vrais croyants, des « vrais marxistes-léninistes » s’excommunient puis s’embrassent puis s’excommunient de nouveau, les vrais fascistes, et les forces sociales qui peuvent demain leurs donner le pouvoir, travaillent à gagner l’hégémonie. Le sursaut viendra quand nous aurons vaincu la désespérance et la résignation des masses. Non par la re-construction mais par la construction.
Et pendant ce temps là les champions du centralisme « démocratique », les petits timoniers de sous-préfecture parviennent, difficilement, à s’imposer à quelques centaines de militants qui voient les années passer sans que rien ne bouge, sans que les effectifs augmentent, sans que cesse le turnover militant, sans parvenir à l’inaccessible étoile de la reconstruction du Parti communiste éternellement retardée ou ubuesquement proclamée. Simplement parce que la résurrection des morts et du passé sont impossibles.
Le vieux est mort ? N’attendons pas sa renaissance. Contribuons plutôt à la naissance du neuf.
Antoine Manessis..
(1)Waldeck Rochet ne dit-il pas en 1961 : « Nous menons une bataille en retraite. Depuis de longues années on recule lentement. Nous n’aurions pas plus de quatre millions de voix (en cas d’élections). C’est ainsi. Ça sera long. Tant qu’il ne sera pas évident que tout est mieux en URSS qu’en Occident, il n’y aura pas de nouvelle poussée pour le socialisme. Et c’est toujours plus long qu’on ne le croit : dix ou quinze ans probablement. En attendant il faut maintenir ce qu’on peut. Si on lâchait nous disparaîtrions comme les petits partis. On n’a pas le choix ou rester fidèle ou se renier. On devrait faire un grand effort pour trouver des mots d’ordre, un style d’organisation mieux adapté à notre temps, capable de mouvoir les masses. Les Italiens le tentent bien mais eux aussi reculent lentement. Ils frisent le révisionnisme. » (Mémoires de Jean Pronteau).
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